Les expulsions de Masafer Yatta autorisées par un juge d’origine britannique

Par Omar Zahzah, le 13 juin 2022

Un militant s’accroche le 20 mai avec des soldats israéliens à Masafer Yatta. (Mamoun Wazwaz / APA images)

Pour les Palestiniens et leurs soutiens, c’est connu sous le nom de Masafer Yatta.

Pour Israël – et en s’en tenant à l’indifférence aseptisée commune aux régimes coloniaux – c’est la Zone de Tir 918 depuis 1981, quand le ministre de l’Agriculture d’alors Ariel Sharon a explicitement pris la décision de cette appellation afin d’obliger les résidents de la zone à partir.

Située dans les Collines du Sud d’Hébron, la zone contient 12 villages palestiniens avec presque 2.800 résidents dont les moyens d’existence dépendent principalement de l’agriculture.

Des communautés agricoles ont vécu sur les 8.600 acres [4.300 hectares] de terre et l’appellent leur terre depuis des générations.

En 1999, l’armée israélienne a expulsé 700 résidents de la zone, bien qu’ils aient pu y revenir dans l’attente d’une décision finale.

Cette tentative de nettoyage ethnique vieille de plusieurs décennies entre maintenant dans sa phase cruciale.

Le 4 mai, la haute cour d’Israël a pris une décision autorisant l’expulsion de presque 1.200 Palestiniens de la zone, dont 500 enfants, décision dont l’ONU a dit qu’elle « peut s’apparenter » à un crime de guerre.

Le 1er juin, les forces israéliennes ont démoli deux maisons à Khirbet al-Fakhit et deux hangars de stockage ainsi que deux logements à Khirbet Markaz – tous deux faisant partie de Masafer Yatta. En tout, 21 personnes, dont neuf mineurs, ont été déplacés.

Onze maisons et des ateliers ont été démolis depuis le jugement du mois de mai.

« Nakba après Nakba »

Masafer Yatta met complètement à jour le caractère cynique, oppressif et avant tout colonial du jugement émis par David Mintz, juge qui vit dans une colonie illégale de Cisjordanie, et les actions de l’État d’Israël.

Comme l’exprime Nidal Younes, chef du conseil de village de Masafer Yatta, le jugement était tout simplement raciste.

« La décision de la cour est une décision raciste prise par un juge colonial … Nous nous sommes battus dans les tribunaux avec Israël au cours des 22 dernières années et ce juge n’a eu besoin que de cinq minutes pour détruire la vie de 12 villages et de leur population qui dépend de la terre. »

Younes considère le jugement comme une continuation de la Nakba, le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948.

« L’histoire se répète Nakba après Nakba », a dit Younes.

Ceci aide à mettre en lumière comment une injustice majeure s’est enracinée. D’origine britannique, Mintz exerce un pouvoir total, à vie, sur ceux qui sont les autochtones sur cette terre.

De bout en bout, Israël arme l’indétermination – une prépondérance « non résolue » des colons et des colonies (en fait, des colonisateurs et des colonies), des frontières non déclarées, une annexion de facto – contre la population indigène.

L’impératif premier d’Israël, c’est de déplacer, peu importe le coût.

C’est pourquoi les familles de Masafer Yatta ont besoin de « prouver » que chez eux c’est chez eux, et pourquoi cette vérité ostensiblement simple, et même banale, peut être délégitimée de façon si arrogante par la logique labyrinthique du droit colonial de peuplement.

Les mots de Younes reflètent aussi, dans les moindres détails, comment la lutte des Palestiniens à Masafer Yatta éclaire le caractère globalement anti-colonial de la lutte de résistance palestinienne dans sa totalité.

Nakba après Nakba. Tant que le Sionisme – l’idéologie de l’État d’Israël – existera, il continuera à s’exprimer dans une danse oscillant entre la violence coloniale et les lois coloniales réactionnaires qui la justifient.

Et, bien sûr, il y a le « colon » – le squatter glorifié, le colonisateur en puissance entièrement soutenu et autorisé par Israël qui, lui aussi, a été établi et est soutenu par les actes mêmes de vol avec violence, d’appropriation et de déshumanisation raciste que représente ce personnage.

Ce qui a commencé comme une apparente « exception » est inévitablement codifié en politique générale par un État colonial de peuplement.

Histoires de dépossession et de résistance

Les organisateurs et les militants demeurent parfaitement conscients qu’il y a une couche supplémentaire de cruauté ajoutée au processus colonial d’expulsion de Masafer Yatta. Comme l’a expliqué le militant Hamdan Mohamed al-Huraini, « Il ne s’agit pas vraiment de la destruction des maisons… il s’agit de la destruction de la vie. »

Si la zone peut être entièrement dépeuplée, la période pendant laquelle les Palestiniens y vivaient peut être à son tour effacée. Ceci permet à la conversion coloniale israélienne d’être finalement confirmée par une réalité en surface rendue possible par le nettoyage ethnique.

Il n’y aura alors aucune notion de temps, aucune possibilité d’histoire en dehors des prétentions du colonisateur.

En réalité, être un Palestinien vivant dans le présent étendu du colonialisme de peuplement sioniste continu signifie affronter le temps à maints niveaux et de maintes façons.

Tout d’abord, naturellement, cela signifie poursuivre une course contre la montre, alors qu’Israël et son armée volent davantage de terre, prolongent un blocus inhumain, rasent davantage de maisons et continuent d’exécuter, arrêter et incarcérer les Palestiniens, fracturant les chronologies étroites des liens de parenté.

Cela signifie aussi avoir une histoire coloniale armée contre vous, tandis que les procédures et les conventions mises en place par un régime colonial violent deviennent ses propres points de référence répétitifs justifiant la déshumanisation et la dépossession des Palestiniens.

La lutte continue pour sauver Masafer Yatta  tous ces points.

Mais l’histoire de Masafer Yatta n’est pas que la plus grande histoire de dépossession des Palestiniens.

Elle est aussi le plus grand récit de la résistance palestinienne.

« Le gouvernement d’Israël tout entier ne peut pas me déplacer. Nous ne quitterons pas… nous ne partirons pas d’ici parce que nous sommes les habitants de la terre », a déclaré le paysan palestinien Khalid al-Jabarin.

La phrase « Nakba après Nakba » nous rappelle que la Nakba ne fut pas un moment dans le temps. C’est un processus continu.

Un processus contre lequel les Palestiniens continuent de s’élever.

Ce qui se passe aujourd’hui à Masafer Yatta n’est fondamentalement qu’une partie de ce phénomène, comme la répression continue et la résistance dans le quartier Sheikh Jarrah de Jérusalem, à Gaza et au-delà.

L’Intifada de l’Unité de 2021 a montré au monde que les Palestiniens se soulèvent ensemble, où qu’ils soient.

C’est pourquoi nous ne devons pas seulement soutenir l’appel à sauver Masafer Yatta d’autant de façons que possible. Nous devons aussi voir le combat pour sauver Masafer Yatta comme connecté au plus large combat pour battre le colonialisme de peuplement israélien et pour libérer la Palestine du fleuve à la mer.

Omar Zahzah est le coordinateur de l’éducation et du plaidoyer pour Eyewitness Palestine, mais aussi un membre du Mouvement des Jeunes Palestiniens et de la Campagne Américaine pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël.

Source : The Electronic Intifada

Traduction J. Ch. pour l’Agence média Palestine

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