La lutte palestinienne au carrefour de la barbarie et de l’espoir

Par Jamal Juma, le 1er février 2023

L’assaut israélien du mois dernier a laissé la dévastation dans son sillage. Mais, aussi sombre que soit la réalité pour les Palestiniens, c’est peut-être aussi le moment du changement.

Adam Ayyad (Photo : Issam Rimawi)

Le mois dernier a été rien moins que traumatisant pour le peuple palestinien.

Le massacre de Jénine, les invasions continues, les arrestations, les démolitions de maisons ; 36 personnes ont été tuées, dont huit enfants. Adam Ayyad, 15 ans, savait qu’un Palestinien soumis à l’apartheid israélien est toujours une cible potentielle. Le testament manuscrit qu’il portait dans sa poche le jour où il a été abattu commençait par les mots suivants : « Il y avait beaucoup de choses que je souhaitais pouvoir faire, mais nous vivons dans un pays où réaliser vos rêves est impossible ».

Les Palestiniens subissent l’arrivée au pouvoir de l’un des gouvernements les plus effrontément racistes et brutaux de l’histoire de l’État israélien.

Dès que le Premier ministre Netanyahou a reçu les félicitations de la Première ministre fasciste italienne Georgia Meloni et du Premier ministre d’extrême droite hongrois Victor Orban, qui l’ont encouragé en disant que « les temps difficiles exigent des dirigeants forts […] Il est temps de faire de grandes choses », et qu’il a envoyé ses condoléances à son « cher ami », le Premier ministre indien et homme fort de l’hindutva Narendra Modi, le gouvernement s’est mis directement au travail contre les Palestiniens.

L’idéologie raciste au cœur de l’apartheid israélien n’a jamais été proclamée aussi ouvertement et sans ambages. Le ministre des finances Bezalel Smotrich, un fasciste autoproclamé, considère les Palestiniens comme des « moustiques » et, dans son manifeste intitulé « Plan décisif », il explique comment cesser de « chasser les moustiques mais plutôt assécher le marécage. »

Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir est surtout connu pour avoir gardé dans son salon un portrait de Baruch Goldstein, qui a massacré 29 fidèles palestiniens et en a blessé 125 autres lors du massacre de 1994 à Hébron. Pourtant, les Palestiniens ne sont pas seulement confrontés à une idéologie politique méprisable, mais aussi à ses effets concrets sur notre terre et nos vies.

Soyons clairs : rien de ce que fait ou dit Israël aujourd’hui n’est nouveau.

Les meurtres, les massacres, les arrestations, la torture, les déplacements, le vol de terres et d’eau – ce sont tous des caractéristiques de longue date de l’apartheid israélien et du colonialisme de peuplement, et ils sont en augmentation depuis des années.

L’ONU a déclaré que 2022 était l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens de Cisjordanie occupée depuis 2006. Les forces d’occupation israéliennes ont tué 224 Palestiniens en Cisjordanie et 54 dans la bande de Gaza. Plus de 7 000 Palestiniens ont été blessés en Cisjordanie. Depuis 2000, la construction de colonies a augmenté de 62 % et six colonies illégales supplémentaires ont été créées. En 2022, 928 Palestiniens ont été déplacés et Israël a annoncé son intention de lancer le plus grand nettoyage ethnique de masse depuis 1968 avec la destruction de plus de 8 villages palestiniens dans la région de Masafer Yatta, dans le sud de la Cisjordanie. L’année 2022 a également été la sixième année consécutive d’augmentation du nombre d’attaques de colons israéliens, qui ont atteint des sommets l’année dernière.

L’étendue et la brutalité des crimes de ce régime d’apartheid sont stupéfiantes, mais sans surprise. Le régime israélien a bénéficié de l’impunité pour tout ce qu’il a fait jusqu’à présent. Cela lui a permis de se libérer de toutes les contraintes de la stratégie politique ou de la diplomatie.

Si la responsabilité incombe à la communauté internationale, c’est le peuple palestinien qui en paie le prix.

Aussi sombre que soit la réalité pour les Palestiniens, c’est peut-être aussi le moment du changement. On dit que la nuit est la plus sombre juste avant que l’aube ne se lève.


Une cause commune contre l’apartheid et l’annexion

Selon toutes les normes éthiques et juridiques, l’apartheid israélien a franchi le seuil qui appelle une action internationale et des sanctions pour de graves violations du droit international et des droits de l’homme dès 1948, lorsqu’il a été fondé sur les massacres et l’expulsion massive de plus de la moitié du peuple palestinien.

