Les entreprises israéliennes d’armement qui vont profiter de la dernière agression sur Gaza

Par Keren Assaf, le 16 août 2022

Les fabricants d’armes et de surveillance ont intérêt à maintenir Gaza en terrain de jeu pour toute technologie qu’Israël souhaite tester sur les Palestiniens.

Une explosion fait suite à une frappe aérienne sur un bâtiment de Khan Younis, le 6 août 2022. (Attia Muhammed/Flash90)

L’attaque israélienne de 2014 sur la Bande de Gaza a représenté un tournant pour l’industrie israélienne d’exportation d’armes. Dans la foulée des 51 jours de bombardement, les nouvelles armes israéliennes testées au combat qui ont été développées et testées en opération pour la première fois – telles que les drones, les bombes et les équipements de surveillance terrestre – ont été vendues dans le monde entier grâce à des contrats de centaines de millions de dollars. A l’époque, un employé d’un des plus grands fabricants d’armes d’Israël a dit au journal d’affaires israélien The Marker que l’industrie nationale d’armement « souffrirait » si Israël passait 20 ans sans opération militaire majeure.

En l’occurrence, cet employé n’avait pas à s’inquiéter : à la suite de l’attaque majeure suivante d’Israël sur Gaza, en mai 2021, le pays a explosé son record de vente d’armes, engrangeant environ 11,3 milliards de dollars. Moins de quinze jours après l’attaque, Israel Aerospace Industries (IAI) – la plus grande compagnie aérospatiale et aéronautique d’Israël – avait déjà conclu un contrat de 200 millions de dollars de drones avec un pays d’Asie non spécifié.

Au cours de sa très récente agression sur Gaza au début du mois, Israël a intensément utilisé des Véhicules Aériens Sans Pilote (UAV). Israël est l’un des principaux exportateurs d’UAV [drones] au monde, et on a estimé en 2017 qu’il avait alimenté environ 60 % du marché mondial au cours des trois dernières décennies. Depuis le début du siège de Gaza 15 ans plus tôt, ses habitants ont été sous surveillance israélienne lourde et continue, y compris par des drones.

L’industrie israélienne de drones est dominée par Elbit Systems. D’après les dernières sources disponibles, Elbit fabrique environ 85 % des drones utilisés par l’armée israélienne, dont les drones armés Hermès 450 et Hermès 900, ces derniers ayant fait leurs débuts dans l’agression de 2014, dans laquelle une frappe d’un drone Hermès a tué quatre enfants en train de jouer sur une plage de Gaza. Les drones Hermès sont également déployés par le gouvernement américain pour surveiller sa frontière méridionale. Parmi les autres sociétés israéliennes qui fabriquent des drones utilisés à Gaza, on trouve IAI, Aeronautic Defense Systems (propriété de Rafael, l’une des plus grandes sociétés israéliennes d’armement), RT LTA Systems, et BlueBird Aero Systems.

Drones israéliens aperçus dans le ciel au-dessus de Khan Younis, Bande de Gaza, le 6 août 2022. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

Elbit produit aussi des canons conçus pour tirer des bombes à fragmentation. En 2008, plus de 100 pays ont signé une convention interdisant l’utilisation de bombes à fragmentation, qu’Israël – qui n’était pas signataire – a larguées sur Gaza l’année suivante, au cours de l’Opération Plomb Durci.

Au moins quatre types de missiles israéliens ont été utilisés à Gaza ces dernières années, dont les missiles téléguidés Spike de Rafael, qui furent la cause d’un nombre énorme de victimes civiles en 2014 et 2021. En 2014, Human Rights Watch a rapporté que c’était vraisemblablement un missile Spike qui avait atterri juste devant une école de Rafah où s’abritaient 3.200 civils, tuant 12 personnes, dont huit enfants. Entre 2020 et 2021, les ventes ont augmenté de près de 400 millions de dollars.

Beaucoup d’autres sociétés israéliennes ont tiré profit du siège continu de Gaza, dont les sociétés de cybernétique et de technologie qui développent les radars, les systèmes de contrôle et de surveillance – qui ont toutes transformé Israël en cyber-empire. Plus de 40 % de l’investissement mondial dans les sociétés de cybernétique vont aux sociétés possédées par Israël, telle Magal Security Systems, qui a construit ses « clôtures intelligentes » sur la frontière entre Israël et Gaza. Saar Koursh, PDG de Magal, a dit en 2018 que Gaza était devenue un parc d’exposition pour les clôtures intelligentes de sa société, prouvant à ses clients potentiels qu’elles avaient été testées au combat.

Le siège et les attaques sur la Bande de Gaza sont par conséquent une affaire rentable, et pas seulement pour Israël : d’après l’Armée de l’Air israélienne, quantité d’escadrilles qui ont participé aux plus récentes agressions ont utilisé des jets de combat F-15 et F-16, fabriqués par les géants américains de l’armement et de l’aérospatiale, respectivement Boeing et Lockheed Martin. On a dit aussi que des jets F-35 de Lockheed Martin avaient aussi été utilisés dans les bombardements. L’armée israélienne a également utilisé des jets Boeing et Lockheed Martin pour bombarder Gaza en 2014 et 2021, où elle a détruit de vastes zones habitées et causé des milliers de victimes au cours des deux agressions. Depuis 2021, Israël a acheté des dizaines d’avions, des pièces détachées, de l’entraînement militaire aux deux sociétés à la hauteur de milliards de dollars, le dernier accord connu, approuvé par le président Joe Biden, ayant eu lieu quelques semaines seulement avant l’agression de mai 2021.

Le C-1301 Super Hercule Lockheed Martin de l’Armée de l’Air israélienne, le 25 juin 2015. (Ofer Zidon/Flash90)

Toutes ces sociétés (et beaucoup d’autres) ont un intérêt évident à maintenir Gaza en terrain de jeu fructueux et sans limites pour toute technologie militaire qu’Israël souhaite développer ou tester. La possibilité de qualifier certaines armes de « testées au combat » fournit à l’industrie d’énormes avantages que d’autres nations – y compris celles qui oppriment elles-mêmes militairement leurs populations civiles – cherchent elles aussi à conserver.

Ce cycle se répète sans cesse. Ces dernières semaines, il a coûté la vie de dizaines de Palestiniens à Gaza, dont un tiers étaient des enfants, et en a laissé des centaines d’autres blessés et sans domicile. Et cela continuera d’arriver tant que l’industrie israélienne de l’armement fera circuler pour des milliards de dollars d’armes, la majorité des pays du monde étant complice et en profitant grâce aux exportations et aux importations.

Keren Assaf est une militante anti-militariste, directrice du Programme Israélien d’AFSC et codirectrice de DIMSE – Base de Données des Exportations Militaires et Sécuritaires d’Israël.

Source : +972 Magazine

Traduction J. Ch. pour l’Agence média Palestine

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