Janvier 2023, le mois le plus meurtrier en Cisjordanie depuis près de dix ans

Par Oren Ziv, le 1er Février 2023

Les forces israéliennes et les colons ont tué 35 Palestiniens dans les territoires occupés – un chiffre en hausse après une année déjà meurtrière.

Des Palestiniens pleurent pendant les funérailles de Samir Aslan, 41 ans, au camp de réfugiés de Qalandiya, au nord de Jérusalem, le 12 janvier 2023 (Oren Ziv).

Trente-cinq Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne ou par des tirs de colons en Cisjordanie occupée en janvier 2023, premier mois du sixième gouvernement de Netanyahu, marquant une intensification majeure du taux de mortalité palestinienne, selon les données recueillies par Local Call et +972. Le mois dernier a également vu l’attaque la plus meurtrière contre des Israéliens depuis 2011, lorsque sept personnes ont été tuées par un tireur palestinien dans la colonie de Neve Yaakov à Jérusalem-Est.

Ces chiffres reflètent une augmentation dramatique après une année au cours de laquelle 154 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie – l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens dans le territoire occupé depuis 2005. Alors qu’en 2022, le taux moyen de mortalité était de 13 morts palestiniens par mois, 2023 s’est ouverte avec une moyenne presque trois fois plus élevée, avec plus d’un Palestinien tué chaque jour. La dernière fois qu’un taux aussi élevé a été enregistré en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, c’était en octobre 2015, lorsque les forces israéliennes avaient tué 47 Palestiniens. L’année dernière, les Palestiniens ont également tué 31 Israéliens, dont 24 civils, soit le nombre le plus élevé depuis 2005.

Sur les 35 Palestiniens tués en janvier de cette année, 25 l’ont été lors de raids militaires israéliens dans des zones de Cisjordanie sous contrôle palestinien, principalement dans le camp de réfugiés de Jénine. Cinq Palestiniens ont été tués alors qu’ils auraient attaqué ou tenté d’attaquer des soldats ou des colons ; trois ont été tués lors de manifestations sans rapport avec les raids de l’armée ; un Palestinien a été tué lors d’une fouille à un poste de contrôle ; et un autre Palestinien a été tué alors qu’il aurait fui une telle fouille.

Les données indiquent que les opérations de l’armée dans des endroits densément peuplés des zones A et B [la première est sous le contrôle total de l’Autorité palestinienne, tandis que la zone B est administrée conjointement par l’Autorité palestinienne et Israël] peuvent avoir affecté le grand nombre de victimes. Dans plusieurs cas, des Palestiniens qui n’étaient pas impliqués dans les hostilités entre les militants et les soldats ont été tués, et rien ne prouve que tous les morts étaient impliqués dans les tirs sur les soldats. Ainsi, la plupart des décès sont le résultat d’activités militaires initiées par Israël, plutôt que le résultat de tentatives actives de nuire aux Israéliens.

Des personnes en deuil portent les corps de Palestiniens tués lors d’un raid de l’armée israélienne dans le camp de réfugiés de Jénine, le 27 janvier 2023. (Wahaj Banimoufleh/Activestills.org)

Six des 35 personnes tuées étaient des mineurs, tandis que l’âge moyen des morts était de 26 ans. Vingt étaient originaires de la région de Jénine, la plupart ayant été tués dans le camp de réfugiés. Au total, 23 des morts, dont les six mineurs, étaient originaires du nord de la Cisjordanie.

À l’exception d’une femme de 61 ans qui a été tuée lors du raid du 26 janvier sur le camp de réfugiés de Jénine, le reste des morts étaient des hommes. Ce raid a été l’événement le plus meurtrier du mois dernier, entraînant la mort de 10 Palestiniens, dont au moins trois n’étaient pas impliqués dans les fusillades ou les affrontements avec l’armée.

Où est la bombe à retardement ?

Alors qu’Israël a initialement affirmé que l’incursion du 26 janvier à Jénine était une opération « bombe à retardement » contre des agents du Jihad islamique qui planifiaient une attaque de grande envergure contre des civils israéliens, des responsables militaires ont admis par la suite que les cibles de l’opération n’étaient pas en route pour commettre une attaque au moment du raid. Un officier supérieur a déclaré aux médias que « le nombre de victimes palestiniennes par rapport à la quantité de tirs utilisés contre les forces est inférieur à ce qu’il aurait pu être », et a admis que l’opération visait à « retirer la cellule de la table d’alerte des FDI », mais qu’il n’y avait aucune information concrète sur une intention immédiate de mener une attaque.

