Élections en Israël : Ben-Gvir le vrai vainqueur dans une nouvelle ère définie par la suprématie juive

Les partis religieux de droite autrefois marginaux sont sur le point d’éclipser les forces parlementaires traditionnelles, poussant le pays jusqu’en territoire inconnu.

Par Lily Galili, le 2 novembre 2022

Le chef du parti Jewish Power, Itamar Ben-Gvir, s’exprime après l’estimation sortie des urnes lors des élections générales en Israël, au siège de son parti à Jérusalem, le 2 novembre 2022 (Reuters)

Le peuple d’Israël, épuisé par cinq tours d’élections en un peu plus de trois ans, voulait un résultat sans équivoque des élections du 1er novembre, quoiqu’il en soit, et ils l’ont obtenu : une victoire retentissante pour la droite ultra-nationaliste et suprématiste juive, dirigée par le poids lourd politique montantItamar Ben-Gvir.

Un nouvel Israël est né de cette élection, un État dont la vague définition comme « juif-démocrate », souvent questionnée quant à sa possibilité même, a été catégoriquement décidée : juif – oui ; démocratique – pas vraiment.

L’issue des résultats, bien qu’ouvrant la voie à un retour spectaculaire au pouvoir de l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu, aura des ramifications bien au-delà de sa victoire personnelle.

Les vrais gagnants sont les partis religieux de droite lesquels, ensemble, sont bien placés pour éclipser la domination jusqu’à là incontestée du Likoud à droite en Israël.

On prévoit que les trois partenaires de la future coalition de Netanyahu – le parti ultra-orthodoxe ashkénaze United Torah Judaism UTJ (qui devrait gagner huit sièges), le parti Sephardi Orthodox  Shas (qui devrait en prendre 11) et l’alliance Religious Zionism (qui devrait en prendre 14 ) – devraient assembler entre eux 33 sièges, un de plus que les 32 sièges du Likoud.

Graphique des résultats initiaux des élections israéliennes 

La nature apparemment contradictoire inhérente à la question d’un état « judéo-démocratique » ne les a jamais troublés. Leur réponse a toujours été « l’État juif » d’abord, sinon uniquement.

Le Likoud de Netanyahu, qui a été accusé de ses propres tendances antidémocratiques, sera une minorité au sein de son propre bloc de 65 des 120 sièges au parlement, ou Knesset. La gauche sioniste est pratiquement morte dans cette aube d’un nouveau jour en Israël.

Un nouveau territoire pour Netanyahu

Tôt le jour des élections, le Premier ministre par intérim Yair Lapid a déclaré à la presse : « Ces élections représente un choix entre le passé et l’avenir ». Le passé semble avoir gagné et s’apprête à définir l’avenir. Un exemple symbolique : seules huit ou neuf femmes, sur la base de résultats partiels, feront partie de la coalition des 65 députés de Netanyahu. Aucune femme ne figure dans les partis religieux orthodoxes.

Dans une interview à la radio mercredi matin, la députée Orit Strook de Religious Zionism a tracé les contours du nouveau gouvernement : État juif, gouvernance, souveraineté.

Tous les trois excluent les citoyens palestiniens d’Israël, qui représentent 20 % de la population.

Interrogé concernant le futur de l’annexion de la Cisjordanie occupée , on a éludé la réponse. La solution à deux États, quelle que soit sa viabilité, est désormais officiellement morte et enterrée.

Ce n’est pas ce dont Netanyahu rêvait. Dans tous ses gouvernements précédents, il a fait un réel effort pour être la principale force de la droite politique, en veillant à ce que certains partenaires centristes soient inclus dans ses coalitions. Cela l’a bien servi en Israël et encore mieux à l’étranger, en particulier avec le gouvernement étatsunien, qui, sous l’administration de Joe Biden, adresse maintenant des messages d’inquiétude.

Cette fois-ci, il est l’acteur « modéré » de la coalition de droite la plus radicale jamais assemblée.

