DJ Sama’ Abdulhadi parle de techno et de ténacité : « En tant que Palestinien.ne, vous savez que votre vie peut s’arrêter en dix minutes »

Par Dhruva Balram, The Guardian, 6 janvier 2023

Le dancefloor a permis à Abdulhadi de se libérer des pressions politiques auxquelles elle est confrontée en tant que « femme, arabe et palestinienne ». Bien qu’un spectacle dans une mosquée menace de la conduire en prison, elle ne s’arrête pas dans sa quête.

« C’est beaucoup de pression car je veux représenter parfaitement la Palestine… » Sama’ Abdulhadi. Photo: Tristan Hollingsworth

On dit de la DJ et productrice Sama’ Abdulhadi qu’elle était une enfant précoce. Dotée d’un dynamisme insatiable, elle excellait dans presque tous les domaines. Mais ce n’était pas une enfant prodige ordinaire, explique-t-elle. « La première chose que vous apprenez en tant que Palestinien est que vous allez probablement mourir. Vous devez vous engager un peu plus parce que la vie peut s’arrêter en dix minutes. »

Abdulhadi, 32 ans, est née en Jordanie dans une famille qui avait été exilée de Palestine par les forces israéliennes après que sa grand-mère, Issam Abdulhadi, une grande militante des droits des femmes, ait organisé un sit-in et une grève de la faim. La famille a été autorisée à revenir en 1993. Enfant, Abdulhadi a créé un groupe de battle hip-hop et a joué dans l’équipe nationale de football du pays, avant qu’une blessure mettant fin à sa carrière ne vienne couper court à ses rêves. Elle a quitté la Palestine pour étudier le design sonore dans la capitale libanaise, Beyrouth, et a découvert la techno lors d’un concert local du DJ japonais Satoshi Tomiie.

« Je ne comprenais pas ce qui se passait », dit-elle lorsque nous nous parlons en décembre, par vidéo depuis une pause à Paris après une tournée qui l’a menée de l’Australie au Liban. « Puis j’ai commencé à danser. Six heures plus tard, la fête s’est terminée et j’étais confuse parce que je suis passée dans une autre zone. J’étais une enfant très en colère. J’étais très agressive et puis, tout d’un coup, les heures [sur le dancefloor] passaient et je ne pensais plus à la politique. »

Abdulhadi a commencé à organiser des fêtes, à être DJ à travers le monde arabe (elle s’installera au Caire pour travailler comme ingénieure du son) et à se faire connaître pour ses sets qui font trembler le plafond, éclatants et pétillants avec une énergie menaçante et soutenus par des rythmes punchy ravageurs à base de samples. En 2018, elle s’est produite à Ramallah, le centre administratif de la Palestine, pour la plateforme de streaming en ligne Boiler Room. Son set est devenu viral : avec plus de 11 millions de vues, c’est l’une des vidéos les plus regardées de la plateforme.

Elle est probablement l’artiste palestinienne la plus en vue qui se produit aujourd’hui. « C’est beaucoup de pression car je veux représenter parfaitement la Palestine », dit-elle. Elle a fait l’expérience des frictions qui peuvent accompagner la représentation. En 2020, elle a reçu des autorisations des autorités palestiniennes pour se produire à Nabi Musa, une mosquée qui fait office d’espace événementiel, d’auberge et de destination de pèlerinage. Près de cinq heures après le début de son concert, des Palestiniens religieux ont pris d’assaut le lieu après avoir vu des images sur les réseaux sociaux. Abdulhadi a arrêté la fête pacifiquement. Le temps qu’elle rentre chez elle, les vidéos de l’incident ont fait le tour des médias. Le Premier ministre palestinien, Mohammad Shtayyeh, a annoncé qu’il mettait en place un « comité d’enquête » pour déterminer ce qui s’était passé.

Abdulhadi a été arrêté le lendemain matin et emprisonné pendant huit jours pour avoir profané un site religieux. La date de son procès a été repoussée trois fois. Si elle est reconnue coupable, elle risque plusieurs années de prison. « Au début, c’était difficile », dit-elle. « Maintenant, je me dis : ah, c’était juste un jour de plus. J’en ai parlé pendant un an à tout le monde et à n’importe qui, ce qui m’a guérie. J’essaie toujours de trouver la petite goutte d’eau dans le verre qui est vide. C’est peut-être un truc palestinien, la résilience ».

Cette caractéristique a été mise à rude épreuve récemment, dit-elle. « Il fut un temps où des gens d’Allemagne achetaient des billets et s’envolaient vers la Palestine pour des fêtes », dit-elle. « Mais maintenant, plus personne ne vient. » L’occupation israélienne de la Palestine s’est intensifiée au cours des deux dernières années, et plus de 72 000 Palestiniens ont été déplacés au cours du seul conflit de 2021. « Personne n’est d’humeur à faire une fête. Personne ne pense même à organiser son anniversaire », dit Abdulhadi.

Elle devait être commissaire d’une partie de la Palestine Music Expo en 2022, mais l’événement a été annulé en raison de l’instabilité dans la région. Découragée, elle a trouvé un autre moyen d’offrir une plateforme à ses pairs, en créant l’Union Collective pour les créatifs palestiniens, parmi lesquels des chefs, des ingénieurs du son et de la lumière et des animateurs. Certains de ses musiciens la rejoindront ce mois-ci lors de la première soirée de sa résidence de quatre semaines au Phonox, une institution du clubbing du sud de Londres. « Nous avons décidé de créer un collectif pour tous ceux qui ne sont pas dans un collectif et qui veulent en faire partie », explique Abdulhadi. « Les règles sont que vous devez être d’accord avec le fait d’accepter des feedbacks, de travailler ensemble et de ne jamais gagner d’argent ».

Trad. A.G pour l’Agence Média Palestine

Source: The Guardian

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