Le mouvement qui a permis l’adoption de BDS par le Crimson de Harvard

La position en vue du journal étudiant est l’aboutissement d’années de travail d’organisation politique sans relâche de la part de Palestiniens et d’alliés face aux obstacles institutionnels

Harvard PSC – 6 juin 2022

Des membres de PSC Harvard posent pour la photo d’une manifestation sur le campus (avec l’aimable autorisation de PSC Harvard)

En ce 29 avril 2022, la joie est palpable dans le petit local informatique de Adams House, l’une des 12 résidences de Harvard « Dammi Falastini » (« Mon sang est Palestinien ») de Mohammed Assaf est à fond sur les enceintes de quelqu’un, tandis que cinq membres en keffieh du Comité de Solidarité avec la Palestine du collège de Harvard partagent du baklava, penchés sur le photocopieur, en essayant de faire un scan parfait de l’édition du jour du Harvard Crimson, le journal de l’université. 

Après maintes tentatives, nous arrivons finalement à un titre parfaitement adéquat. « ÉDITORIAL : en soutien au Boycott, au Désinvestissement et aux Sanctions et pour une Palestine libre ». Ce n’est pas un Jeudi-Keffieh – une campagne de visibilité hebdomadaire de PSC consistant à porter le châle palestinien sur le campus comme acte de solidarité – mais nous plaisantons en disant que dorénavant chaque jour sera un jeudi. 

Dans le contexte d’un campus qui a souvent été hostile à l’égard de toute forme de plaidoyer pour la Palestine, l’adoption sans équivoque de BDS par la Rédaction du Crimson en avril dernier n’était pas précisément inattendue ; elle reflète un changement majeur dans les opinions des étudiants sur la Palestine aux États-Unis, après des années de plaidoyer et de mobilisation de terrain. 

Pendant des décennies, des militants étudiants du campus de Harvard ont accueilli des conférenciers, organisé des manifestations et des débrayages et se sont exprimés publiquement en faveur des droits humains des Palestiniens. Et au cours de ces années, PSC Harvard n’a pas été étranger aux réactions et à la contestation au niveau institutionnel.

Alors que nous célébrons cette réalisation historique, il est important de faire l’inventaire des luttes difficiles engagées par les membres actuels et antérieurs de PSC qui ont rendu possible ce moment et eu une influence sur tant d’étudiants – à Harvard et au-delà. 

Une histoire de militantisme et d’opposition

PSC Harvard a été créé en 2002. Le pic annuel de nos efforts de mobilisation est la Semaine Israël Apartheid (IAW), une série d’événements sur une semaine visant à lancer un débat sur le campus et au-delà pour promouvoir davantage de compréhension de la lutte palestinienne de libération et de ce à quoi ressemble la vie sous occupation. Chaque année, nous construisons aussi un « Mur de l’Apartheid » de plus de 2 m de haut (8 pieds) au centre du campus, où figurent des œuvres d’art sur différentes luttes intersectionnelles, des parallèles y étant établis avec la cause palestinienne.

Un côté de l’installation du “mur de l’apartheid de PSC Harvard construit sur le campus durant la Semaine Israël Apartheid 2022 (avec l’aimable autorisation de PSC Harvard)

En février 2020, nous avons lancé notre campagne de désinvestissement, Harvard Hors de la Palestine Occupée (HOOP) , qui exige de l’université de dénoncer ses investissements directs et indirects dans des sociétés complices de violations de droits humains contre des Palestiniens, de désinvestir de ces groupes et de réinvestir dans l’histoire, la culture et les communautés palestiniennes. 

Ces activités ont bien sûr suscité des attaques impitoyables. En 2019, le Conseil de Premier Cycle a organisé un vote public litigieux pour décider si le programme de la Semaine Israël Apartheid de PSC devait être financé ou non comme d’autres organisations. Le vote, qui a finalement eu pour résultat de garantir un financement à PSC, a été dominé par des étudiants qui rejetaient l’insistance de PSC sur BDS comme moyen de traiter de l’oppression en Palestine.

