Pourquoi l’objectif d’Israël de pacifier les Palestinien.ne.s échoue ?

Par Nur Arafeh, le 16 février 2023

Israël s’appuie sur une stratégie anti-insurrectionnelle de mesures économiques et de maintien de l’ordre local pour stabiliser son régime. Mais la résistance croissante montre que cette stratégie ne peut pas triompher.

Soldats israéliens, colons et manifestants palestiniens lors d’une manifestation contre la construction de colonies israéliennes dans le village d’Al-Thaalaba, près de Yatta, le 21 août 2020. (Wissam Hashlamoun/Flash90)

Cet article a été publié pour la première fois par the Carnegie Endowment for International Peace en décembre 2022, il est republié par +972 Magazine avec autorisation.

À partir du milieu de l’année 2022, le nombre d’attaques perpétrées par des Palestiniens contre des colons et des soldats israéliens en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, ainsi qu’en Israël même, a nettement augmenté. Cette tendance a révélé des lacunes importantes dans les politiques d’Israël visant à contrôler les Palestiniens sous occupation et à stabiliser son régime. La stratégie de stabilisation d’Israël, inspirée de la doctrine anti-insurrectionnelle moderne, repose sur deux piliers : l’emploi de mesures de pacification pour coopter les Palestiniens et la confiance dans l’Autorité palestinienne (AP) pour contrôler sa population au nom d’Israël. Cependant, de nombreux Palestiniens se rebellent aujourd’hui contre cette approche, tandis que l’érosion de la légitimité de l’AP n’a fait que renforcer le refus de la population d’accepter ses méthodes restrictives.

Cette situation conduira à plusieurs issues possibles, qui comportent toutes une multitude de complications pour le maintien par Israël du statu quo à l’égard des Palestiniens. À court terme, avec la gravitation de la société israélienne vers la droite et l’extrême droite, qui s’est reflétée dans les résultats des élections israéliennes de novembre 2022, il est probable que l’on assiste à une escalade des affrontements entre Palestiniens et Juifs israéliens dans les territoires occupés et à l’intérieur des frontières d’Israël de 1948. Cela pourrait mettre fin aux accords d’Oslo de 1993 et conduire à une nouvelle étape dans les relations palestino-israéliennes, caractérisée par une effusion de sang encore plus importante, jusqu’à ce qu’un nouveau cadre politique soit conçu pour mettre fin à l’occupation, parvenir à l’autodétermination des Palestiniens et garantir les droits de tous.

Théorie de la contre-insurrection

Depuis l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en juin 1967, l’objectif principal d’Israël est de faire respecter son autorité en gérant et en contenant la population palestinienne, en supprimant ses ambitions politiques et en dissuadant les Palestiniens de soutenir les activités de résistance. Outre les interventions militaires, les démolitions de maisons, les assassinats ciblés et les arrestations, Israël a employé deux méthodes plus mesurées pour museler les Palestiniens.

La première consiste à fournir ce que l’on appelle des facilités économiques aux Palestiniens et à améliorer leurs conditions de vie, dans le but d’obtenir leur consentement à la domination israélienne. Par exemple, peu après 1967, ces mesures comprenaient la délivrance de permis aux entreprises palestiniennes du textile et de la chaussure, l’octroi de prêts à faible taux d’intérêt aux investisseurs palestiniens à Gaza et l’intégration de la main-d’œuvre palestinienne dans l’économie israélienne. Cette politique s’est poursuivie dans la période post-Oslo, après 1993.

Les dernières mesures de ce type prises par Israël en 2022 ont consisté à délivrer 20 000 nouveaux permis aux Palestiniens de Cisjordanie pour travailler en Israël et à assouplir les conditions d’obtention des permis. Israël a également apporté une aide économique à la bande de Gaza, à la suite du dernier conflit qui s’y est déroulé en août 2022. Cela a consisté, entre autres, à augmenter le nombre de permis permettant aux Gazaouis de travailler en Israël. Israël a également décidé cette année de donner aux Palestiniens de Cisjordanie la possibilité de passer par l’aéroport Ramon, dans le sud d’Israël, mais a ensuite suspendu ce projet pour des raisons qui restent obscures.

