Par Matthew Knott, le 21 octobre, 2022
Exalté serait un mot trop fort. Mais Nasser Mashni, le vice-président de l’Australia Palestine Advocacy Network, a été encouragé par trois mesures que le gouvernement Albanese a prises, depuis sa récente arrivée au pouvoir, pour modifier la position de l’Australie sur le conflit israélo-palestinien.
Si les deux premières n’ont guère attiré l’attention, la troisième a provoqué cette semaine une véritable tempête.
En juin, l’Australie a refusé d’ajouter sa signature à une déclaration sur Israël et les territoires palestiniens proposée aux Nations Unies par les États-Unis, signalant ainsi une position plus indépendante de la part du gouvernement nouvellement élu.
En septembre, la ministre des Affaires étrangères, Penny Wong, a annoncé que l’Australie doublerait la contribution de l’Australie à UNRWA, la UN Relief and Works Agency for Palestine Refugees, la portant de 10 à 20 millions de dollars. Des groupes juifs australiens ont critiqué cette décision, affirmant que l’Agence était rongée par la corruption et attisait la haine d’Israël.
« L’Australie reste un fervent partisan d’une solution à deux États, dans laquelle Israël et un futur État palestinien coexisteraient dans la paix et la sécurité à l’intérieur de frontières internationalement reconnues », avait alors déclaré Wong. « On ne pourra atteindre cet objectif en continuant de regarder le conflit israélo-palestinien à partir d’une perspective unique. »
Puis, mardi, le gouvernement a annoncé qu’il ne reconnaîtrait plus Jérusalem-Ouest comme capitale d’Israël. Les travaillistes avaient promis en 2018 de revenir sur la décision du gouvernement Morrison de reconnaître Jérusalem-Ouest comme capitale, mais la question n’avait reçu que peu d’attention depuis. Ni les groupes pro-israéliens ni les groupes pro-palestiniens s’étaient imaginés que cela pourrait figurer parmi les priorités du gouvernement.
« Je pensais que cela finirait par arriver, mais je ne savais pas que cela arriverait cette semaine », expliqua Mashni, dont le père était un réfugié palestinien. « Je suis évidemment content que cela se soit produit, mais je suis déçu par tout le tapage autour de l’annonce. Je pense qu’il s’agit d’intimider le Parti travailliste et de l’empêcher de faire quelque chose de plus substantiel ».
Le Premier ministre israélien Yair Lapid, qui doit faire face à des élections dans deux semaines, a fustigé le gouvernement pour sa décision « hâtive », affirmant que « nous ne pouvons qu’espérer que le gouvernement australien va gérer les autres questions de manière plus sérieuse et professionnelle ». L’ambassadeur d’Australie en Israël a été convoqué pour se faire rappeler à l’ordre.
Les médias israéliens ont rapporté que leur gouvernement visait le long terme dans sa réponse, s’outrageant sur la question de Jérusalem-Ouest dans l’espoir d’empêcher le gouvernement Albanese de reconnaître un État palestinien.
« C’est la raison pour laquelle nous avons réagi si fortement et nous ne doutons pas que le message soit bien passé » a déclaré un responsable israélien au site d’information Walla.
Un ancien haut diplomate israélien a déclaré au site d’information Ynet que d’empêcher l’Australie de reconnaître la Palestine constituait une préoccupation majeure pour Israël.
« Nous avons certes pris un coup avec la décision australienne [sur Jérusalem-Ouest] mais c’est peu de choses à côté de ce que serait la reconnaissance d’un État palestinien », a déclaré l’ancien diplomate. « Espérons que cela ne soit pas vers là que l’on se dirige. »
Mashni et ses collègues militants pro-palestiniens espèrent que c’est justement vers là que va le gouvernement. « Nous attendons avec impatience que le Parti travailliste honore son engagement, pris lors de deux conférences nationales antérieures, de reconnaître l’État de Palestine », a-t-il déclaré.
Lorsqu’on lui demande s’il est d’avis que le gouvernement suivra, il insiste : « C’est une évidence. Le Premier ministre et le Parti travailliste ont insisté sur la nécessité de tenir ses promesses – et il a promis de reconnaître la Palestine. »
Si le gouvernement devait reconnaître la Palestine avec un statut d’État, cela représenterait pour l’Australie une rupture significative avec ses plus proches alliés internationaux et intensifierait les divisions déjà présentes au sein du Parti travailliste à propos de la question israélo-palestinienne.
Actuellement, 138 des 193 États membres des Nations Unies reconnaissent la Palestine en tant qu’État – une liste qui comprend presque tous les pays de l’’Afrique, de l’Amérique du Sud et de l’Asie.
L’Australie fait actuellement partie des pays qui ne le reconnaissent pas, rejoignant en cela les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, le Japon, la Nouvelle-Zélande et d’autres.
Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères et du Commerce a déclaré : « L’Australie ne reconnaît pas un État de Palestine. Nous continuons d’appeler toutes les parties à reprendre les négociations en vue d’une solution juste et durable à deux États. »
Lors de la conférence nationale travailliste de 2018, le parti a adopté une motion appelant le prochain gouvernement travailliste à reconnaître la Palestine en tant qu’État. Lors de sa conférence nationale l’année dernière, le Parti travailliste a intégré la résolution dans sa plate-forme officielle, affirmant que le Parti « s’attend à ce que cette question soit une priorité importante pour le prochain gouvernement travailliste ».
La résolution a été présentée par Penny Wong, une dirigeante de l’aile gauche du Parti qui est maintenant ministre des Affaires étrangères. Elle a été soutenue par Tony Burke, personnage clef de l’aile droite du Parti travailliste NSW (représentant parlementaire du New South Wales (Nouvelle-Galles du Sud)), et un des plus ardents défenseurs du Parti travailliste pour la Palestine.
Auparavant, les opinions sur Israël et la Palestine suivaient en grande partie des lignes de partage au sein du Parti travailliste. L’aile droite étant plus disposée à favoriser Israël et l’aile gauche, la Palestine.
Cette ligne de fracture s’est estompée ces dernières années, en particulier dans la droite travailliste du NSW. Bob Carr, l’ancien premier ministre de la Nouvelle-Galles du Sud (NSW), incarne ce changement de position – lui qui a contribué à la création des Amis travaillistes d’Israël dans les années 1970, mais qui est aujourd’hui, parmi les travaillistes, l’un de ses critiques les plus vifs à l’égard d’Israël.
« Israël avait un gouvernement travailliste, Israël semblait façonné par la social-démocratie », dit Carr à propos de son soutien initial. « La question n’est plus la même. Désormais, il ne s’agit plus de ce que vous pensez d’Israël mais de ce que vous pensez d’une occupation israélienne interminable en Cisjordaniepar un gouvernement de droite de plus en plus nationaliste. »
Carr ajoute que c’est aussi un « simple fait » que de nombreux députés travaillistes de l’ouest de Sydney représentent des électorats comptant un grand nombre d’électeurs issus du Moyen-Orient avec des opinions pro-palestiniennes.
En 2012, Carr et d’autres membres de la droite travailliste NSW ont mené une révolte ministérielle contre Julia Gillard, la contraignant à s’éloigner d’un mouvement qui faisait pression pour voter contre l’octroi aux Territoires palestiniens d’un siège aux Nations Unies. L’Australie s’est finalement abstenue lors du vote.
Les forces travaillistes pro-israéliennes sont désormais concentrées au sein de la droite Victorienne (il s’agit de l’État de Victoria), dans un regroupement associé au procureur général Mark Dreyfus, au député de Melbourne Josh Burns, et à l’ancien député Michael Danby.
Dreyfus a déclaré après la conférence nationale du Parti en 2021 que « le Parti travailliste ne s’est pas engagé à reconnaître un État palestinien » et qu’un futur gouvernement aurait suffisamment de marge pour forger ses propres décisions.
La plate-forme du Parti n’est pas contraignante pour le Parti parlementaire et toute décision sur la création d’un État palestinien relèverait en fin de compte du cabinet ministériel.
Le co-directeur général du Conseil exécutif de la communauté juive australienne, Alex Ryvchin, a déclaré que reconnaître la Palestine serait « un acte purement symbolique et reviendrait à une énième attaque contre Israël qui n’améliorerait pas matériellement la vie des Palestiniens ».
« Tout comme Jérusalem est la capitale d’Israël, les Territoires palestiniens ne remplissent pas les conditions requises pour devenir un État », dit-il. « (De tels actes) ne reconnaîtraient qu’une fausse réalité. »
Le Premier ministre Anthony Albanese est un partisan de longue date des droits des Palestiniens et, au cours de sa carrière parlementaire, a régulièrement critiqué le comportement d’Israël dans les Territoires occupés.
Il a cependant été un ardent opposant au « mouvement boycott, désinvestissement et de sanctions » (BDS) contre Israël.
Lors d’un événement Zoom avec la communauté juive l’année dernière, Albanese a déclaré que le Parti travailliste agirait avec prudence sur la question de la reconnaissance d’un État palestinien.
« Nous n’entreprendrons aucune action sans consulter les organisations et les nations concernées à tous les niveaux, y compris la communauté juive en Israël et ailleurs, et la communauté palestinienne », a-t-il déclaré.
Certains défenseurs de la cause palestinienne prévoient d’intensifier le lobbying pour la création d’un État dans la seconde moitié de l’année prochaine, à la suite des élections d’État à Victoria et en Nouvelle-Galles du Sud.
D’autres pensent que toute décision sera l’affaire d’un second mandat d’Albanese, en particulier suite à la réaction israélienne à la décision de cette semaine sur Jérusalem-Ouest.
Trad. M.B pour l’Agence Média Palestine
Source : The Sidney Morning Herald