Pourtant, jusqu’à présent, les démarches diplomatiques continuent de déplorer, de condamner et d’exhorter les Palestiniens et Israël à « reprendre les négociations sur la base d’une solution à deux États. » Y a-t-il vraiment quelqu’un qui croit qu’il y a de la place pour des négociations, sans parler de justice pour les Palestiniens, si le gouvernement israélien n’y est pas contraint par des sanctions mordantes et un isolement international ?

Le Premier ministre Netanyahu a déclaré que l’annexion était le principe de base de son gouvernement, réaffirmant que « le peuple juif a un droit exclusif et incontestable sur toutes les zones de la Terre d’Israël. Le gouvernement va promouvoir et développer la colonisation dans toutes les parties de la Terre d’Israël – en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan, en Judée et en Samarie [le terme sioniste pour la Cisjordanie occupée]. » L’Israël de l’apartheid réalise le rêve sioniste du « Grand Israël » de ses fondateurs, en faisant progresser l’annexion de facto de la Cisjordanie.

Après 56 ans d’occupation, le nouveau gouvernement israélien a largement intégré le contrôle de la Cisjordanie dans les affaires civiles nationales d’Israël et l’a éloigné du ministre israélien de la défense, qui aurait été chargé de superviser une occupation militaire. Itamar Ben Gvir, le ministre de la sécurité nationale et de la police, contrôle la répression ; le ministre des finances, Bezalel Smotrich, augmente le financement des colonies illégales, qui sont censées remplacer les Palestiniens autochtones, qui sont expulsés de leurs terres.

Les Palestiniens ont besoin de la détermination internationale pour mettre fin à l’annexion et à l’apartheid israéliens et les punir. Les Nations Unies doivent réactiver d’urgence leur Comité spécial contre l’apartheid, ainsi que d’autres mécanismes de lutte contre l’apartheid, tels que des sanctions ciblées et légales, et un embargo militaire complet. La Cour pénale internationale doit enfin cesser ses manœuvres dilatoires et faire en sorte que les responsables des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par Israël répondent de leurs actes.

Arrêter Israël est maintenant aussi dans l’intérêt de la politique mondiale.

Nous avons toujours su que la lutte pour la libération du peuple palestinien est une lutte paradigmatique contre le colonialisme. Tolérer l’annexion forcée et la conquête de notre terre n’est pas seulement un crime contre notre peuple, mais une menace pour tous les peuples et leur souveraineté nationale, en particulier dans le sud du monde.

Au cours des dernières années, l’extrême droite qui a menacé les démocraties du monde entier a adopté Israël et ses politiques ouvertement racistes, répressives et militaristes comme modèle. Les bandes Trumpistes qui ont envahi le Capitole portaient les mêmes drapeaux israéliens que les partisans de Bolsonaro ont brandis lorsqu’ils ont pris d’assaut le parlement et le bâtiment présidentiel à Brasília. Même si aux États-Unis et dans toute l’Amérique latine, les gouvernements progressistes ou libéraux ont gagné du terrain, la lutte mondiale contre l’extrémisme, le racisme et les politiques fascistes est tout sauf gagnée.

Aujourd’hui, l’acceptation d’un régime d’apartheid qui prêche la haine, la déshumanisation, le racisme et la suprématie, tout en faisant fi de toutes les règles de droit, est une menace pour tous les peuples du monde. Sans aucune illusion sur la démocratie libérale, c’est une menace pour tous ceux d’entre nous qui croient en un cadre de droits de l’homme ou qui en dépendent pour leur survie. Ce sont les 99 %.

La question de la Palestine aujourd’hui n’est pas seulement une question d’autodétermination d’un peuple et d’un projet colonial sur notre terre. Elle est inscrite au cœur d’un conflit pour notre avenir à tous.

En tant que Palestiniens, nous ne pouvons plus attendre.

Les crimes contre notre peuple s’intensifient au moment où vous lisez ces lignes. Cela va empirer. Peu importe que le gouvernement actuel continue ou s’effondre.

Nous sommes inébranlables, nous défions l’occupation, nous nous dressons contre les bulldozers, nous tenons bon sous la torture et nous enterrons nos morts. La théorie sioniste selon laquelle les vieux mourront et les jeunes oublieront est démentie par la détermination et la résistance populaire du peuple palestinien. Le testament d’Adam Ayyad se termine par un appel à l’espoir : « Je souhaite simplement que le peuple se réveille ».

N’oublions pas qu’il n’est pas difficile de s’opposer à l’apartheid. Ce qui est vraiment difficile, c’est de le supporter.


Jamal Juma’ est le coordinateur général de la campagne palestinienne contre le mur de l’apartheid « Stop the Wall ».

Source : Mondoweiss

Traduction AC pour l’Agence média Palestine

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