Des travailleurs palestiniens attendent au passage d’Erez à Beit Hanun, dans le nord de la bande de Gaza, alors qu’ils attendent d’entrer en Israël pour travailler, le 13 mars 2022. (Attia Muhammed/Flash90)

L’hypothèse sous-jacente d’Israël est que la privation des Palestiniens provoque des troubles politiques et une plus grande opposition à Israël, tandis que le fait de fournir des débouchés économiques augmente les coûts de l’opposition à l’occupation. Ce raisonnement a été encouragé par Moshe Dayan, ministre israélien de la défense entre 1967 et 1974, qui a cherché à normaliser l’occupation en améliorant la prospérité individuelle. Comme l’indiquait un rapport militaire de 1970, « [L]a seule façon d’éviter une explosion potentielle des forces sociales est de s’efforcer continuellement d’améliorer le niveau de vie et les services de cette société défavorisée. »

La même logique a façonné les politiques israéliennes dans les territoires occupés durant la phase post-Oslo. Puisque l’accès à toutes sortes de permis est conditionné par une autorisation de sécurité israélienne, la capacité des Palestiniens à voyager, à faire des affaires et à travailler en Israël a été liée à un acquiescement politique. Le système de permis a donc été un outil disciplinaire permettant de récompenser les Palestiniens pour leur conformité ou de les punir pour leur résistance. À Gaza, les mesures de secours prises par Israël après la dernière série de combats ont incité le Hamas à ne pas se joindre à un futur conflit avec Israël, tandis que toute escalade contre Israël mettrait fin à ces mesures. En d’autres termes, au lieu de mettre fin à son occupation, Israël a fourni des pansements économiques pour un problème politique profondément ancré.

Ces méthodes de pacification israéliennes sont ancrées dans la théorie de la contre-insurrection. Contrairement à la guerre traditionnelle et aux approches centrées sur l’ennemi, qui se concentrent sur la force létale pour supprimer les insurgés, la contre-insurrection moderne est davantage axée sur la population. David Kilcullen, ancien conseiller spécial sur la contre-insurrection auprès du secrétaire d’État américain, a défini la contre-insurrection comme « une compétition… pour le droit et la capacité de gagner les cœurs, les esprits et l’assentiment de la population », afin de la dissuader de soutenir une insurrection.

Pour apaiser les populations civiles, la théorie de la contre-insurrection s’est appuyée sur des techniques telles que la fourniture de services sociaux, la promotion du développement économique et la cooptation des élites locales. Et si l’on a assisté à un regain d’intérêt pour la contre-insurrection lors des invasions de l’Afghanistan et de l’Irak menées par les États-Unis en 2001-2003, cette stratégie trouve son origine dans la lutte contre les soulèvements anticoloniaux aux XIXe et XXe siècles, par exemple par les Français en Algérie ou les Britanniques au Kenya et en Malaisie.

Le deuxième pilier de la stratégie de stabilisation d’Israël a consisté à s’appuyer sur les dirigeants de l’AP pour maintenir les Palestiniens dans le droit chemin sur le plan politique. Après sa création en 1994 dans le cadre des accords d’Oslo, l’AP s’est non seulement imposée comme le principal gestionnaire de la vie des Palestiniens, déchargeant ainsi Israël de cette responsabilité, mais elle est également devenue une institution de la domination indirecte d’Israël. L’AP a été chargée de protéger la sécurité israélienne en réprimant la résistance palestinienne, en échange d’avantages et de rentes.

Des Palestiniens s’affrontent avec les forces de sécurité de l’AP à Naplouse, en Cisjordanie, le 20 septembre 2022, suite à l’arrestation de membres du Hamas par les forces de sécurité palestiniennes. (Nasser Ishtayeh/Flash90)

Cette stratégie d’externalisation des pratiques de sécurité aux autorités autochtones est également conforme à la doctrine de la contre-insurrection, en particulier à ce que Kilcullen appelle une approche « ascendante », qui met l’accent sur la formation d’alliances avec les élites locales, qu’il s’agisse d’acteurs étatiques ou non étatiques, et les rend responsables de la stabilisation. Cet accent mis sur les acteurs locaux fait écho à la pratique coloniale du gouvernement indirect employée au XIXe et au début du XXe siècle, notamment par la Grande-Bretagne et la France, qui dirigeaient leurs colonies et leurs mandats en collaboration avec les potentats locaux et autres notables.

En dépit de ces méthodes, la récente vague d’attentats contre des Israéliens a révélé les lacunes de la politique israélienne et son incapacité à assurer la soumission des Palestiniens. La résistance armée palestinienne, animée en grande partie par des jeunes hommes attaquant des soldats et des colons israéliens, a progressivement augmenté après l’Intifada de mai 2021, qui a suivi la décision israélienne d’expulser des familles palestiniennes du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est. Des groupes armés palestiniens, notamment à Naplouse et à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, ont commencé à contester la campagne israélienne « Cassez la vague » lancée au premier semestre 2022 pour réprimer ces groupes.

