Par Pauline Ertel, le 24 janvier 2023
Deux amies ont fondé une agence d’organisation de voyages touristiques pour tenter de montrer une autre facette de la Palestine, en dehors du cadre de l’occupation israélienne.
Fatiguées des stéréotypes qui entourent la Palestine et du manque de couverture de la beauté naturelle, de la diversité et de la richesse culturelle de la Palestine, Bisan Alhajhasan, 33 ans, et Malak Hasan, 32 ans, passionnées de voyages, ont décidé de prendre les choses en main.
Les deux amies, toutes deux palestiniennes, parcourent à vélo, en trekking et en voiture les lieux cachés de la Cisjordanie depuis 2019, désireuses de découvrir de nouveaux endroits et d’apprécier les paysages splendides et les décors naturels.
Après avoir été bloquées à Ramallah pendant la pandémie de Covid-19, les deux femmes ne pouvaient plus rester chez elles. Elles se sont retrouvées régulièrement pour marcher et faire du vélo, et ont découvert des destinations uniques que même les locaux ne connaissaient pas.
Et c’est ainsi qu’est née AhlanPalestine.
Constatant un manque sur le marché, et mettant en commun leurs expériences de blogueuse de voyage et de journaliste, le duo a fondé une page Instagram pour créer des circuits personnalisés autour de la Palestine.
Amatrices d’aventure
Les deux aventurières se sont rencontrées pour la première fois lors d’un voyage à vélo entre Ramallah et Aqaba, une ville située sur la mer Rouge en Jordanie.
À partir de ce moment, elles sont souvent parties en voyage ensemble.
« Nous nous sommes rendu compte que même les locaux ne connaissent pas ces endroits. Certains vivent à Ramallah mais ne connaissent pas les villages environnants, les sentiers de randonnée ou les produits locaux. Et les étrangers ne connaissent que les dix premiers endroits, alors qu’il y en a tellement plus. Il fallait que quelqu’un les montre », a déclaré B. Alhajhasan à Middle East Eye.
Avec plusieurs années de voyage en Palestine derrière elles, toutes deux détiennent une mine d’informations sur les routes, les endroits où dormir, où manger, et les activités à faire.
C’est particulièrement important en Cisjordanie, où la liberté de mouvement est fortement limitée par l’occupation israélienne par le biais d’un système complexe de routes et de postes de contrôle.
Les restrictions empêchent les Palestiniens de se rendre dans certaines zones. Savoir comment se déplacer et atteindre des endroits spécifiques est donc une information précieuse.
Circuits personnalisés
B. Alhajhasan et M. Hasan ont officiellement créé leur page de circuits touristiques sur Instagram en mai 2020, après des années de fonctionnement informel. Aujourd’hui, la page compte environ 26 000 followers.
Très vite, leur page s’est remplie de photos et de vidéos de leurs voyages dans des oliveraies et des fermes de palmiers dattiers, et de leurs randonnées.
Pour eux, la page ne vise pas seulement à permettre d’explorer davantage les riches paysages de la Palestine. C’est un moyen de documenter le changement des saisons, l’histoire, la musique, le folklore, la danse et la nourriture de la Palestine. La page s’est progressivement transformée en un moyen d’archiver le patrimoine palestinien.
B. Alhajhasan explique que cet aspect de leur travail est important à la lumière des tentatives constantes d’effacement de l’existence palestinienne par l’occupation israélienne.
Aujourd’hui, le duo propose des visites personnalisées, dont le prix dépend de l’expérience proposée et de la présence ou non de nuitées. Le prix moyen des visites varie entre 100 et 250 dollars.
Pour réserver une visite, on peut envoyer une demande via leur page Instagram, et les organisatrices répondent et tentent d’évaluer le type d’expérience qui pourrait plaire en demandant l’âge et les centres d’intérêt des personnes concernées.
« Certaines personnes sont très ouvertes d’esprit et disent : nous voulons juste voir la Palestine. C’est ce que je préfère ! ».
