La famille de Shireen Abu Akleh rejette la dernière opération de dissimulation israélienne

Par Ali Abunimah, le 5 septembre 2022 

Une photo de la journaliste assassinée, Shireen Abu Akleh, placée sur une chaise auprès des journalistes qui attendent les remarques du président américain, Joe Biden, et du dirigeant de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, suite à la rencontre de ces derniers dans la ville de Bethléem en Cisjordanie occupée, le 15 juillet dernier. (Majdi Mohammed / AP Photo)

La famille de Shireen Abu Akleh a rejeté lundi les résultats de l’enquête officielle menée par Israël sur l’assassinat de cette journaliste  d’Al Jazeera, mondialement connue. 

Abu Akleh fut mortellement touchée à la tête à Jénine le 11 mai, alors qu’elle couvrait avec d’autres journalistes un raid de l’armée israélienne dans cette ville de la Cisjordanie occupée. Son collègue Ali al-Samoudi fut blessé par une balle dans le dos.

« On ne saurait attendre de l’entité responsable de l’abattage d’un journaliste non armé et clairement identifiable qu’elle rende compte de ses actes ou qu’elle mène une enquête légitime», a déclaré Lina Abu Akleh, la nièce de la journaliste, dans un tweet partageant la réaction de la famille.

Auparavant, l’armée israélienne avait affirmé, selon le journal Haaretz « que la journaliste  avait probablement été abattue par erreur par un soldat israélien sous le feu qui utilisait une lunette télescopique et qui l’aurait à tort identifiée comme un tireur palestinien armé. » Il y a eu au moins neuf enquêtes distinctes sur le meurtre d’Abu Akleh. Les témoignages concordent pour dire qu’il n’y a pas eu d’échanges de tirs dans la zone au moment où Abu Akleh, qui était clairement identifié comme journaliste, a été tuée. 

L’une de ces enquêtes a été menée par CNN qui a rapporté en mai qu’elle avait obtenu « de nouvelles preuves – dont deux vidéos sur la scène de la fusillade – qu’il n’y avait pas eu de combat actif, ni de militants palestiniens, près d’Abu Akleh dans les moments précédant sa mort ». 

« Les vidéos obtenues par CNN, corroborées par les témoignages de huit témoins oculaires, d’un analyste judiciaire audio et d’un expert en armes explosives, suggèrent qu’Abu Akleh a été abattue lors d’une attaque ciblée par les forces israéliennes », ajouta la chaîne américaine. 

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Clairement absurde  

Quant au dernier des récits contradictoire d’Israël il affirme, selon Haaretz, que des tireurs palestiniens ont tiré en direction d’un véhicule de l’armée israélienne. « L’un des soldats a cru qu’Abu Akleh faisait partie des militants armés qui leur tiraient dessus, et il a tiré sur elle à l’aide d’une lunette télescopique », affirme le journal, citant les conclusions de l’armée. 

« On ne peut pas déterminer avec certitude qui a tiré sur elle », a déclaré un haut responsable de l’armée israélienne cité par Haaretz. « Il faut dire qu’il y avait à la fois des soldats de Tsahal et des Palestiniens sur les lieux ». 

Ce récit ne tient pas la route – et non seulement du fait que les enquêtes précédentes ont systématiquement conclu à l’absence d’échanges de tirs avant le meurtre d’Abu Akleh. Comment, en effet, les Israéliens peuvent-ils prétendre savoir qu’un de leurs soldats a tiré sur elle à l’aide d’une lunette de visée, tout en ignorant qui c’était ? 

Les soldats sur place savaient forcément qui a tiré. Les israéliens ne pouvaient ignorer qui, parmi eux, était muni d’un fusil à visée télescopique. Si un seul soldat a tiré, cette personne est le principal suspect. S’il s’agit de quelques uns, le champ de suspects possibles ne peut que se restreindre.  L’absurdité de l’affirmation d’Israël, selon laquelle il ne peut déterminer qui a tiré le coup de feu fatal, saute aux yeux.  

Le bureau de l’avocat général de l’armée israélienne a déclaré qu’il n’ouvrirait pas d’enquête sur les soldats impliqués car « il n’y a aucun soupçon qu’une infraction criminelle ait été commise ».Dans un effort supplémentaire pour faire passer le meurtre pour un acte non intentionnel voire justifiable, le chef de l’armée israélienne, Aviv Kochavi, a qualifié lundi la mort d’Abu Akleh d’« incident malheureux » , survenu « au cours d’une activité opérationnelle visant à contrecarrer le terrorisme palestinien ». 