« Pendant toute la durée de la séance, il nous a fallu rester là et convaincre nos pairs, qui s’opposaient à nous et avaient un soutien historique et actuel, que nous (Palestiniens et alliés) sommes légitimes pour organiser des événements » dit Nadine Bahour, une étudiante palestinienne senior de premier cycle. « Le déséquilibre du pouvoir était inimaginable et l’opposition était différente de celle à laquelle a à faire face n’importe laquelle des 350 et plus organisations étudiantes de Harvard ». 

Ce fut la dernière IAW avant la pandémie. Cette année, nous sommes revenus à des invitations de personnes et les panels de notre Mur de l’Apartheid ont trouvé place une fois de plus sur le campus de Harvard en avril. Pour la plupart des étudiants de premier cycle, c’était la première fois qu’ils voyaient notre faux mur dans la vraie vie. « C’était très émouvant de voir une installation d’art radical au milieu du campus de Harvard, construit sur le principe de solidarité à partir de toute une série d’horizons » a partagé Asmer Safi, un étudiant de deuxième année.

Des membres de PSC Harvard participent à une manifestation propalestinienne sur le campus (avec l’aimable autorisation de PSC)

Pour les étudiants plus avancés, d’un autre côté, le retour de l’IAW fut la renaissance du souvenir. « Chaque année, pour le mur, on commence à contrecœur le processus de transport de matériaux et de construction. Mais chaque année, cela devient vite une source inattendue de camaraderie et de liens amicaux » raconte Christian Tabash, un étudiant de dernière année. « Chaque année où j’ai travaillé au mur, j’ai mieux connu ceux qui étaient avec moi puisque nous passions pratiquement un weekend entier à faire l’assemblage. Et quand le mur est fini, ça recalibre réellement notre travail et nos perspectives à l’université en nous rappelant quels sont les vrais enjeux ». 

Des changements visibles sur le campus

La totalité du programme de l’IAW de cette année a occasionné de fortes réactions et des campagnes de dénigrement, avec des mails agressifs, des articles condamnant notre action, des affiches de propagande contre notre installation et une contre-manifestation organisée par l’initiative Israël de Hillel Harvard, une antenne dotée de ressources consistantes de Hillel International qui a une politique de rejet du partenariat avec les organisations étudiantes antisionistes.

Cette attaque contre PSC Harvard ne vient pas seulement d’autres étudiants ou groupes d’étudiants. Les litiges avec les militants de PSC sont souvent nourris en partie par le personnel de Harvard – des employés de l’université et des professeurs qui exercent un pouvoir institutionnel significatif – de même que d’anciens étudiants. 

Sur le campus, cela se manifeste dans un déséquilibre considérable de pouvoir, de ressources et de soutien institutionnel entre des organisations étudiantes invoquant la liberté pour la Palestine et des groupes qui s’emploient activement à essayer d’étouffer nos voix. La rhétorique de ces derniers n’est que trop familière dans le contexte de la Palestine, où le cadre trompeur d’un « conflit » présente, à la fois intentionnellement et par inadvertance, une symétrie dans le phénomène d’oppression.

Le journal le Crimson a historiquement offert une plateforme à ces voix puissantes, en couvrant les événements et campagnes de PSC d’un éclairage négatif, accusant à tort ses membres d’antisémitisme et laissant entendre ou affirmant directement que les efforts d’organisation et de plaidoyer pour la Palestine sont radicaux, extrémistes ou polémiques parce que la réalité est « complexe ». Ce type de reportage sur le campus est lui-même un microcosme des attitudes de ce que les médias plus largement diffusent sur Israël aux États-Unis. 

Un côté de l’installation du “mur de l’apartheid » de PSC Harvard construit sur le campus pour la Semaine Israël Apartheid 2022 (avec l’aimable autorisation de PSC Harvard).

