La réalité à laquelle Israël ne peut plus échapper

Par Ahmed Abu Artema, le 13 avril 2022

Il existe un principe simple qu’Israël ignore : une société basée sur l’oppression d’un autre peuple ne peut pas rêver d’une vie normale. 

Au cours des dernières semaines s’est produite une escalade significative d’incidents de résistance palestinienne à travers les territoires palestiniens occupés par Israël. Au moins quatorze Israéliens ont été tués en quatre attaques menées par de jeunes Palestiniens dans le Néguev, à Hadera et à Tel-Aviv. 

La gravité des récents incidents de résistance ne tient pas au nombre de morts, puisqu’il n’y a pas de comparaison entre les pertes israéliennes et les soixante-quatorze ans de pertes palestiniennes résultant de l’occupation et des agressions israéliennes continuelles. Le danger pour Israël est plutôt dans le dommage causé à l’image d’Israël par la perte de stabilité de la sécurité dans un pays qui a justifié son existence par l’offre d’un refuge aux Juifs du monde entier. 

Dans les semaines qui ont précédé ces actes de résistance, Israël entretenait une étroite communication avec des Juifs d’Ukraine, exploitant l’agression russe contre l’Ukraine pour attirer des Juifs ukrainiens en Israël en leur présentant le pays comme un refuge. Déjà, des milliers de Juifs ukrainiens ont répondu à l’offre d’Israël en déménageant. En installant ses nouveaux arrivants, Israël empêche en même temps les réfugiés palestiniens de retourner dans leur patrie, ce qui désorganise la réunification de familles palestiniennes dans toute la Palestine.

La dernière chose que voulait Israël était que se produise un tel acte de résistance qui bat en brèche toute sa propagande d’État. Paradoxalement, deux de ceux rapportés morts venaient d’Ukraine pour échapper à la guerre qui s’y déroule.  

Au soir du jeudi 7 avril 2022, ce qui s’est déroulé rue Dizengoff à tel Aviv a été un défi énorme pour le système de sécurité d’Israël ; une scène de total chaos régnant dans toute la ville qui est le visage et le cœur symboliques d’Israël, avec des milliers d’Israéliens courant dans les rues. Plus de mille policiers et de soldats ont été mobilisés et les unités spéciales de combat ont été amenées à la recherche du combattant palestinien. La poursuite a continué pendant neuf heures avant que les soldats ne réussissent à le tuer. 

L’ancien ministre israélien de la défense, Shaül Mofaz, a fait le commentaire suivant sur ce qu’il s’est passé cette nuit-là : « Jeudi dernier, nous avons perdu la bataille de la conscience. Les scènes retransmises d’un homme armé d’un pistolet lançant une attaque à Tel Aviv a communiqué beaucoup de peur et d’anxiété au public. Ce n’était pas nécessaire ». 

Soldats israéliens dans les rues de Tel Aviv après l’attaque de Dizengoff (Photo via New York Times)

Ce que la façon de penser d’Israël produit, c’est ceci : « Il y a des attaques terroristes dont nous poursuivrons ceux qui les commettent et ceux qui les soutiennent ; nous annulerons leurs projets terroristes ».

Israël s’appuie même sur les réponses des pays arabes qui ont normalisé leurs relations avec le régime israélien. Nombre de ces pays ont publié des déclarations condamnent les attaques et les décrivant comme terroristes.  

Mais la question à laquelle Israël n’a jamais tenté de répondre, c’est : 

Qu’est-ce qui motive ces gens à sacrifier leur vie quand ils essaient de faire du mal à Israël ?

Ces actes de résistance récents portent la marque de certains faits non négligeables : les auteurs de ces opérations de résistance ne sont pas affiliés à des organisations palestiniennes et le projet et la réalisation de de ces attaques ont été le fruit de démarches individuelles. L’auteur de l’attaque de Dizengoff était Raad Hazem, un charmant jeune homme qui avait de bonnes opportunités d’emploi en informatique. Son action ne peut pas être simplement expliquée par de la frustration dans sa vie. 

