Par Ruwaida Amer, le 27 janvier 2023
Mahdi Amer, 35 ans, a perdu son père en ce début d’année.
Ibrahim Amer avait 65 ans. Il a fait une crise cardiaque.
À cause du blocus sur Gaza, l’équipement d’urgence dont il avait besoin, et qui aurait pu sauver sa vie, n’était pas disponible.
“Chacune des quatre artères de mon père était bouchée, ce qui a provoqué une crise cardiaque brutale,” explique Mahdi. “Mais comme il n’existait pas de dispositif de cathétérisme interventionnel susceptible de sauver mon père, il a été orienté vers un traitement.”
Les médecins ont bien tenté de le transporter vers un hôpital de Cisjordanie, mais c’était déjà trop tard. Avec toute la paperasse nécessaire pour obtenir un permis de sortie de l’armée israélienne et le temps passé en route, Ibrahim n’a pas survécu.
Il est retourné à Gaza dans un drap mortuaire.
D’après le ministère de la Santé à Gaza, depuis plus d’un an Israël interdit l’entrée dans la Bande de Gaza des appareils de diagnostic médical, le matériel essentiel comme les appareils de radiographie mobile ou standard, ainsi que les pièces détachées qui permettraient de réparer ces équipements.
En plus des nombreux médicaments et autres équipements médicaux interdits d’accès, le blocus israélien a laissé le secteur de la santé de Gaza dans un état de crise permanent et dans un état de sous-approvisionnement dramatique.
Et cela malgré des directives et des règles internationales claires, des Conventions de Genève et autres accords internationaux, qui stipulent que l’accès à la santé est un droit qui doit être préservé en temps de guerre.
Le blocus médical israélien de Gaza est décrit comme une “violation grave” des droits à la santé des habitants de Gaza.
Un équipement vieillissant
Les patient.e.s atteint.e.s de cancer sont particulièrement touché.e.s par le manque d’accès aux appareils de radiographie.
La capacité à suivre l’évolution d’un cancer est cruciale pour pouvoir combattre cette maladie, et, alors même qu’il est quasiment impossible d’obtenir un permis de sortie, le coût du voyage est, lui, “exorbitant,” explique Subhiya Skaik, 55 ans.
Malgré tout cela, Skaik garde l’espoir que “la crise du secteur de santé va passer et que nous aurons accès à tous les traitements possibles.”
Certaines cliniques privées possèdent des appareils de radiographie ou des Imageries par Résonance Magnétique (IRM) (celui de al-Shifa, l’hôpital principal de Gaza, est souvent en panne à cause de l’impossibilité d’importer des pièces de rechange) mais le simple coût d’utilisation est souvent prohibitif pour les habitants de Gaza, où le salaire moyen est seulement de $10 par jour.
Khaled al-Sayed, 30 ans, a eu un accident grave qui lui a causé de graves fractures aux pieds et au dos.
“Quand je suis allé à l’hôpital, l’appareil de radiographie était en panne.”
Al-Sayed était en mesure de payer $60 pour un scanner dans une clinique privée. Mais maintenant il a besoin d’une IRM.
“L’hôpital m’a dit que des centaines de patients attendent leur tour, et mon rendez-vous n’est pas avant un mois.”
Les professionnel.le.s de santé sont désespéré.e.s.
“À l’hôpital, toutes nos unités souffrent du manque d’accès aux différents équipements médicaux,” déclare Muhammad Abu Salmiya, directeur de l’hôpital al-Shifa.
Ces équipements permettent de sauver la vie de nos patient.es, et nombre d’entre elles/eux mourront parce que nous ne pouvons pas les soigner correctement.”
Abu Salmiya se plaint du manque d’équipement de radiologie dont il a besoin et de l’équipement vétuste avec lequel il est forcé de travailler.
“Nous utilisons un équipement très vieux [pour la radiologie] qu’il est urgent de remplacer. Les patient.e.s doivent être transféré.e.s dans les hôpitaux de Cisjordanie. Et il arrive qu’ils/elles décèdent du fait de ne pas avoir reçu des soins assez rapidement.”
Il faudrait six appareils de radiologie à l’hôpital al-Shifa, poursuit-il. Nous n’en avons que deux.
“Nous sommes souvent contraint.e.s de déplacer un.e patient.e depuis les soins intensifs vers un autre étage afin de leur faire passer une radio, souvent alors même qu’ils/elles sont sous oxygène. Cela est très risqué.”
Inutile et inhumain
Frustration supplémentaire, les professionnel.le.s de santé disent qu’Israël n’a aucune raison d’interdire à Gaza ces appareils et les pièces détachées qui permettraient de les réparer.
La plupart sont des dons, souligne Ibrahim Abbas, directeur de l’unité d’imagerie médicale au ministère de la Santé à Gaza. Il cite l’exemple de 14 appareils, interdits d’entrer à Gaza en Octobre 2021, tous donnés par le Conseil Économique Palestinien pour le Développement et la Reconstruction (PECDAR).
Ces appareils d’imagerie sont toujours entreposés dans des hangars, attendant la permission d’entrer, explique Abbas.
Fadel al-Muzaini du Centre Palestinien pour les Droits Humains (PCHR) explique qu’Israël doit honorer ses obligations en vertu du droit international.
“Les Accords d’Oslo et le transfert de tâches qui en résultent, dont les services de santé incombant à l’Autorité Palestinienne, n’exemptent pas l’occupation israélienne de ses obligations de faciliter les soins de santé dans les territoires palestiniens.”
D’après al-Muzaini, plus de 13 500 patient.e.s à Gaza sont actuellement dans l’attente de subir une chirurgie (majeure ou mineure). Un nombre que le système de santé de Gaza n’est simplement pas en mesure de gérer, par manque de moyens.
Le PCHR, aux côtés d’autres organisations de droits humains, apporte un soutien juridique et logistique aux agences officielles palestiniennes pour faciliter le ravitaillement en équipement médical. Ces efforts aboutissent parfois, mais pas suffisamment pour pallier les restrictions mortelles qu’Israël impose à la bande de Gaza.
“La responsabilité première dans l’approvisionnement d’équipement médical aux habitants de la Bande de Gaza revient aux autorités d’occupation israélienne,” explique al-Muzaini.
Israël fait partie du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, souligne-t-il.
“Il est stipulé dans l’Article 12 du Pacte, qu’il garantit le respect, la protection et l’exercice du droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mental qu’elle soit capable d’atteindre.”
Ruwaida Amer est une journaliste basée à Gaza.
Trad. A.G pour l’Agence Média Palestine
Source : The Electronic Intifada