Les défis en matière de souveraineté alimentaire en Cisjordanie sont d’ordre politique.

Par Reem Abd Ulhamid, le 29 Octobre 2022

Des Palestiniens assistent à un marché d’agriculteurs à Ramallah, le 25 juin 2022. (Photo: Wajed Nobani/APA Images) 

Pour les agriculteurs palestiniens, protéger la terre est plus important que de la cultiver lorsqu’elle est toujours menacée de confiscation coloniale.

« Nous retournons à la terre comme à un refuge chaque fois qu’il y a une crise. C’est naturel, car il est clair que la terre est notre mère », a déclaré Farid Tamallah, militant écologiste et fondateur de Souq al-Fallahin, un marché local reliant directement les agriculteurs au public consommateur en Cisjordanie. « Après deux ans de pandémie mondiale, la question de la sécurité alimentaire est revenue sur le devant de la scène, poussant les jeunes agriculteurs à revenir à l’agriculture. »

Tamallah, lui-même agriculteur et fondateur de Sharaka 2011 (une association communautaire qui organise Souq al-Fallahin), précise que la pandémie a exacerbé les conditions déjà difficiles qui ont menacé la simple survie du secteur agricole palestinien.

« Il est très important de soutenir les paysans palestiniens dans leur capacité à survivre », dit-il. « Et ce n’est pas seulement pour leur sécurité alimentaire – survivre signifie adopter un mode de vie complet où les paysans palestiniens deviennent des défenseurs de la terre. À partir de ce moment-là, protéger la terre devient aussi important que la cultiver. »

Ces dernières années, les militants écologistes palestiniens ont appelé les agriculteurs à adhérer aux principes de l’agroécologie, les définissant comme un mouvement social prônant un ensemble de pratiques qui tiennent compte des facteurs écologiques, socioculturels, économiques et politiques qui façonnent les systèmes alimentaires, de la production à la consommation. 

Selon nombre de ces militants, les principes de l’agroécologie pourraient être utiles dans le contexte politique particulièrement désastreux de la Palestine, qui se caractérise par des conditions socio-économiques restrictives. Outre les changements climatiques – fluctuations des températures, des pluies et décalage des saisons – les agriculteurs palestiniens sont constamment exposés au risque de confiscation des terres par la colonisation israélienne, en plus des restrictions à la liberté de mouvement des agriculteurs palestiniens, et du danger que représentent les colonisateurs en détruisant les cultures des Palestiniens. 

« L’idée du marché des agriculteurs de Souq al-Fallahin, qui se tient une fois par semaine, est de contrer les restrictions israéliennes sur la circulation des produits et la fragmentation de la Cisjordanie », explique Tamallah. « Il le fait en fournissant aux petits agriculteurs un marché pour vendre leurs produits qui seraient autrement gaspillés. » 

Le marché, situé dans les gouvernorats de Ramallah et d’Al-Bireh, met à disposition une vingtaine de tables pour que les petits agriculteurs puissent faire la publicité de leurs produits. Les agriculteurs viennent pour la plupart de zones rurales situées dans la zone C, sous le contrôle total de l’armée israélienne. En plus de servir de point de vente commun dans la zone A (zone de contrôle administratif palestinien), le marché fonctionne également comme un espace commun où les agriculteurs peuvent interagir et partager des expériences personnelles sur leur lutte, ainsi que des stratégies de résilience et de ténacité à travers des pratiques agricoles agroécologiques. 

« À chaque graine que nous plantons, nous gagnons en autonomie »

Le secteur agricole palestinien souffre d’un grave manque de sources. La zone C, qui abrite 63% des terres agricoles de Cisjordanie, est sous le contrôle exclusif des autorités civiles et de sécurité israéliennes. La pénurie d’eau est également un grave problème dans ces zones, car Israël contrôle 85% des sources d’eau palestiniennes et les agriculteurs n’ont pas le droit d’utiliser ces puits. 

Les difficultés économiques ont été aggravées par la récente hausse des prix des produits agricoles, qui a détourné de nombreux agriculteurs de leur métier pour leur permettre de trouver des emplois mieux rémunérés dans les colonies israéliennes illégales, souvent en tant qu’ouvriers de l’industrie et de la construction. L’agriculture a donc vu sa contribution au PIB de l’économie palestinienne diminuer, comme l’indique le Bureau central palestinien des statistiques (PCBS). Le taux d’emploi dans le secteur de l’agriculture, de la pêche et de la forêt est passé de 45 % en 2003 à 6,7 % en 2021. 

Selon M. Tamallah, la diminution de la main-d’œuvre agricole a effectivement décimé le secteur. 