Les caméras de sécurité ont montré que les auteurs de l’attaque de Hadera ont laissé une femme qui passait par-là s’éloigner, évitant manifestement de la viser. Une femme israélienne a aussi dit aux medias israéliens que l’auteur de l’opération de Bnei Brak près de Tel Aviv, Dia Hamrasheh, lui avait demandé de s’éloigner, ainsi qu’à d’autres femmes en lui disant qu’il ne voulait pas tuer de femmes ni d’enfants. Ces actes de la part des auteurs, que les medias ont spontanément transmis sans intention, indiquent que les auteurs de ces attaques adhèrent à des obligations morales qui guident leurs actions et que ce ne sont pas simplement le groupe de barbares terroristes pour lequel Israël essaie de les faire passer. 

Israël n’a pas changé ses habitudes depuis sa création. Après des attaques de résistance individuelle, il a menacé les Palestiniens de plus de punition collective, imposant une fermeture économique de la ville de Jénine dont venaient trois des attaquants et Israël a augmenté le niveau de violence dans les territoires occupés, tuant plus de dix Palestinien.nes dans une opération appelée « La Déferlante ».

Dans le contexte des opérations de résistance, le ministre israélien de la guerre, Benny Gantz, a rassuré le public israélien : « Nous en avons arrêté des centaines et nous n’hésiterons pas à en arrêter des milliers ! ». 

Ces arrestations de masse sont basées sur la suspicion et elles sont engagées hors de toute conformité avec les normes de procédures légales : la police israélienne arrête des familles, des parents et des amis des auteurs des attaques. Gantz ne se soucie pas de l’illégalité de sa menace, parce que la politique de punition collective par les arrestations est pratiquée par Israël depuis sa création, sans conséquence. 

Les multiples tentatives d’arrestation par Israël de Fathi Hazem, le père de Raad Hazem, le responsable de l’opératiron de Dizengoff, est un exemple récent de cette politique constante de punition collective. L’État israélien a appelé Fathi à se rendre et a ouvert le feu sur une voiture transportant la mère et le frère de Raad. Israël sait très bien que le combattant n’avait pas parlé à ses parents de son désir de mener cette attaque, mais il adopte cette méthode vis-à-vis des Palestiniens dans le but d’élever le coût de la résistance. De la même façon, après chaque attaque palestinienne, Israël se précipite pour détruire la maison de famille de chaque auteur. Les auteurs sont déjà tués quand leur maison est démolie. Les vraies cibles de cette politique sont les familles de ceux qui sont décédés, privant les civils, dont les femmes et les enfants, de l’abri que représente leur maison. Israël considère cette forme de punition collective comme un moyen de pression dissuasif sur la société palestinienne. 

Tandis que la sécurité israélienne est empêtrée dans la gestion dans les territoires occupés de cette toute dernière vague d’attaques palestiniennes, Israël est loin de faire face à la racine du problème, ce qui veut dire que ses politiques sécuritaires extensives et coûteuses n’apporteront pas de solution, fondamentalement. 

L’attaque de Dizengoff a coïncidé avec le 74ème anniversaire du massacre de Deir Yacine, commis le 9 avril 1948 lorsque des bandes de militants sionistes ont attaqué le village de Deir Yacine et massacré 250 Palestiniens civils, femmes, enfants et personnes âgées pendant le mois qui a précédé la déclaration de création de l’État d’Israël. Ce massacre avait pour but de semer la panique dans les villages et villes palestiniens, afin d’encourager leurs habitants à fuir. De fait, l’ancien premier ministre d’Israël, Menahem Begin a écrit dans ses Mémoires que sans Deir Yacine, l’État d’Israël n’existerait pas.  