Ce n’est pas la zone de confort habituelle de l’homme qui a l’habitude de s’approprier chaque succès. En témoigne son discours discret aux membres du Likoud après que les premiers résultats l’aient montré en tête dans les sondages à la sortie des urnes.

« C’est un bon début, c’est tout ce que je peux dire pour le moment », a déclaré Netanyahu dans sa première réaction aux sondages. « Cela dépend du résultat final. »

Il connaît la vérité et il entend le message. Ben-Gvir, le leader d’extrême droite du parti Otzma Yehudit (Jewish Power) de l’alliance Religious Zionism, est bien sûr le vrai vainqueur.

« L’heure de Ben Gvir est venue »

Au moment où Ben-Gvir est entré mardi soir au siège de son parti, la foule scandait « le Premier ministre arrive ». Le député suprématiste juif a répondu modestement : « Pas encore ».

La foule s’est ensuite déplacée pour scander le slogan populaire « mort aux terroristes », qui signifie en réalité « mort aux arabes ». Ben-Gvir lui-même avait remplacé le mot « arabes » par « terroristes », dans l’une de ses nombreuses tentatives visant à atténuer certaines de ses insultes anti-palestiniennes explicites.

Des partisans du parti israélien Jewish Power applaudissent au siège de campagne à Jérusalem après la fin du vote aux élections nationales, le 1er novembre 2022 (AFP)

Soigneusement déguisé tout au long de la campagne, une fois la victoire acquise, Ben-Gvir a ôté son masque de modéré. Il a ouvertement échangé des étreintes chaleureuses avec des racistes et des homophobes notoires dont il s’était éloigné pendant des semaines avant le vote. Parmi eux, Dov Lior, l’un des rabbins les plus radicaux du mouvement des colons, qui a appelé à plusieurs reprises au nettoyage ethnique des musulmans arabes et qui a exprimé son soutien de principe aux meurtres de masse.

« C’est OK de tuer des civils innocents et de détruire Gaza », a-t-il déclaré en 2014, pour citer l’une de ses nombreuses remarques incendiaires.

Mais Ben-Gvir se devait de rester modeste. Il n’est pas encore Premier ministre, même si le futur Premier ministre doit compter presque exclusivement sur son soutien.

L’ancien avocat, qui vit dans une colonie israélienne illégale en Cisjordanie occupée, est sans doute le principal moteur du taux de participation étonnamment élevé aux élections de mardi, le plus élevé que le pays ait connu depuis 2015.

Netanyahu l’a envoyé à la périphérie de la scène politique israélienne pour amener aux urnes les électeurs qu’il n’a lui-même pas réussi à atteindre dans le passé ainsi que ceux qui s’abstiennent traditionnellement.

La campagne de Ben-Gvir a bien fonctionné et a amené les nouveaux électeurs dans le giron de la droite, mais ils ont surtout voté pour la star politique montante, pas pour le vétéran Netanyahu.

C’est pourquoi le Premier ministre resté le plus longtemps au pouvoir, dont le record est appelé à s’étendre encore, ne peut s’approprier la victoire que Ben-Gvir lui a offerte.

« L’heure de Ben-Gvir est venue », a toujours été le slogan du parti Jewish Power, et cette fois-ci, il s’est traduit dans la réalité.

Ben-Gvir est devenu « la queue qui remue le chien », et il est là pour en tirer le meilleur parti.

Il veut être ministre de la sécurité publique pour assouplir les règles d’engagement des forces de sécurité, tout comme il est prompt à tirer son arme, en particulier sur les palestiniens lorsqu’il se sent « menacé ».

Il pourrait réaliser son souhait. Bezalel Smotrich, le chef moins en vue mais non moins dangereux de Religious Zionism, aspire au portefeuille du ministère de la Défense. Il se verra probablement refuser le rôle, mais conservera toujours le pouvoir de manipuler et d’extorquer Netanyahu, qui a une dette envers les deux et en a besoin pour assurer son succès.

