La souveraineté alimentaire et la colonisation de l’agriculture palestinienne

Par Jessica Anderson, le 12 mai 2022

La table palestinienne est célèbre pour son abondance, mais la souveraineté alimentaire palestinienne est menacée à cause du système israélien de colonialisme de peuplement et d’apartheid.

La table palestinienne est célèbre pour son abondance mais elle est aussi sujette à une abondance de restrictions sous le régime israélien de colonialisme de peuplement et d’apartheid.

Le tout dernier visuel de Visualizing Palestine (Visualiser la Palestine) montre comment ces restrictions s’ajoutent au déni de la souveraineté alimentaire palestinienne définie par La Via Campesina comme « le droit des peuples à une alimentation saine et appropriée culturellement, produite par des méthodes solides et durables du point de vue écologique et leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et culturaux ». La souveraineté alimentaire est un principe important adopté par le mouvement pour la justice environnementale qui relie les peuples autochtones, les communautés paysannes, les sans terre et les petits et moyens producteurs alimentaires à travers le monde. Ces groupes jouent un rôle essentiel pour la sécurité alimentaire mais ils se voient souvent refuser le contrôle sur la terre sur laquelle ils comptent pour leur survie physique, écologique et culturelle.

La souveraineté alimentaire plaide pour les droits sur la terre

Un des sept principes de la souveraineté alimentaire définie par La Via Campesina est la réforme agraire, soit une réforme qui « donne aux sans terre et aux agriculteurs, en particulier aux femmes, la propriété et le contrôle de la terre qu’ils travaillent et qui rend les territoires aux peuples autochtones ». La réforme agraire nécessite aussi d’assurer que le droit à la terre est libre de discrimination. La primauté de ce principe est fortement visible dans le contexte de la Palestine, où le colonialisme de peuplement israélien a dépouillé les Palestiniens d’une grande partie de leur terre agricole, créant des taux élevés d’insécurité alimentaire.

Les Palestiniens ont un héritage long et riche dans le Croissant Fertile.  Agriculteurs, ils ont étendu ses champs et vergers pendant des générations ; Pécheurs, ils ont moissonné sa terre ; et éleveurs, ils ont parcouru ses collines rocheuses et ses zones arides. Du temps du régime colonial britannique, les Palestiniens cultivaient déjà ce qui est estimé à 85% de la terre cultivable de Palestine, utilisant l’eau de pluie pour l’arrosage, des techniques à faible impact des intrants en harmonie avec le climat et l’économie locale.

Le rejet israélien de la souveraineté alimentaire palestinienne est ancré dans sa politique foncière discriminatoire dans tous les espaces qu’il contrôle. Pendant la Nakba de 1948, les réfugiés palestiniens ont perdu près de 4.6 millions de dounams de terre cultivable, que l’État israélien s’est rapidement approprié pour l’installation de colonies agricoles réservées aux Juifs. La prise de champs et de vergers palestiniens était célébrée comme un marqueur de la réussite sioniste et de son idéologie de suprématie ethnique. Dans la région du Nakab, Israël a rapidement exproprié 85%  des terres bédouines pour en faire des terres d’État.

L’appropriation par Israël de la terre agricole et l’attaque de communautés rurales continue dans la Nakba actuelle. Dans Gaza occupée et assiégée, 35% de la terre cultivable est inaccessible à cause d’actions militaires israéliennes. Le centre Al Mezan pour les droits humains a fait savoir que la marine israélienne a attaqué des pêcheurs dans les eaux territoriales palestiniennes 2 265 fois de 2007 à 2021. En Cisjordanie occupée, 63% de la terre cultivable est sous contrôle total israélien dans la zone C, et des communautés rurales palestiniennes dans la zone C sont parmi les plus vulnérables face à la politique israélienne de déplacement forcé. Dans la vallée du Jourdain, l’armée israélienne utilise la terre agricole et les pâturages palestiniens pour des entraînements, laissant derrière elle des munitions non explosées qui ont tué et blessé des Palestiniens par la suite. Le mur coupe 10% de la Cisjordanie, forçant des milliers d’agriculteurs palestiniens à solliciter des autorités israéliennes des permis pour travailler leur propre terre de l’autre côté du mur. En 2020, Israël a refusé 73% des permis demandés par des agriculteurs. 

visuel

Le problème actuel à Masafer Yatta est un exemple de la façon dont Israël vise sans relâche les communautés rurales palestiniennes de la zone C pour les déplacer et urbaniser. Masafer Yatta comporte 20 communautés de Bédouins palestiniens vivant d’agriculture et d’élevage sous occupation militaire israélienne dans les collines au Sud de Hebron. Après avoir déclaré que c’était une zone de tir dans les années 1980, les autorités israéliennes ont harcelé ces communautés par des exercices militaires et la démolition de maisons et elles ont engagé des procédures judiciaires. La Cour Suprême d’Israël, qui se tient fidèlement aux côtés de l’entreprise de colonisation illégale israélienne, a récemment rejeté l’appel visant à empêcher l’expulsion de plus de 1 000 habitants de Masafer Yatta, ouvrant la voie à la dernière en date des mises en œuvre d’une campagne de plusieurs décennies de nettoyage ethnique. 