Outre le Palestinien qui a perpétré l’attaque par balles à Neve Yaakov, dans quatre cas, des Palestiniens ont été abattus lors d’attaques ou de tentatives d’attaques contre des soldats et des colons. Dans un autre cas, dans la nuit du 29 au 30 janvier, des soldats ont tiré sur un Palestinien mineur, ce qui, selon l’armée, était le résultat d’un accident auto-infligé. Le ministère palestinien de la Santé a déclaré que le jeune homme avait été touché à la tête par des soldats.

Des Palestiniens organisent des funérailles pour Adham Jabareen et Jawad Bawaqna, qui ont été tués par les forces israéliennes en Cisjordanie, le 19 janvier 2023. (Wahaj Bani Moufleh/Activestills.org)

Dans deux autres cas, des colons israéliens ont abattu des Palestiniens qui auraient tenté de mener des attaques à l’arme blanche. L’un a eu lieu dans la ferme de Sde Efraim, près de Ramallah, et l’autre dans une ferme du sud des collines d’Hébron, où le propriétaire de la ferme a été poignardé.

Outre les meurtres de la semaine dernière à Jénine, trois autres cas ont retenu l’attention des médias. Le 12 janvier, Samir Aslan, 41 ans, a regardé depuis son balcon du camp de réfugiés de Qalandiya les soldats israéliens arrêter son fils Ramzi, âgé de 17 ans. Les soldats ont tiré des dizaines de balles, atteignant Samir à la poitrine et le tuant.

« Les soldats ont refusé de laisser mon fils [Ramzi] s’habiller ou aller aux toilettes. Je voulais le prendre dans mes bras, mais un soldat a pointé son arme sur moi et m’a dit que c’était interdit », a déclaré Marwa, la femme de Samir. « Ils ont dit qu’ils voulaient l’emmener en bas. Nous leur avons demandé de ne pas le battre. Puis ils l’ont emmené vers le poteau électrique et ont commencé à l’attaquer. Son père [Samir] est sorti sur le balcon, et ils l’ont abattu. J’ai appelé une ambulance et ils ont continué à tirer. Il a fallu environ une heure pour qu’une ambulance l’évacue ».

Le 19 janvier, lors d’un raid de l’armée dans le camp de réfugiés de Jénine, des soldats israéliens ont abattu Jawad Bwakna, un enseignant de 57 ans. Son fils a déclaré que Bwakna avait été abattu après avoir quitté sa maison pour aider un Palestinien blessé par les forces israéliennes et allongé sur le sol.

Le 15 janvier, Ahmad Hassan Kahla, 45 ans, du village de Rammun, a été abattu à un poste de contrôle près de la ville de Silwad. Dans un premier temps, l’armée a affirmé que Kahla, qui se rendait au poste de contrôle avec son fils, était sorti de sa voiture, avait jeté des pierres sur les soldats et s’était approché d’eux avec un couteau. L’armée a par la suite modifié sa version des faits et affirmé que les soldats avaient demandé à Kahla de s’arrêter et que, comme il ne répondait pas, ils lui avaient tiré des gaz lacrymogènes. C’est à ce moment-là que Kahla est sorti de sa voiture, a essayé d’attraper l’arme d’un soldat et a été abattu.

Cependant, des témoins oculaires ont déclaré que les soldats ont lancé une grenade paralysante sur la voiture, puis ont aspergé le fils de Kahla de gaz poivré et l’ont sorti du véhicule. Lorsque le père est sorti pour voir ce que les soldats faisaient à son fils, il a été abattu. Une enquête menée par un commandant de brigade israélien sur l’incident n’a pas corroboré la version des soldats, concluant que Kahla n’aurait pas dû être abattu.

Dans trois cas, dans la région de Jérusalem, des Palestiniens ont été abattus lors d’une manifestation non armée comprenant des jets de pierres et des tirs de feux d’artifice en direction des forces israéliennes.

