La compagnie israélienne NSO— fabricant du logiciel-espion Pegasus—doit être interdite

Par Phyllis Bennis et Omar Barghouti, le 3 décembre 2021

Et pourquoi l’administration Biden a pris une mesure sans précédent contre une compagnie qui a des liens si étroits avec le gouvernement israélien.

Ubai al-Aboudi, directeur du Centre Bisan pour la recherche et le développement, utilisateur d’un des six appareils qui auraient été piratés par le logiciel-espion Pegasus du groupe NSO.

Apple vient de porter plainte contre la compagnie israélienne de logiciels-espions NSO pour avoir porté préjudice à Apple et à ses utilisateurs. Apple accuse NSO de « [transformer] le puissant logiciel-espion subventionné par l’Etat [en arme] contre ceux qui cherchent à faire du monde un endroit meilleur », incriminant ainsi indirectement Israël. Cela donnera un nouvel élan à l’interdiction de tous les logiciels-espions.

La décision de l’administration Biden en décembre dernier de «  mettre sur liste noire  » NSO, dont le tristement célèbre logiciel Pegasus pirate les smartphones, et une autre compagnie israélienne, Candiru, qui cible les ordinateurs, peut avoir été influencée par l’indignation croissante des géants de la tech basés aux Etats-Unis face à la manière dont le logiciel espion de NSO ébranle la sécurité de leurs propres systèmes, menaçant ainsi leurs marchés.

Que les Etats-Unis sanctionnent des compagnies étrangères est une vieille histoire. Cela arrive tout le temps, d’habitude en réponse à certaines transactions commerciales estimées nuisibles à ce que Washington aime appeler « les intérêts des Etats-Unis ». Mais alors que cibler les compagnies chinoises et russes est maintenant de la routine, s’en prendre à des compagnies israéliennes de grande notoriété est sans précédent.

 Contrairement aux affirmations israéliennes, NSO est étroitement liée au gouvernement israélien, accréditée par lui, réglementée par lui et soutenue par lui. La plainte d’Apple va plus loin, accusant Israël de « sponsoriser » et de favoriser NSO. Le gouvernement israélien, selon ce qui est rapporté dans les médias israéliens, «  considère les logiciels de NSO comme une composante cruciale de sa politique étrangère et de sa sécurité nationale ».

Le journal israélien Haaretz a pisté la forte corrélation entre les objectifs de politique étrangère d’Israël et les ventes de NSO dans des pays dirigés par des dictateurs ou des régimes autoritaires. Il a conclu que l’Etat israélien « a oeuvré pro-activement pour obtenir que des compagnies israéliennes d’armes électroniques, d’abord et avant tout NSO, opèrent dans ces pays, malgré leurs dossiers problématiques en matière de démocratie et de droits humains ». Haaretz a présenté des preuves de la corruption du gouvernement israélien pour expliquer en partie la collusion avec NSO.

Israël n’a pas l’habitude—pour le dire gentiment —d’être placé dans le même panier des menaces potentielles à la sécurité nationale des Etats-Unis que la Russie. Après tout, indépendamment du parti au pouvoir, les Etats-Unis ont depuis des décennies été pour Israël le facilitateur, le donateur militaire et l’armure contre la reddition de comptes internationale. Il a régulièrement singularisé Israël avec un traitement spécial, l’inondant de subventions inconditionnelles, principalement militaires. Pour que Washington liste maintenant des compagnies israéliennes de logiciels-espions comme menaces substantielles cause une panique en Israël. Et le fait que les journalistes se demandent déjà si l’administration Biden prévoit de faire pression sur Israël pour freiner NSO, comme il a fait pression sur la Russie à propos de cyber-piratage, ne fera probablement qu’exacerber cette panique.

Selon des recherches d’ Amnesty International et de Forbidden Stories, le logiciel espion Pegasus de NSO a été utilisé pour espionner des gouvernements et des chefs d’Etat, des dissidents politiques, des journalistes et des militants des droits humains, entre autres. Les clients de la firme ont inclus des régimes despotiques et autocratiques, de l’Arabie saoudite, du Maroc et des Emirats arabes unis à l’Inde, à la Hongrie, au Mexique, et au-delà. Le président français Emmanuel Macron et 14 ministres de son gouvernement ont eu leurs téléphones portables piratés par le logiciel Pegasus, ainsi que le président d’Afrique du Sud Cyril Ramaphosa.

Pegasus n’est qu’un exemple des doctrines et des produits israéliens pour l’armée, le renseignement et la sécurité qui sont «  testés au combat » sur les millions de Palestiniens vivant captifs sous occupation militaire à Gaza et en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. Sans conteste, Pegasus, parmi d’autres outils invasifs de surveillance de masse israéliens, contribue à l’impuissance et à la dépossession des Palestiniens sous le régime d’apartheid et de persécution d’Israël, long de plusieurs décennies. Il y a seulement quelques semaines, il a été révélé qu’Israël utilisait Pegasus pour espionner des membres du personnel des six organisations palestiniennes de défense des droits humains et des droits civils mondialement respectées qu’il a salies à tort et mises hors la loi.

