Quand Karim Khan de la CPI rompra-t-il son silence sur la Palestine ?

Par Maureen Clare Murphy, le 01 décembre 2022 

Des groupes de défense des droits de l’homme demandent au procureur en chef de la CPI d’affirmer que la Cour enquêtera sur l’assaut contre Gaza mené par Israël en août /  Mohammed ZaanounActiveStills

Personne ne s’attendait à ce que la quête palestinienne de justice auprès de la Cour pénale internationale (CPI) aboutisse rapidement et sans difficulté.

Le fait est que peu de progrès ont été réalisés dans les trois ans qui se sont écoulés depuis que Fatou Bensouda, la procureure en chef de la CPI à l’époque, a mis fin à son enquête préliminaire de plusieurs années, recommandant in fine une enquête sur les crimes de guerre présumés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Alors que la situation sur le terrain ne cesse de se détériorer, l’enquête palestinienne semble s’enliser de plus en plus. Les grands pouvoirs mondiaux sont soit ambivalents, soit ouvertement hostiles à l’investigation, tout en prodiguant un soutien sans faille à l’enquête récemment ouverte par la CPI sur l’Ukraine.

Et entre-temps, nous avons vu Israël élire le gouvernement de droite le plus extrême de son histoire, mettant en vedette des défenseurs sans vergogne d’exécutions extrajudiciaires et du nettoyage ethnique.

L’année 2022 a été la plus meurtrière pour les palestiniens en Cisjordanie depuis au moins 2005 et le siège que l’on peut qualifier de « sociocide » imposé par Israël à Gaza se poursuit implacablement. Quant aux perspectives pour 2023, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles ne sont pas bonnes.

Jusqu’à quel point la situation doit-elle se détériorer avant que Karim Khan, procureur en chef de la CPI depuis juin 2021, ne traite l’enquête sur la Palestine avec l’urgence que, de toute évidence, elle requiert?

Dissuasion

Quelque 200 organisations en Palestine et à travers le monde mettent la pression sur Khan non seulement pour qu’il enquête sur les crimes israéliens, mais aussi pour qu’il les empêche en avertissant Israël de leur illégalité.

Bensouda, la prédécesseure de Khan, a émis un certain nombre de tels avertissements, empêchant un crime de guerre sinon plus pendant son mandat.

Le ministre israélien des Affaires étrangères de l’époque a, en effet, reconnu par la suite que l’intervention de Bensouda concernant la destruction prévue de Khan al-Ahmar, une communauté bédouine de Cisjordanie, avait poussé le gouvernement à suspendre au moins provisoirement le projet.

« Cela montre sans équivoque que de telles déclarations à visée préventive peuvent avoir une effet dissuasif », déclarent quelques dizaines de groupes dans leur lettre à Khan.

Ils pointent du doigt « d’importantes occasions manquées pour de telles déclarations préventives », comme lors de l’offensive militaire unilatérale d’Israël sur Gaza pendant trois jours en août 2022 qui a tué des civils dans leurs maisons.

« De même, aucune déclaration de ce type n’a été émise lorsque l’armée israélienne a attaqué et agressé des fidèles à la mosquée al-Aqsa et dans l’enceinte d’al-Haram al-Sharif à Jérusalem-Est occupée, le troisième site religieux le plus sacré pour les musulmans », ajoutent-ils.

« Les incursions ont eu lieu pendant le Ramadan, le mois le plus sacré du calendrier musulman, dans une escalade qui a gravement menacé la paix et la sécurité régionales. »

Les groupes ont également noté les « désignations comme terroristes » par Israël de six ONG éminentes et réputées de la société civile palestinienne accompagnées de  raids récents contre leurs bureaux.

Trois des groupes ciblés ont fourni des preuves à la CPI et c’est bien la nature « constructive » de leur « engagement » – comme dit la lettre à Khan – qui est en grande partie la raison pour laquelle Israël les réprime.

Silence

Et pourtant Khan est resté silencieux.

« Bien que l’attaque orchestrée par Israël visant ces organisations puisse clairement entraver le travail de la CPI, il n’y a eu aucune réaction de votre bureau en direction du public », indique la lettre, appelant Khan à condamner et à demander l’effacement de ces désignations infamantes.

Les groupes appellent également le procureur en chef à promettre que la CPI enquêtera sur l’offensive israélienne d’août sur Gaza et « accélérera de toute urgence » l’enquête sur la Palestine, « y compris les crimes contre l’humanité que sont l’apartheid et les persécutions ».

