Une voix isolée dans le sport interroge : « Et sur la Palestine ? »

Par Dave Zirin, le 16 mars 2022

Un des meilleurs joueurs de squash sur terre veut que nous prenions en considération l’hypocrisie d’un soutien à l’Ukraine qui ignore d’autres injustices.

Ali Farag d’Égypte en compétition contre James Willstrop d’Angleterre, le troisième jour des PSA Dubai World Series Finals le 8 juin 2017. (Photo by Francois Nel / Getty Images for Falcon).

Ali Farag est actuellement le joueur de squash numéro 2 mondial. Farag, originaire d’Égypte, est aussi diplômé de Harvard et l’on peut dire que c’était le meilleur joueur universitaire de squash de l’histoire des États-Unis, n’ayant perdu que deux fois en trois ans tandis qu’il a mené Harvard à un improbable championnat national en 2014. En d’autres termes, il représente un grand danger dans un espace du paysage sportif auquel la plupart des gens aux États-Unis accordent peu d’attention. Mais en Égypte, qui est en deuxième position mondiale pour le nombre de courts de squash, et en Europe, c’est une star. Farag a utilisé sa tribune pour faire quelque chose aussi osé et peut-être aussi dangereux que le jeu qu’il maîtrise. Il signale l’hypocrisie sans fard des sanctions du monde sportif contre la Russie, qui donnent parallèlement à d’autres nations, en particulier à Israël, un permis d’agression militaire. 

Presque du jour au lendemain, le monde du sport s’est mobilisé pour exclure la Russie à cause de son invasion de l’Ukraine. En quelques jours, le CIO, la FIFA et une série de fédérations ont suspendu les athlètes russes et exclu des équipes russes. Ils font des déclarations disant que la guerre a disqualifié la Russie dans les compétitions internationales. Tout cela a été assez déroutant. La rapidité avec laquelle ils ont agi semble faire fi de leur mantra « pas de politique dans le sport », utilisé tout récemment lors des Jeux Olympiques de 2020 pour punir des sportifs qui ont utilisé cette plateforme pour s’exprimer publiquement. La force de leur réponse éclaire aussi le double standard qu’ils appliquent en réponse à une injustice tout en ignorant une série d’autres. C’est particulièrement évident si l’on compare la réponse à l’Ukraine qui contraste avec le silence des courtiers du pouvoir sportif à l’égard de l’occupation persistante de la Palestine par Israël.

Le monde du sport, il suffit de le rappeler, ne s’est pas exactement dépassé pour mettre cela en évidence. Sauf en ce qui concerne Ali Farag. Après avoir gagné le prestigieux championnat Optasia de Wimbledon, Farag a fait la déclaration suivante: “Personne ne devrait accepter quelque tuerie que ce soit dans le monde, ni oppression, mais nous n’avons jamais eu le droit de parler politique dans le sport, et tout d’un coup, maintenant c’est autorisé. Et maintenant que c’est autorisé, j’espère que les gens regardent aussi l’oppression partout dans le monde. Les Palestiniens en souffrent depuis 74 ans, mais je présume que parce que cela ne convient pas au narratif des médias occidentaux, nous ne pouvions pas en parler. Alors, maintenant que nous pouvons parler de l’Ukraine, nous pouvons parler de la Palestine ».

 La portée de cette prise de position et de ses mots a immédiatement été perçue par Margaret DeReus, la directrice exécutive de l’Institut pour la Compréhension du Moyen Orient, qui a dit à The Nation : « La portée de l’utilisation par des athlètes de leurs tribunes pour interpeller le flagrant double standard face à la réponse rapide d’un grand nombre d’organisations sportives pour l’Ukraine est retentissante.  Ce double standard apparaît en comparaison d’autres parties du monde , comme la Palestine ou pour des communautés de couleur aux États-Unis, auxquelles depuis si longtemps il a été dit de « laisser la politique en dehors du sport » ou qui sont punies quand elles se servent de leur tribune pour attirer l’attention sur l’injustice. Mais la crise en Ukraine et les images déchirantes que nous voyons de la dévastation qui a réveillé la conscience des gens de par le monde leur a fait comprendre qu’aucun stade n’est au-dessus du besoin urgent de protéger l’humanité de l’agression. Il est temps maintenant de répondre aux demandes urgentes des opprimés et de suspendre Israël des ligues sportives dans le monde jusqu’à ce que les Palestiniens vivent en êtres humains libres et égaux ». 

L’hypocrisie abonde bien au-delà du monde sportif. L’application de l’ensemble des trois volets de BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) a été pratiquée contre la Russie tant par le gouvernement que par la société civile, mais ne serait-ce que prononcer ces trois lettres à propos d’Israël et de la Palestine peut vous coûter votre emploi et dans certains États, le gouvernement est dans l’illégalité s’il est en contrat avec des groupes qui soutiennent BDS. Mais c’est particulièrement dans le sport que l’hypocrisie de ces organisations sportives internationales et de leurs sténographes des médias se montre de la façon la plus accablante.  Fethi Nourine, le judoka algérien olympique a même été interdit de compétition dans sa discipline pendant 10 ans après avoir refusé une compétition contre l’équipe nationale d’Israël. Son coach, le judoka Amar Benikhlef, au temple de la renommée, a lui aussi reçu une interdiction de 10 ans. Sa campagne BDS personnelle n’a pas reçu d’éloge mais un bannissement. De plus, il y a eu des décennies de campagnes appelant à des sanctions contre le sport israélien. Or, pendant la guerre de 11 jours d’Israël contre Gaza en mai 2021, qui a tué plus de 260 Palestiniens et ruiné l’infrastructure de Gaza déjà très atteinte, ni la FIFA ni le CIO n’ont émis le moindre commentaire. En outre, viser des athlètes palestiniens pour exercer sur eux de la violence ou les emprisonner, le bombardement d’équipements sportifs palestiniens et the la privation de la liberté de mouvement hors ou vers Gaza pour les équipes palestiniennes, caractérise depuis longtemps ce qu’on pourrait appeler un apartheid sportif. Des actions de ce type ont conduit à isoler l’Afrique du Sud pendant les dernières années du gouvernement de l’apartheid et ont joué un rôle vital pour développer la sensibilisation sur l’Afrique du Sud partout dans le monde. 

Concernant Farag, il participe en ce moment même à un nouveau tournoi anglais. S’il continue à lever le voile sur cette question, il peut encourir des répercussions. Farag pourrait aussi être le point de départ d’un changement radical dans le sport, où le pouvoir des sportifs et des institutions peut être utilisé pour faire pression sur des pays engagés dans la guerre et l’occupation d’espaces, le ciel nous en préserve, au-delà de l’Europe. S’il est capable de cela, son héritage surpassera tout ce qu’il peut faire sur le court de squash. 

Dave Zirin est le rédacteur de la rubrique sportive de The Nation et l’auteur de The Kaepernick Effect: Taking a Knee, Changing the World. (l’effet Kaepernick : mettre un genou à terre, changer le monde).

Source : The Nation

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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