Il n’y a pas de « cycle de violence » à Jérusalem – seulement l’oppression mortelle d’Israël sur mon peuple

Par Jalal Abukhater, le 7 février 2023

Des démolitions de maisons aux détentions militaires, la violence à laquelle nous, Palestiniens, sommes confrontés quotidiennement reflète le déséquilibre du pouvoir entre l’occupant et l’occupé.

Une maison palestinienne en cours de démolition à Ras al-Amud, Jérusalem-Est, 21 janvier 2023. Photo : Sinan Abu Mayzer/Reuters

Presque chaque jour, les bulldozers sont en mouvement. Dans les quartiers palestiniens de Jérusalem, ma ville, les forces israéliennes démolissent des maisons presque quotidiennement. La dépossession et la discrimination sont une réalité de longue date ici dans la partie orientale de la ville, sous occupation militaire israélienne depuis 56 ans. Cependant, sous le nouveau gouvernement israélien d’extrême droite, Jérusalem a connu un pic de démolitions : plus de 30 structures ont été détruites au cours du seul mois de janvier.

Les nouvelles de notre région dans les capitales et les médias occidentaux ont tendance à être dominées par des effusions de sang – et le peuple palestinien traverse quelques-uns des jours les plus violents, destructeurs et meurtriers de mémoire récente. L’année 2022 a été la plus meurtrière en près de deux décennies en Cisjordanie occupée. En janvier, 31 autres Palestiniens ont été tués par des tirs israéliens. L’impuissance, la frustration et le désespoir planent sur nous tous comme un nuage sombre. Mais les chiffres seuls ne suffisent pas à exprimer l’ampleur de cette cruauté.

Les bilans des morts et les phrases clichées d’un média mal informé, partial ou indifférent sur les cycles de violence ne sont ni appropriés ni suffisants pour relayer le déséquilibre de pouvoir entre un occupant et un occupé. La violence à laquelle nous, Palestiniens, sommes exposés quotidiennement ne provient pas seulement des armes de l’armée israélienne mais est également profonde et structurelle.

Il n’y a pas de « cycles de démolitions de maisons » ou d' »expulsions au coup par coup » – les Palestiniens ne confisquent pas les propriétés israéliennes et ne détiennent pas des milliers d’Israéliens devant des tribunaux militaires. Toute approche qui suggère une symétrie de pouvoir – ou de responsabilité – est analytiquement et moralement erronée.

Un microcosme de cette violence structurelle se trouve ici même, dans ma ville natale, Jérusalem. Le mois dernier, un tireur palestinien a tué sept Israéliens dans la colonie de Neve Yaakov, à Jérusalem-Est occupée. Le ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, s’est ensuite engagé à intensifier les démolitions de maisons palestiniennes construites sans permis, présentant cette mesure comme une réponse à l’attaque.

La plupart des maisons palestiniennes sont visées parce qu’elles n’ont pas de permis. En effet, dans ma ville, au moins un tiers des structures palestiniennes n’ont pas de permis délivré par Israël, ce qui fait que 100 000 résidents de Jérusalem-Est occupée risquent d’être déplacés de force à tout moment.

En fait, depuis le début de l’occupation de Jérusalem-Est par Israël en 1967, les quartiers palestiniens n’ont pratiquement fait l’objet d’aucune planification publique. Cinquante-cinq mille logements ont été construits pour les Israéliens juifs dans la partie orientale de la ville, tandis que moins de 600 logements ont été construits pour les Palestiniens avec une quelconque aide du gouvernement. Cette politique a non seulement garanti des logements médiocres pour les Palestiniens, mais aussi le fait qu’ils restent une minorité dans la ville.

Bien que les Palestiniens représentent plus de 37 % des habitants de Jérusalem, seuls 8,5 % des terrains de la ville sont destinés à leur usage résidentiel (et même là, le potentiel de construction est restreint). Entre 1991 et 2018, seuls 16,5 % de tous les permis de construction de logements délivrés par la municipalité de Jérusalem concernaient des quartiers palestiniens de l’est occupé et illégalement annexé. Les constructions dites illégales ou non autorisées par les Palestiniens sont une réponse à la pénurie chronique de logements fondée sur la discrimination.

Plus récemment, Ben-Gvir et le maire adjoint de Jérusalem, Aryeh King, ont annoncé la démolition imminente d’un immeuble résidentiel à Wadi Qaddum, Silwan, au motif qu’il a été construit sur un terrain destiné aux « sports et aux loisirs », et non à un usage résidentiel. Lorsqu’elle aura lieu, cette démolition sera de grande ampleur et entraînera le déplacement d’une centaine de résidents. Rien qu’au cours des dix dernières années, 1 508 structures palestiniennes ont été démolies à Jérusalem-Est, faisant de 2 893 personnes des sans-abris, dont la moitié étaient des mineurs.

La Cisjordanie occupée est également marquée par une réalité violente. Presque aucune construction palestinienne n’est autorisée dans la zone dite C (60% de la Cisjordanie). Les autorités israéliennes démolissent constamment des maisons palestiniennes, des routes, des citernes, des panneaux solaires, etc. Les colonies considérées comme illégales au regard du droit international s’étendent, tandis que les Palestiniens sont confinés dans des enclaves fragmentées.

Le nombre de démolitions et de déplacements à Jérusalem et en Cisjordanie étant en augmentation, des communautés entières sont menacées. Mais nous devons nous rappeler que le coût est encore plus évident au niveau individuel : une famille perd tout ce qu’elle a au monde. Les murs s’écroulent, les enfants pleurent et les parents se démènent pour savoir quoi faire ou où aller ensuite. C’est une catastrophe, et elle est constante.

L’absence d’un permis impossible à obtenir n’est pas le seul motif de démolition des biens palestiniens; les autorités d’occupation israéliennes détruisent ou scellent également des maisons comme une forme de punition collective, strictement interdite par le droit international. Les actes de déplacement forcé d’une population occupée constituent un crime de guerre. La cruauté est sidérante.

Ces démolitions et déplacements sont une partie de la violence structurelle à laquelle nous, Palestiniens, sommes confrontés chaque jour. Ce gouvernement israélien peut poursuivre de nouvelles manifestations cruelles de l’occupation, mais les bases ont été posées par les coalitions successives depuis 1967, des travaillistes au Likoud.

C’est pourquoi il n’y a aucune consolation pour nous, Palestiniens, dans les foules d’Israéliens qui protestent contre les réformes judiciaires proposées. Pendant des décennies, nos terres ont été confisquées et nos populations déplacées par des politiciens israéliens élus de différents partis, avec l’aval de tous les niveaux du système judiciaire. L’occupation et les politiques racistes nous ont été imposées par ceux qui font partie de la coalition actuelle – et par beaucoup d’autres actuellement à l’extérieur.

Cette violence est notre réalité – et affronter une telle réalité est une première étape nécessaire dans notre lutte pour la dignité et la justice. Blâmer la victime ou fermer la conversation ne fera que prolonger notre souffrance. Il ne s’agit pas d’un cycle de violence, mais d’un système d’apartheid, qui doit être traité comme tel par le monde extérieur.

Jalal Abukhater est un journaliste de Jérusalem.

Source : The Guardian

Traduction : AGP pour l’Agence Média Palestine

Retour haut de page