L’impact des frappes israéliennes à Gaza est comparable à celui d’armes chimiques, selon le rapport d’une ONG

Par Bethan McKernan, le 30 mai 2022

Il s’agit de la première publication de la toute nouvelle unité d’enquête sur l’architecture médico-légale de l’ONG palestinienne de défense des droits de l’homme Al-Haq, une collaboration inédite au Moyen-Orient avec Forensic Architecture, une agence de recherche basée à Goldsmiths, à l’université de Londres, qui effectue des analyses spatiales et médiatiques pour des ONG et dans des affaires internationales de droits humains.

Les obus tirés sur un entrepôt agrochimique ont créé un panache toxique qui a provoqué des problèmes de santé chez les habitants.

Le 15 mai 2021, Abu Halime, un résident, a filmé une épaisse colonne de fumée noire s’élevant de l’entrepôt Khudair. Photo : Al-Haq et Forensic Architecture

Une attaque aérienne israélienne contre un entrepôt agrochimique pendant la guerre de l’année dernière à Gaza a constitué un « déploiement indirect d’armes chimiques », selon un rapport d’analyse de l’attaque et de son impact.

Des obus d’artillerie incendiaires tirés par les Forces de défense israéliennes (FDI) ont touché le grand entrepôt de produits pharmaceutiques et d’outils agricoles de Khudair, dans le nord de la bande de Gaza, le 15 mai 2021, mettant le feu à des centaines de tonnes de pesticides, d’engrais, de plastiques et de nylon. La frappe a créé un panache toxique, qui a englouti une zone de 5,7 km2 et entraîné des problèmes de santé chez les habitants, dont deux fausses couches, ainsi que des dommages environnementaux.

L’enquête approfondie, qui a nécessité l’analyse de séquences filmées par des téléphones portables, des drones et des caméras de surveillance, des dizaines d’entretiens avec des résidents et l’analyse d’experts en munitions et en dynamique des fluides, a utilisé la modélisation en 3D de l’entrepôt pour déterminer les circonstances de l’attaque.

Il s’agit de la première publication de la toute nouvelle unité d’enquête sur l’architecture médico-légale de l’ONG palestinienne de défense des droits de l’homme Al-Haq, une collaboration inédite au Moyen-Orient avec Forensic Architecture, une agence de recherche basée à Goldsmiths, à l’université de Londres, qui effectue des analyses spatiales et médiatiques pour des ONG et dans des affaires internationales de droits humains.

Au cours de la première heure, le panache toxique de l’entrepôt de Khudair a touché une zone d’environ 5,7 km2 qui abrite 3 000 foyers. Photo : Al-Haq et Forensic Architecture

Les experts juridiques ont estimé, à partir des conclusions d’Al-Haq, que si des armes conventionnelles ont été utilisées lors du bombardement, « le bombardement de l’entrepôt, en connaissance de la présence de produits chimiques toxiques qui y étaient stockés, équivaut à l’utilisation d’armes chimiques par des moyens indirects. De tels actes sont clairement interdits … et peuvent être poursuivis en vertu du Statut de Rome de la Cour pénale internationale ».

Chris Cobb-Smith, un expert en munitions, aurait déclaré : « Il n’y a aucune justification militaire à l’utilisation de [projectiles fumigènes avancés] ici. Ils sont intrinsèquement imprécis et inadaptés à un usage en milieu urbain ».

Deux cent cinquante-six personnes à Gaza et 14 en Israël ont trouvé la mort dans la guerre de 11 jours qui a opposé en mai dernier Israël au Hamas, le groupe militant palestinien qui contrôle la bande assiégée. Al-Haq a déclaré que la frappe de l’entrepôt de Khudair était la première d’une série d’attaques visant délibérément l’infrastructure économique et industrielle de Gaza, une demi-douzaine d’autres usines et entrepôts ayant été systématiquement bombardés.

Le 17 mai, deux jours après la destruction de l’entrepôt de Khudair, l’usine d’éponges Fomco a été attaquée de manière similaire, provoquant un incendie de grande ampleur. Le même jour, plus d’une demi-douzaine d’autres usines et entrepôts ont également été bombardés, révélant un schéma de frappes ciblées. Photo : Al-Haq et Forensic Architecture

La Cour pénale internationale (CPI) a ouvert en 2019 une enquête sur des crimes de guerre qui auraient été commis par les forces israéliennes et des militants palestiniens en territoire palestinien. Israël conteste la compétence de la CPI.