Ils exhortent également Khan à se rendre en Cisjordanie et dans la bande de Gaza et de solliciter l’aide de l’Égypte et de la Jordanie, non seulement en vue de faciliter une telle visite, mais aussi pour ouvrir un bureau en Palestine même, dont l’accès pour les enquêteurs internationaux des droits de l’homme est depuis longtemps refusé par Israël .

Al-Haq, l’un des groupes désignés et perquisitionnés par Israël, qui fournit des preuves au tribunal, intente en parallèle une action en justice contre le Centre d’information et de documentation d’Israël (CIDI), un lobby israélien basé aux Pays-Bas.

Le groupe de défense des droits de l’homme accuse le CIDI de diffamation pour avoir amplifié les allégations non fondées d’Israël à son encontre.

Le CIDI a publié « des dizaines d’articles » au cours des dernières années « prenant pour cible les organisations de la société civile palestinienne » et « délégitimant leur travail vital de défense des droits de l’homme », déclare Al-Haq.

Le groupe de pression (le CIDI) a longtemps fait campagne pour mettre fin à toute aide néerlandaise aux groupes palestiniens.

À cette fin, il a emprunté les campagnes de diffamation du gouvernement israélien, dont le dossier tristement représentatif « Terroristes en costume » produit par le ministère israélien des Affaires stratégiques, un document de 76 pages contenant des caricatures racistes, des erreurs factuelles et des affirmations non fondées.

« Allégations diffamatoires »

Selon Al-Haq, en mai et juin de cette année, le CIDI a publié et promu sur les réseaux sociaux « trois articles diffamantes tentant de ternir (sa) réputation professionnelle ».

« En plus de contenir de nombreuses allégations diffamantes, ces articles du CIDI étaient truffés de graves erreurs factuelles », a déclaré Al-Haq cette semaine.

Ces erreurs et fausses déclarations  comprenaient l’affirmation selon laquelle les principales sociétés de cartes de crédit auraient bloqué les paiements à Al-Haq depuis 2018, la classant comme « organisation terroriste ».

Le groupe de défense des droits déclare que les sociétés de cartes de crédit n’ont pas « mis fin à leurs services financiers à Al-Haq – ne serait-ce que parce qu’Al-Haq ne bénéficiait pas de tels services ».

Le CIDI affirme qu’Al-Haq a été fondé par Shawan Jabarin, l’actuel directeur général, et prétend qu’il est un commandant du FPLP, un parti politique marxiste-léniniste avec une branche armée proscrit par Israël, les États-Unis et l’UE.

Al-Haq fut en fait fondé en 1979 par les juristes palestiniens Raja Shehadeh, Charles Shamas et Jonathan Kuttab.

Quant à l’affirmation selon laquelle Jabarin est un commandant du FPLP, Al-Haq déclare qu’il s’agit « d’un exemple choquant de diffamation hautement toxique ».

Le groupe de défense des droits ajoute que « les principales accusations du CIDI portent sur des allégations erronées et non fondées selon lesquelles Al-Haq est impliqué dans le terrorisme – une accusation grave, juridiquement comparable à la complicité de meurtre ».

Les Pays-Bas font partie des 10 États européens qui ont rejeté les désignations terroristes d’Israël contre Al-Haq comme celles contre plusieurs autres groupes de la société civile palestinienne.

La plainte en justice somme le CIDI de supprimer les trois articles d’ici le 5 décembre et lui demande de « publier des rectifications claires » de ses  « inexactitudes factuelles et affirmations non fondées ».

L’avocat d’Al-Haq a également déposé une plainte pénale auprès du procureur néerlandais « en raison de la gravité des fausses allégations du CIDI et du tort déjà causé à la réputation d’Al-Haq, en particulier aux Pays-Bas ».

« Nous avons défié les efforts du gouvernement israélien pour fermer Al-Haq et pour nous réduire au silence – et nous continuerons à le faire », a déclaré le groupe lundi.

« Dans le même esprit, nous ne serons pas réduits au silence par des groupes qui nous diffament afin de perturber le travail éthique que nous menons en faveur des droits humains. »

Bref, il est grand temps que Karim Khan de la CPI rompe son silence et montre sa solidarité avec les groupes palestiniens qui sont persécutés pour la simple raison qu’ils cherchent à représenter devant la Cour les victimes des crimes graves d’Israël.

NB: La même Maureen Clare Murphy nous apprend dans son article du 13 décembre pour The Electronic Intifada que, confronté aux plaintes de Al-Haq, « le lobby pro-israélien (le CIDI) a avoué avoir menti à propos du groupe palestinien pour les droits humains ». Le CIDI a donc supprimé trois articles de son site web qui laissaient entendre, sur des bases mensongères, qu’Al-Haq était un organisme terroriste.

Trad B.M pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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