Sous le régime foncier ottoman, l’acquisition de terre en Palestine reposait sur le fait de l’avoir cultivée pendant une durée continue de dix ans, en l’absence d’objection de l’État. Des droits fonciers collectifs étaient aussi reconnus aux pâturages et autres usages communaux. Israël a réinterprété et manipulé ces lois pour justifier de priver de ces droits fonciers les Palestiniens s’ils cultivaient seulement une partie de leurs terres ou s’ils cessaient de cultiver un certain espace à cause des restrictions israéliennes, de facteurs environnementaux ou pour d’autres raisons. De plus, Israël ignore les droits fonciers collectifs palestiniens. 

Alors que la politique foncière coloniale d’Israël est à la base de l’insécurité alimentaire palestinienne, la façon dont Israël contrôle le maximum de terres en y laissant un minimum de Palestiniens a produit pléthore de mesures de régulation et de restriction pour les producteurs non-juifs. Y figurent le refus du droit à l’eau, le refus de la liberté de mouvement, les attaques par des colons israéliens (en toute impunité), le contrôle sur les importations et exportations, des interdictions affectant les éleveurs et les ramasseurs et la  criminalisation de l’Union des Comités des Travailleurs Agricoles. Les éléments présentés dans le visuel de Visualizing Palestine sur la souveraineté alimentaire décrivent une sélection de ces restrictions. 

Verdir l’insécurité alimentaire

En conséquence du déni de leur souveraineté alimentaire, 69% des ménages palestiniens de Gaza et 33% de ceux de l’ensemble du territoire palestinien occupé étaient en insécurité alimentaire en 2021. La dépendance à l’aide alimentaire est particulièrement élevée à Gaza, où les secteurs de l’agriculture et de la pêche particulièrement florissants ont été dévastés par le blocus israélien, qui va atteindre quinze ans en juin. Le thème de la souveraineté alimentaire est un défi à la façon dont le paradigme de l’insécurité alimentaire échoue souvent à traiter des causes structurelles et systémiques de la faim et de la pauvreté, dans le cas présent les structures du colonialisme de peuplement et de l’apartheid israéliens. 

Le comble est qu’Israël a exploité le levier de son contrôle sur l’eau et les autres ressources pour construire un secteur de technologie agricole prospère et de premier plan à l’échelle mondiale. Des techniques comme l’arrosage goutte-à-goutte, la désalinisation et le réusage des eaux usées sont reconnues comme solutions à l’insécurité alimentaire et au manque d’eau dans le changement climatique, mais les mêmes politiques encourageant les Israéliens à innover contribuent au greenwashing de l’insécurité alimentaire et au dé-développement dont les Palestiniens font l’expérience sous le régime israélien. Les agriculteurs, environnementalistes et défenseurs palestiniens des droits humains ont documenté comment la gestion de l’eau par Israël nuit aux écosystèmes, aux agroéconomies et aux droits humains des Palestiniens, en laissant sécher leurs champs et leurs robinets tout en finançant l’eau pour la production intensive des colonies israéliennes. 

Le secteur de la technologie agricole illustre la recherche plus large de solutions technologiques répandus dans les débats sur le changement climatique dans les lieux de pouvoir. Celles-ci sont souvent dictées pas les grandes entreprises, les approches approuvées par des gouvernements qui se focalisent sur l’optimisation des inputs, la maximisation des résultats et qui tendent à pousser les petits agriculteurs à abandonner les méthodes traditionnelles en faveur de la consolidation de systèmes qui mettent en avant l’alimentation comme marchandise plutôt que l’alimentation comme source nutritive. Le mouvement pour la souveraineté alimentaire rejette la domination des corporations multinationales et des organisations internationales dans la configuration de la politique agricole et plaide au contraire pour le contrôle démocratique des systèmes alimentaires et pour la reconnaissance de l’importance du savoir autochtone et paysan dans la fabrication d’un avenir durable libéré de la faim, de la pauvreté, de l’exploitation des travailleurs et de la dégradation de l’environnement. 

Ce visuel est construit à partir du visuel précédent de Visualizing Palestine sur la justice environnementale en Palestine qui explore des concepts tels que la vulnérabilité climatique, le colonialisme vert, le racisme environnemental et le colonialisme extractiviste. 

Remerciements spéciaux à Growing Palestine pour leur apport et leur partenariat sur ce visuel et aux nombreux agriculteurs, environnementalistes, chercheurs et collectifs agricoles palestiniens dont le travail montre la voie dans le traitement de ces questions. 


Jessica Anderson est directrice adjointe de Visualizing Impact (VI), une organisation non-lucrative qui crée des outils visuels fondés sur des données pour la justice sociale. Visualizing Palestine, le premier et plus important projet de VI, apporte des outils qui transmettent un narratif factuel, basé sur les droits du mouvement palestinien pour la liberté, la justice et l’égalité. 

Source : Mondoweiss

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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