Les FDI ont déclaré dans un communiqué qu’en réponse à l’assaut des attaques du Hamas, Israël avait « mené une série de frappes sur des cibles militaires légitimes dans la bande de Gaza » l’année dernière, au cours de ce qui est connu en Israël sous le nom d’opération Gardiens des murs.

« Les FDI prennent toutes les précautions possibles pour éviter de blesser des civils au cours d’une activité opérationnelle », a déclaré un porte-parole, ajoutant que « l’événement en question » faisait l’objet d’une enquête interne des FDI « afin d’examiner s’il y a eu des déviations par rapport aux règles contraignantes et de procéder aux ajustements nécessaires en fonction des leçons qui seront tirées ».

« Nos enfants ont souffert des vapeurs toxiques, de nombreux jeunes du quartier ont été empoisonnés par ces produits toxiques. »

Les résidents vivant près de la zone désormais polluée ont décrit en détail les vapeurs toxiques intenses que leurs familles ont dû supporter après les bombardements, ainsi que les conséquences désastreuses sur leur santé. Photo : Al-Haq et Forensic Architecture

Israa Khudair, 20 ans, qui vit avec son mari et ses deux enfants à 40 mètres du site de l’entrepôt agrochimique, a fait une fausse couche au cinquième mois de sa grossesse, huit semaines après l’attaque.

« Pendant des mois, l’odeur était insupportable, comme celle d’un moteur de voiture mélangée à celle de l’huile brûlée, des eaux usées et du gaz de cuisine, alors bien sûr nous savions que cela pouvait être nocif », a déclaré son mari, Ihab, 26 ans.

« J’ai eu des éruptions cutanées depuis et la plupart des gens ici aussi. Nous avons lavé la maison cinq fois, ainsi que les meubles, mais l’odeur est restée. C’était comme de l’huile sur les murs… Finalement, en hiver, la pluie en a emporté une grande partie sur les décombres de l’entrepôt.

« Nous sommes inquiets pour notre santé maintenant. Un de mes cousins, qui n’a que 19 ans, et ma tante aussi, ont eu un cancer récemment et nous pensons que c’est lié à ce qui s’est passé ici. »

Des photos de munitions collectées sur le site par le Centre palestinien pour les droits humains montrent les restes de bidons cylindriques d’environ 15 cm de diamètre. Photo : Al-Haq et Forensic Architecture

Les combats de l’année dernière ont été la troisième série de conflits à grande échelle entre l’État israélien et le Hamas depuis que le groupe a pris le contrôle de Gaza en 2007, suite à quoi Israël et l’Égypte ont imposé un blocus punitif. Depuis lors, les infrastructures d’eau, d’égouts et d’électricité de la bande se sont pratiquement effondrées, laissant les deux millions d’habitants de Gaza aux prises avec des niveaux croissants de pollution de l’air, du sol et de l’eau.

Al-Haq, qui opère à Gaza et en Cisjordanie, a également fait l’objet d’attaques de la part des autorités israéliennes : l’année dernière, l’ONG a été l’une des six principales organisations de la société civile et de défense des droits humains travaillant dans les territoires palestiniens occupés qui ont été désignées comme organisations terroristes. Cette désignation a été largement condamnée par les Nations unies, les gouvernements occidentaux et d’éminentes organisations internationales telles qu’Amnesty International.

Rula Shadeed, chef du département de surveillance et de documentation d’Al-Haq, a déclaré dans un communiqué : « Sans notre travail professionnel de documentation, basé sur des normes juridiques, [les Palestiniens] ne peuvent pas demander des comptes ni demander justice. Il est crucial que nous introduisions de nouvelles méthodologies pour améliorer et compléter la documentation et la présentation régulière de notre travail.

« Nous sommes très fiers que, malgré les attaques illégales et les moments difficiles auxquels la société civile palestinienne est confrontée, nous parvenions toujours à poursuivre et à avancer dans notre travail, en raison de notre ferme conviction qu’il est important de dénoncer les violations commises contre notre peuple et de demander des comptes à leurs auteurs. »

Source : The Guardian

Traduction MUV pour l’Agence média Palestine

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