Des Palestiniens se rassemblent dans le quartier de Silwan à Jérusalem, après qu’un garçon palestinien a été abattu après avoir tiré sur deux colons israéliens, le 28 janvier 2023. (Oren Ziv)

Le 25 janvier, Wadih Aziz Abu-Ramuz, 16 ans, a succombé à ses blessures causées par les tirs de la police, après avoir prétendument tiré des feux d’artifice dans leur direction dans le quartier de Silwan.

Quelques jours plus tôt, des policiers ont abattu Muhammad Ali, un jeune homme de 17 ans du camp de réfugiés de Shu’afat. Selon la police, Ali tenait un pistolet jouet alors qu’il participait aux affrontements qui ont suivi la démolition d’une maison dans le camp. Yousef Muheisen, 22 ans, a été abattu à l’entrée de la ville d’A-Ram, au nord de Jérusalem, lors d’une manifestation faisant suite aux meurtres du 26 janvier à Jénine. Les corps des deux premiers garçons, Abu-Ramuz et Ali, n’ont pas encore été rendus à leurs familles.

Un avenir sombre

Shawan Jabarin, directeur exécutif d’Al-Haq – le plus ancien et le plus grand groupe palestinien de défense des droits de l’homme, et l’un des six qui ont été déclarés « organisation terroriste » par Israël en 2021 – a visité le camp de réfugiés de Jénine cette semaine dans le cadre d’une délégation de la société civile enquêtant sur le raid militaire de la semaine dernière. « Nous avons vu le niveau des crimes qui ont été commis. C’est quelque chose que nous n’avions pas vu en Cisjordanie depuis des années. Chaque maison devant laquelle nous sommes passés avait des traces de balles sur les murs », a-t-il déclaré.

« Les Israéliens envahissent partout, y compris à Ramallah », poursuit Jabareen. « Certains membres des forces de sécurité de l’AP ont été impliqués dans les combats contre l’armée à Naplouse et à Jénine. Cela montre que les Palestiniens en ont assez de travailler dans les forces de sécurité. Ils refusent que la situation actuelle perdure. Les gens disent : « Si tu te bats, tu mourras, et si tu restes à la maison, tu mourras ». Lorsque la vie et la mort deviennent égales, cela devrait concerner tout le monde, et c’est la situation actuelle dans les territoires occupés. »

Le directeur exécutif d’Al-Haq, Shawan Jabarin, à côté du Premier ministre palestinien Mohammed Shtayyeh, s’adresse aux médias après que l’armée israélienne a fait une descente dans les bureaux de plusieurs ONG palestiniennes, Ramallah, Cisjordanie, 18 août 2022. (Oren Ziv)

Jabareen a déploré le manque d’intervention des États étrangers pour protéger les vies palestiniennes de la violence israélienne. « Malheureusement, la communauté internationale considère cela comme une question de chiffres », a-t-il déclaré. « Nous ne voulons pas que les souffrances et les meurtres deviennent simplement des chiffres, car derrière eux se cache une douleur très profonde qui affecte tous les aspects de la vie des familles ».

Le directeur d’Al-Haq a également souligné que ce niveau de violence n’était pas limité à l’actuel gouvernement d’extrême droite. « Les partis politiques israéliens, qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre, sont en compétition pour savoir qui peut attaquer, tuer et détruire le plus », a-t-il déclaré. « Même lorsque Benny Gantz et Yair Lapid étaient au gouvernement, ils ont essayé de montrer à Netanyahou et aux autres qu’ils sont plus forts. Les victimes de cette expérience sont les Palestiniens. Maintenant, [Itamar] Ben Gvir et ses complices, au-delà de leur idéologie, essaient de montrer qu’ils attaquent les Palestiniens, ce qui signifie qu’il y aura plus de tueries, comme nous l’avons vu en janvier. Je pressens un avenir sombre – comme c’était le cas avant, mais encore pire. »

Oren Ziv est un photojournaliste, reporter pour Local Call, et membre fondateur du collectif de photographie Activestills.

Source : +972 Magazine

Traduction : AGP pour l’Agence Média Palestine

Une version de cet article a d’abord été publiée en hébreu sur Local Call. Lisez-la ici.

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