L’État d’Israël a été créé sur les bases du nettoyage ethnique du peuple palestinien. Deux des combattants responsables des récentes attaques venaient du camp de réfugiés de Jénine qui porte toujours le nom du camp originel, comme des dizaines d’autres camps où des milliers de réfugiés vivent encore depuis les années de déplacement de la Nakba. Ils sont séparés de leurs villes d’origine par le mur de l’apartheid d‘Israël. 

Un grand groupe habitants de Jénine marche le long du mur de séparation, en chemin vers Qalandia pour accéder à Jérusalem, juin 2015. (Photo: Karam Saleem)

Le mur de l’apartheid d’Israël manifeste de façon flagrante la discrimination entre deux groupes ethniques. Le premier groupe est celui du peuple indigène de cette terre ; ses membres sont chassés de leur terre, privés de tout privilège, privés de liberté de mouvement et de l’investissement de leurs ressources économiques. Ils ont été soumis à des humiliations et des abus quotidiens depuis soixante-quinze ans au gré des caprices du régime d’occupation israélien. Le deuxième groupe derrière le mur est celui des colons sionistes qui contrôlent la terre et les ressources et qui jouissent d’une vie de privilèges et de liberté de mouvement. 

Israël veut stabiliser cette situation, mais le problème est que le coût du bien-être des colons israéliens est au détriment de générations de victimes palestiniennes, ce qui entraîne un sentiment collectif et durable d’oppression, de persécution et d’injustice. 

La mémoire palestinienne est pleine de récits de l’oppression quotidienne et Israël lui-même continue à ajouter à cette mémoire, en persistant dans ses politiques de colonisation et de discrimination tout en aspirant à déraciner toute preuve de présence palestinienne.

Les récentes attaques de résistance émanent du même contexte que les opérations de résistance palestiniennes d’il y a des dizaines d’années. Ces attaques expriment la colère et l’oppression des Palestiniens face aux occupants et en même temps ces opérations représentent le rêve palestinien d’une vie d’espoir dans une vie basée sur la liberté et la dignité.

Israël continue à faillir à tirer des enseignements de cette leçon. Dans la réunion du cabinet d’Israël qui a suivi la dernière vague d’opérations, il a été décidé de reconstruire 40km du mur qui sépare la Cisjordanie et le territoire occupé depuis 1948 pour combler les brèches créées par les Palestiniens. 

Mais la politique consistant à créer un mur d’apartheid a échoué à empêcher les attaques, puisque trois des récents auteurs sont des Palestiniens du territoire occupé depuis 1948, qui ont la nationalité israélienne. Ce sont ceux qui ont réussi à rester à l’intérieur des frontières d’Israël pendant le processus de nettoyage ethnique dont le peuple palestinien a été l’objet en 1948. Israël a prétendu qu’ils seraient assimilés à la société israélienne, mais ces Palestiniens, qui représentent 20% des citoyens d’Israël, vivent une discrimination raciale et sont confrontés au déplacement au terme de la politique sioniste qui vise la terre palestinienne dans tout le Néguev. En 2021, des manifestations populaires contre les injustices d’Israël ont éclaté dans les villes palestiniennes du territoire de ’48. Ces Palestiniens sont une part vitale de la nation palestinienne, qui partagent avec les Palestiniens de Gaza, de la Cisjordanie et de la diaspora, le rêve de liberté. La politique des murs israéliens ne réussira pas à les vaincre. 

Il existe un principe simple qu’Israël ignore, qui est que la paix et la sécurité ne peuvent être construites sans la justice. Une société basée sur l’oppression d’un autre peuple et sur le déni de ses droits ne peut pas rêver d’une vie normale. 

Ahmed Abu Artema : né à Rafah dans la bande de Gaza en 1984, Ahmed Abu Artema est un réfugié palestinien. C’est un écrivain et militant politique indépendant de Gaza qui a écrit « Organized Chaos » (le chaos organisé) et de nombreux articles. Il est un des fondateurs et organisateurs de la Grande Marche du Retour.

Source : Mondoweiss

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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