Faillite de la gauche

Au lendemain de la fermeture des bureaux de vote, peu d’hommes politiques ou d’analystes ont évoqué l’option.

alternative d’une coalition du parti Likoud-National Unity, dirigée par l’actuel ministre de la Défense, Benny Gantz.

Il est peu probable que cela se produise car Gantz, comme le reste du bloc anti-Netanyahu, a obtenu de mauvais résultats aux élections et ne devrait remporter que 12 sièges.

Il en va de même pour le parti Travailliste, qui devrait remporter quatre sièges, et le Meretz, lequel ne semble pas à l’instant où nous écrivons pourvoir franchir le seuil électoral.

De la gauche en tant que telle, il ne reste donc plus en Israël que Hadash-Ta’al, la liste palestinienne bipartite, qui devrait remporter cinq sièges, mais qui n’est pas vraiment considérée par la majorité des juifs israéliens comme faisant partie de la gauche.

L’une des nombreuses raisons de l’échec du bloc anti-Netanyahu est l’emménagement de la droite – comme Gantz, Avigdor Lieberman du parti Yisrael Beytenu et Gideon Saar de la liste New Hope – dans le camp des partis de gauche.

Il était impossible de délivrer un mandat de centre-gauche piégé comme on l’était dans la coalition gouvernementale sortante. Tel était certainement le cas en ce qui concerne le bloc hétérogène composé de huit partis qui n’avaient pas grand-chose en commun, si ce n’était de maintenir Netanyahu hors du pouvoir.

Lapid à la tête de ce bloc a lamentablement échoué à les unir. Et il n’a désormais rien à dire d’autre qu' »attendre que la dernière enveloppe soit ouverte et comptée », comme il l’a dit avant les résultats.

Le pire est encore à venir

La démographie est un facteur crucial dans cet Israël en mutation, et cela se voit dans les chiffres. Les populations orthodoxes et les colons ont le taux de natalité le plus élevé de la société israélienne. C’est un fait.

L’alliance que le Netanyahu laïc a scellée avec les orthodoxes il y a des années fut une décision politiquement intelligente. Aucun autre secteur ne lui reste aussi fidèle.

Un autre facteur important dans les résultats a été la réaction aux événements violents de mai 2021, au cours desquels des violences meurtrières entre citoyens palestiniens et juifs ont secoué des villes binationales.

Ce fut une expérience traumatisante pour les deux parties qui a laissé un résidu de méfiance et de peur.

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Une campagne de peur menée par la droite a fleuri sur ce terrain fertile ; Ben-Gvir était la bonne personne au bon moment pour en tirer le meilleur parti.

Encore une fois, la gauche n’a proposé aucun programme alternatif et n’a pas adressé ce sentiment. Comme dans tant d’autres pays aujourd’hui dans un monde baigné de peur, la droite radicale et fasciste prospère.

Les questions immédiates tournent maintenant autour de ce que sera le programme du futur gouvernement.

A en juger par les premières déclarations des représentants du Likoud qui sont autorisés à commenter, la « réforme » du système judiciaire sera une priorité. On parle de « réformes », mais ce sera probablement une révolution à grande échelle avec pour but d’affaiblir le système judiciaire et d’accroître le pouvoir des politiciens à la Knesset, comme l’a déjà évoqué Smotrich pendant la période de campagne.

Cela signifie que le nouveau gouvernement travaillera probablement sur une législation qui pourrait restreindre le procès pour corruption présumée de Netanyahu.

Le député du Likoud, Mickey Zohar, a été clair quant à quoi il faudrait s’attendre : « La principale différence sera que cette fois, nous gouvernerons vraiment. »

Une déclaration qui sonne plus comme une menace que comme une promesse – signe que le pire est à venir.

Trad B.M pour l’Agence Média Palestine

Source : Middle East Eye

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