Sur la base des informations fournies, Malak et Bisan conçoivent ensuite un circuit.
L’une des excursions les plus courantes est celle autour de Bethléem, qui commence par un petit-déjeuner palestinien traditionnel dans le centre-ville, suivi d’une visite de l’église de la Nativité.
L’« excursion nature » comprend une randonnée autour de Ramallah ou de Bethléem, un déjeuner dans la nature et une baignade rafraîchissante dans les sources d’eau douce.
Parmi les circuits les plus aventureux, citons une nuit dans le désert près de Bethléem et une excursion matinale en 4×4 le long de la mer Morte.
« Il y a tellement d’aventures à vivre autour de la Palestine, on ne s’y attendrait pas », dit B. Alhajhasan.
Pendant les saisons spéciales, la célèbre saison de la récolte des olives en Palestine, par exemple, les voyages comprennent la visite d’un champ d’oliviers ou d’une presse à huile d’olive.
Restrictions de voyage
Bien qu’il soit possible d’explorer de nombreuses parties de la Palestine par ces circuits touristiques, le fait de ne pas pouvoir se déplacer librement reste un défi.
Des routes bloquées aux points de contrôle et aux attaques de colons, les conséquences de l’occupation israélienne se font sentir partout et prennent parfois le dessus.
B. Alhajhasan maintient que la couverture de la persécution des Palestiniens par Israël est extrêmement importante, en particulier pour montrer la répression contre les citoyens ordinaires. Cependant, elle pense que montrer la nature et la culture de la Palestine est également essentiel pour démonter les idées préconçues sur le pays.
« Il existe déjà de grandes plateformes qui écrivent sur l’occupation, nous voulons montrer autre chose », dit-elle.
« Lorsque nous allons quelque part et rencontrons les habitants, tout le monde est généralement très généreux et très gentil, accueillant », ajoute-t-elle.
Jusqu’à présent, le projet a été largement couronné de succès, la population locale et des personnes venues du monde entier ayant manifesté leur intérêt.
« Pour la diaspora qui attend de voir son pays d’origine, d’Amérique latine, des États-Unis, du Golfe, pour tous ceux qui ne sont jamais venus ici, ce n’est pas seulement de l’information, c’est en fait très émouvant », explique B. Alhajhasan, décrivant combien les circuits touristiques signifient pour les personnes qui y participent.
Rêves d’expansion
L’occupation israélienne, associée à des événements soudains qui peuvent immédiatement mettre un terme aux visites, a limité l’élargissement de l’entreprise touristique jusqu’à présent.
Pour le duo, l’organisation des visites peut parfois être une expérience frustrante.
« Nous sommes palestiniennes et ne pouvons pas atteindre la moitié de la Palestine », déclare B. Alhajhasan. « Nous aimerions faire le tour de Gaza et de Haïfa par exemple, mais nous ne pouvons pas le faire, simplement parce que nous détenons des cartes d’identité palestiniennes. »
Le voyage dont elle rêve est une randonnée de 30 jours, du haut en bas de la Palestine historique. Cependant, actuellement, B. Alhajhasan et M. Hasan occupent toutes deux d’autres emplois, tout en s’organisant pour réaliser les excursions pour AhlanPalestine.
Les mauvaises nouvelles, les événements soudains, les attentats ou la politique peuvent également paralyser les excursions et entraîner des annulations de dernière minute.
Pour l’instant, B. Alhajhasan et M. Hasan se plaisent à concilier leur travail sur les circuits touristiques et leurs autres projets. Mais pour le duo, qui espère un jour développer ce travail de tour opératrice pour en faire leur profession à plein temps, ce sont les réactions des gens qui font que tout cela en vaut la peine.
« De nombreux touristes du monde entier hésitent à visiter la Palestine en raison de ce qu’ils voient dans les médias, mais nous allons changer cela », déclare Bisan Alhajhasan.
Source : Middle East Eye
Traduction : MUV pour l’Agence Média Palestine