Hosam Nasr, un militant de PSC, désormais ancien étudiant, a partagé le fait que pendant ses études à Harvard, « le Crimson était un des éléments les plus hostiles sur le campus à l’égard de PSC et de la cause palestinienne plus largement. Sa politique consistant à ne pas permettre à des étudiants de publier anonymement des tribunes sur la détresse des Palestiniens, en prétendant que la menace d’être blacklisté (par des organisations d’extrême droite pro israéliennes comme Canary Mission, n’était pas une menace assez sérieuse, a effectivement fait taire des voix propalestiniennes sur le campus, y compris la mienne ». Pour Nasr, le récent éditorial est « une reconnaissance de cette très réelle menace ». 

Ce changement dans l’opinion étudiante, dont Nasr a fait l’expérience, s’étend bien au-delà du campus de Harvard. La tendance est en train de changer sur les campus des États Unis et des groupes d’étudiants votent avec succès lors de référendums appelant leurs institutions à désinvestir d’Israël de l’apartheid. L’Université Brown a été la première université Ivy League à voter en ce sens en 2019 ; l’Université Columbia a suivi et la liste s’allonge rapidement.

Notre campagne de désinvestissement à Harvard a remporté, pour sa part, quelques succès. Cette année, nous avons concentré nos efforts sur le ciblage des produits alimentaires Sabra dans nos réfectoires ; sur la contestation d’un groupe d’étude du département Kennedy de Harvard dirigé par un général israélien à la retraite ; et à appeler au boycott du voyage en Israël annuel financé par Hillel au moment des vacances e printemps. 

Au cours de chacune de ces campagnes, nos organisateurs ont rencontré une opposition à la fois institutionnelle envers PSC et au niveau personnel. Mais, en dépit de ces manœuvres d’intimidation, nous avons pu observer des progrès. Que ce soit l’annulation par des étudiants de leur inscription au voyage en Israël ou le retrait par l’intendance des produits Sabra des réfectoires, nous avons vu que le boycott est un moyen efficace pour faire prendre conscience, changer les opinions et laisser un impact durable. 

Avancer à partir de ce moment charnière

Au cours des dernières semaines, le Crimson a été inondé de tribunes de mécontents, de lettres d’anciens élèves et de rhétorique haineuse de la part de gens en position de pouvoir, dont certains au niveau du gouvernement des USA et de grandes organisations comme la Ligue Anti-Diffamation (ADL). La réaction à laquelle les membres de PSC et du Crimson sont maintenant confrontés est une conséquence déplaisante mais prévisible de notre travail inlassable de mobilisation et d’appel sans équivoque pour la libération du peuple palestinien. 

Des membres de PSC Harvard participant à une manifestation propalestinienne sur le campus (avec l’aimable autorisation de PSC Harvard)

Ce n’est pas malgré ces réactions mais grâce à elles que nous tenons bon. Nos détracteurs peuvent être détenteurs d’un pouvoir institutionnel, mais le vrai pouvoir réside dans le nombre et notre organisation étudiante collective fait entendre notre voix encore plus fort. 

De plus en plus de jeunes développent une pensée critique sur la Palestine en tant que problème de justice raciale et ce changement nourrit notre travail. Et c’est encourageant de voir que nous ne sommes pas seuls : tandis que des personnes affiliées à Harvard (des anciens élèves prioritairement) tentent de diaboliser la récente évolution du Crimson, de nombreux membres du corps enseignant se sont manifestés en soutien au journal et à BDS, en se centrant sur les droits humains et en soutien aux militants étudiants.

Comme toujours, PSC continuera à agir en soutien à la lutte palestinienne pour l’autodétermination, la justice et l’égalité. On ne nous fera pas taire sur les violations des droits humains par Israël. Nous ne serons pas intimidés par l’opposition. Nous continuerons à lutter pour une Palestine libre. 

Le Comité de Solidarité avec la Palestine du Collège de l’Université de Harvard est une organisation étudiante non sectaire qui se consacre au soutien à la lutte palestinienne pour l’autodétermination, la justice et l’égalité en faisant prendre conscience, par le plaidoyer et la résistance non-violente. Twitter: @HarvardPSC

Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

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