Mais toutes ces preuves compromettantes contre NSO ne sont pas la raison derrière la décision de Biden. Quelle est-elle donc ? A part le fait de répondre à l’indignation du milieu des affaires, s’en prendre à NSO, sans cibler explicitement l’Etat israélien, pourrait aussi être un moyen d’apaiser la majorité en faveur des libertés civiles dans le Parti démocrate — y compris les membres du Congrès qui en juillet ont appelé Biden à faire pression sur Israël pour contrôler NSO — sans risquer une confrontation ouverte et politiquement nuisible avec Israël et ses lobbys aux Etats-Unis.

Biden avait presque certainement à l’esprit aussi la base progressiste en rapide expansion de son parti. Des sondages montrant la chute dramatique des taux d’approbation d’Israël parmi les Démocrates et le soutien grandissant aux droits des Palestiniens, et même au mouvement de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) dans l’opinion publique américaine, y compris une large minorité de jeunes juifs américains, sont rarement reconnus à la Maison blanche. Mais ils sont trop stables pour être ignorés. L’influence du mouvement pour les droits des Palestiniens n’a pas seulement conduit à ce changement indubitable dans le discours public et médiatique sur cette question dans les dernières années aux Etats-Unis, mais aussi à l’élection au Congrès de défenseurs des droits humains et de l’égalité des Palestiniens, principalement des femmes et des personnes de couleur, deux groupes qui sont des clés de l’électorat de Biden.

Néanmoins, l’administration de Biden a poursuivi les anciennes politiques des Etats-Unis soutenant le système d’oppression d’Israël contre les Palestiniens. Celles-ci incluent le maintien des 3, 8 milliards de dollars de subventions militaires annuelles, un milliard de dollars supplémentaire cette année pour le système de défense anti-missiles du Dôme de fer, la protection d’Israël contre le fait de rendre des comptes devant les Nations Unies et le soutien de ses efforts dsespérés pour délégitimer ou même criminaliser le mouvement BDS, et plus encore.

Biden a aussi laissé intacts la plupart des changements de politiques anti-Palestiniens que Donald Trump a imposés en un défi flagrant au droit international. Parmi eux figure le maintien de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, l’approbation de l’annexion de 1981 par Israël des Hauts du Golan syriens et la légitimation de ses colonies manifestement illégales sur un territoire ocupé depuis 1967. La Maison blanche promeut aussi les Accords Abraham, un ensemble d’accords de normalisation entre Israël et plusieurs régimes arabes. Plus important encore, il a indiqué son acceptation de la longue domination d’Israël sur les Palestiniens par la discrimination raciale et l’apartheid, qui en 2018 a culminé dans la dite « Loi de l’Etat-nation juif ». Des rapports récents par Human Rights Watch et l’organisation principale de défense des droits humains d’Israël, B’Tselem, confirment qu’Israël impose un apartheid sur les Palestiniens.

Pour les Palestiniens et les défenseurs des droits humains partout, donc, le gouvernement des Etats-Unis reste le sponsor clé d’Israël. La «  mise sur liste noire » de NSO est absolument nécessaire — mais elle ne peut équivaloir à la fin du soutien constant des Etats-Unis pour l’apartheid israélien et ses crimes contre le peuple palestinien. Pourtant, les Palestiniens continuent à appeler à une interdiction internationale de tous les logiciels espions, y compris Pegasus—gardant à l’esprit l’importante observation d’Edward Snowden : « Leurs seuls produits sont des vecteurs d’infection. Ce ne sont pas des produits de sécurité … Ils ne font pas des vaccins — la seule chose qu’ils vendent est le virus ».

Une interdiction globale de NSO serait une première étape bienvenue dans l’ arrêt de toutes les subventions militaires à Israël et de tout commerce militaire avec lui jusqu’à ce qu’il respecte pleinement les droits des Palestiniens en mettant fin à l’occupation, en démantelant son régime d’apartheid et en respectant les droits universellement reconnus des réfugiés palestiniens.

Phyllis Bennis : Phyllis Bennis est membre de l’Institut d’Etudes politiques à Washington, D.C., et fait partie du bureau national de Jewish Voice for Peace [Voix juive pour la paix]. Elle est l’auteure de Before & After: US Foreign Policy and the War on Terrorism.

Omar Barghouti : Omar Barghouti est un défenseur palestinien des droits humains et un cofondateur du mouvement de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS)) pour la défense des droits des Palestiniens.

Source : The Nation

Traduction CG pour l’Agence média Palestine

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