« Notre famille n’est pas surprise par ce résultat, car il est évident pour tout le monde que les criminels de guerre israéliens ne peuvent pas enquêter sur leurs propres crimes », indique la déclaration partagée par Lina Abu Akleh. 

La famille a déclaré qu’elle continuerait à demander au gouvernement étatsunien de mener sa propre enquête sur le meurtre de Shireen Abu Akleh, qui était citoyenne américaine. 

Encore une dissimulation

Les groupes de défense des droits de l’homme soulignent depuis longtemps que la principale tâche du bureau de l’avocat général de l’armée israélienne n’est pas de déterminer la vérité mais de protéger les soldats israéliens contre toute imputation de responsabilité. 

En 2016, B’Tselem a annoncé qu’il cessait de coopérer avec le système d’enquête militaire. 

« Nous n’aiderons pas plus longtemps un système qui ‘blanchit’ les investigations et sert de feuille de vigne à l’occupation », avait alors déclaré le groupe israélien de défense des droits de l’homme. 

Lundi, B’Tselem a rejeté l’enquête de l’armée sur le meurtre d’Abu Akleh comme un autre « blanchiment », affirmant que le meurtre « n’était pas une erreur » et qu’il s’agissait plutôt d’une « politique » israélienne. 

« Il a fallu une énorme pression publique et internationale pour qu’Israël avoue du bout des lèvres qu’un de ses soldats a tué la journaliste Shireen Abu Akleh – tout en se dégageant de toute responsabilité pour sa mort », ajoute B’Tselem. 

« Le meurtre d’Abu Akleh est le résultat prévisible de la politique scandaleuse qui permet à Israël d’ouvrir le feu avec impunité dans les territoires occupés. Cette politique fait de plus en plus de victimes pendant que l’opération de couverture se poursuit imperturbablement . »

Le Comité de protection des journalistes a rejeté les conclusions d’Israël comme « tardives et incomplètes », ajoutant que le résultat de l’enquête annoncé lundi « n’apporte pas les réponses – ni en transparence ni en responsabilité – que sa famille et ses collègues sont en droit d’attendre. » 

Omar Shakir, directeur de Human Rights Watch pour Israël et la Palestine, a noté que l’accent mis par Israël sur la nature prétendument « non intentionnelle » du meurtre d’Abu Akleh « est une tentative délibérée de détournement ». 

« Israël a régulièrement recours à une force excessive – ses tirs aveugles tuent et mutilent régulièrement des Palestiniens, y compris des journalistes », a déclaré M. Shakir.

« Personne ne s’interroge sur ‘ l’intention’ d’un conducteur continuellement ivre qui tue – on le punit sévèrement. » 

La complicité de Washington 

La dernière tentative de dissimulation d’Israël ne peut s’entendre que comme  un exercice de relations publiques. 

En miroir à Israël qui a fait semblant de mener une enquête sur le meurtre d’Abu Akleh, les États-Unis – le principal mécène d’Israël – ont fait semblant d’en exiger une. 

En réalité, les États-Unis ont aidé Israël à s’acquitter de ce meurtre – ignorant les demandes croissantes des membres du Congrès et de la famille Abu Akleh pour que les États-Unis lancent leur propre enquête. 

Compte tenu de son bilan, il y a peu de raisons de penser que Washington – et ses fidèles de l’Union européenne – ne continuera pas à jouer le jeu d’Israël, à moins que les demandes d’une réelle justice et d’une assomption de responsabilité ne restent fortes et constantes. 

L’annonce israélienne de lundi – le jour de la fête du travail, un jour férié aux États-Unis – soulève également des soupçons induisant qu’elle ait été programmée à ce moment-là pour attirer le moins d’attention possible. 

Notons que les États-Unis ont choisi le 4 juillet – leur propre jour dit d’indépendance et un autre grand jour férié pour publier une déclaration affirmant que Washington n’a pu parvenir à une conclusion définitive concernant l’origine de la balle qui a tué » la journaliste. 

Si les États-Unis ont bien reconnu à l’époque qu’Israël avait probablement tué Abu Akleh, les justifications et excuses qu’ils ont avancées ont été largement tournées en dérision et rejetées. 

« Le meurtre par Israël de notre chère Shireen ne peut être balayé d’un revers de main », a déclaré lundi la famille Abu Akleh, qui a exhorté ses partisans à maintenir la pression sur le président Joe Biden et le secrétaire d’État Antony Blinken. 

« Aucune autre famille ne devrait avoir à endurer ce que notre famille a dû subir. Nous ne pouvons pas et nous ne nous arrêterons pas tant que nous n’aurons pas obtenu justice pour Shireen. » 

Source : The Electronic Intifada 

Traduction B.M pour l’Agence média Palestine

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