« Le tableau n’est toutefois pas entièrement sombre », s’empresse-t-il d’ajouter. « Il existe des initiatives exceptionnelles et inspirantes qui donnent de l’espoir. Et nous avons aussi une riche expérience historique héritée de nos ancêtres, qui étaient aussi des paysans. »

Les pratiques adoptées dans les approches de l’agriculture agroécologique sont conformes aux méthodes agricoles palestiniennes traditionnelles, soutient Tamallah, arguant que ces pratiques historiques se trouvent également être à la fois respectueuses et en harmonie avec l’environnement palestinien. Par exemple, les cultures non irriguées ou « ba’li » qui dépendent des pluies saisonnières – leur nom provient du dieu cananéen Baʿal, un dieu de l’orage associé à la fertilité datant de 1500-1300 avant notre ère – sont plus appropriées au climat semi-aride de la majeure partie de la Cisjordanie.

Vivien Sansour est anthropologue et fondatrice de la Palestine Heirloom Seed Library, qui préserve 47 variétés différentes de graines palestiniennes ancestrales. Il s’agit de semences traditionnelles qui ne sont pas génétiquement modifiées et qui résistent à la sécheresse. Elles ne sont pas seulement bonnes pour la santé de l’agriculture dans une perspective globale, mais sont aussi nécessaires aux agriculteurs palestiniens dans les circonstances actuelles. Sansour estime que « chaque fois que nous plantons une graine, nous gagnons en autonomie ». Pour Sansour, les agriculteurs palestiniens dépendent fortement des semences commerciales qui doivent être achetées à chaque saison de plantation, alors que les semences traditionnelles peuvent être stockées et replantées. De plus, les agriculteurs peuvent se passer d’engrais chimiques et de pesticides coûteux. 

L’hégémonie des produits israéliens sur les marchés de Cisjordanie 

« J’étais sur le point d’abandonner l’agriculture. C’est un travail fatigant, éprouvant et financièrement peu rentable », explique Odai Asfour, enseignant et agriculteur de Sinjil, un village situé juste au nord de Ramallah. « Mais nous continuons ». 

Avec sa femme, Odai cultive des plantes saisonnières sur ses 5 dunams (0,5 hectare) de terres agricoles qu’il a héritées de ses arrière-grands-parents.  

« Ma femme et moi cultivons des concombres, des haricots verts, des tomates, du chou frisé et des pastèques, si la culture survit aux changements de temps et à la hausse torride des températures », explique Asfour. « Mais ces cultures courent toujours un grand risque d’être détruites ». 

Asfour, comme de nombreux agriculteurs de Cisjordanie, a été exposé à plusieurs attaques de colons israéliens, lesquels sont souvent accompagnés d’une escorte de l’armée israélienne.

« Nous avons perdu près de la moitié de notre production de tomates pas plus tard que le mois dernier, dit-il, parce que des soldats israéliens ont décidé de marcher sur nos tomates nouvellement plantées juste après que ma femme et moi ayons fini de les planter. Et il y a eu trois autres incidents similaires au cours de l’année. »

Le PCBS a documenté une augmentation du nombre d’attaques de colons contre les agriculteurs palestiniens en Cisjordanie en 2021, enregistrant environ 1 600 violations contre les agriculteurs palestiniens en Cisjordanie. Celles-ci comprennent l’arrachage, la destruction et le brûlage de 19 000 arbres et plantes.

Asfour a découvert Souq al-Fallahin après s’être renseigné et avoir effectué des recherches sur Internet il y a deux ans. Avant cela, il vendait ses récoltes en les exposant dans la rue principale reliant Naplouse et Ramallah.

« Puis l’armée israélienne nous a interdit de vendre, pour des raisons de sécurité », a déclaré Asfour. Bien que sa participation au marché ait facilité l’accès aux consommateurs une fois par semaine, il subsiste un certain nombre de problèmes fondamentaux, à savoir le coût de production élevé et la concurrence déloyale des produits israéliens moins chers. »

L’hégémonie des produits israéliens sur les différents marchés de Cisjordanie constitue peut-être le plus grand obstacle pour les agriculteurs palestiniens. « Ils importent des produits de seconde zone qui sont nocifs pour notre santé », déclare Asfour. « Au moins, nos produits sont exempts de tous ces produits chimiques ».

Les affirmations d’Asfour sont étayées par des recherches scientifiques. Début 2020, l’Applied Research Institute-Jerusalem (ARIJ) a mené une série de tests en laboratoire sur huit échantillons de tomates et de poivrons provenant du nord, du centre et du sud de la Cisjordanie. Les résultats ont révélé qu’environ 72% des légumes vendus aux consommateurs palestiniens dans ces trois endroits contenaient des niveaux élevés de résidus de pesticides agricoles, violant ainsi les normes préconisées pour la qualité des produits (appelées Codex Alimentarius) de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FOA). 

« Aucun parti politique officiel ne semble s’intéresser à la détérioration de la situation des agriculteurs », affirme M. Asfour. Il pose ensuite une dernière question : « Mais qu’en est-il des effets néfastes sur notre santé ? »

Trad. A.G pour l’Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

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