Depuis, cette atmosphère de contestation s’est étendue à toute la Cisjordanie pour inclure Jérusalem, Ramallah, Hébron, Bethléem et Qalqilya, entre autres villes. Au centre de ce mouvement se trouvait un groupe armé appelé Lion’s Den, basé dans la vieille ville de Naplouse. Ce groupe était composé de jeunes hommes d’une vingtaine d’années appartenant à différentes factions politiques, mais qui ont renoncé à leurs querelles et se sont unis pour combattre l’occupation. Le groupe a gagné en popularité parmi les Palestiniens, à tel point qu’il a été identifié comme « un casse-tête majeur » pour Israël et est devenu la cible d’arrestations et d’assassinats, ce qui a fortement réduit ses activités.

Si les attaques actuelles restent d’une portée limitée, elles ont à nouveau mis en évidence les limites de la stratégie de pacification israélienne en Cisjordanie. La preuve en est la persistance des revendications politiques palestiniennes et les innombrables révoltes contre l’occupation israélienne depuis 1967. Il s’agit notamment de la première intifada en 1987, de la deuxième intifada en 2000, et plus récemment de la Grande Marche du retour en 2018-2019 et de l’Intifada de l’unité palestinienne de mai 2021, qui se sont étendues à la Cisjordanie, à la bande de Gaza et aux communautés palestiniennes à l’intérieur d’Israël.

Il n’est pas difficile d’en comprendre les raisons. Alors que les Palestiniens se voient offrir des permis et d’autres gestes économiques, ils continuent également à être humiliés au quotidien et à faire face à la violence incessante de la présence militaire et sécuritaire d’Israël, notamment les raids nocturnes, le vol de terres, la dépossession, les démolitions et les déplacements forcés, la marginalisation économique, la violence croissante des colons, la surveillance invasive, les arrestations massives, l‘expansion des colonies israéliennes illégales, les exécutions extrajudiciaires et, au cours des quinze dernières années, cinq opérations militaires contre Gaza. L’oppression à laquelle les Palestiniens doivent faire face, ainsi que le déni total par Israël de leurs aspirations politiques, n’ont fait qu’attiser la colère et le ressentiment des Palestiniens.

Des bulldozers israéliens démolissent une maison palestinienne près de la ville d’Hébron en Cisjordanie, le 31 octobre 2022. (Wisam Hashlamoun/Flash90)

L’échec de la politique israélienne visant à stabiliser sa domination dans les zones palestiniennes occupées découle également de la faiblesse croissante de l’AP et de son manque de légitimité aux yeux des Palestiniens. Pour l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), le processus d’Oslo a établi une AP qui se transformerait en un État souverain et indépendant. Cependant, Israël empêchant la création d’un État palestinien, l’AP a largement perdu sa raison d’être et est considérée comme une institution complice et bénéficiaire de cette impasse. Le comportement contradictoire d’Israël – qui a besoin de l’AP pour assurer la stabilité tout en la sapant en n’offrant aux Palestiniens aucun horizon politique – a effectivement paralysé un instrument majeur de contrôle de la population sous occupation.

La crédibilité de l’AP s’est également érodée pour d’autres raisons. Les Palestiniens la considèrent comme corrompue, sont mécontents de son refus d’organiser des élections présidentielles depuis 2005 et des élections législatives depuis 2006, et s’opposent à la répression de l’AP contre toute forme de critique. Ils sont également mécontents de l’emprise croissante du président Mahmoud Abbas sur les institutions palestiniennes et du fait qu’il gouverne par décret depuis la suspension du Conseil législatif en 2007.

L’autoritarisme croissant de l’AP, ainsi que sa coordination sécuritaire avec Israël et l’absence de stratégie pour mettre fin à l’occupation, ont ajouté à la désillusion des Palestiniens, y compris parmi les membres des propres forces de sécurité de l’AP. Selon un sondage réalisé en juin 2022, plus de 75 % des Palestiniens souhaitent la démission d’Abbas, 59 % considèrent l’AP comme un fardeau pour les Palestiniens et près de la moitié sont favorables à sa dissolution. L’illégitimité et la faiblesse de l’AP ont été particulièrement évidentes lors des dernières confrontations armées. L’AP n’a pas réussi à réprimer les attaques palestiniennes dans le nord de la Cisjordanie, et son arrestation d’une figure clé de Lion’s Den en septembre dernier a été suivie d’affrontements entre de jeunes Palestiniens et les forces de sécurité de l’AP qui se sont étendus à toute la Cisjordanie.

Scénarios futurs

La difficulté qu’éprouve Israël à stabiliser son régime peut potentiellement conduire à trois issues. Ces issues ne s’excluent pas mutuellement, peuvent ne pas toutes se réaliser et, dans certains cas, ne se manifester qu’à long terme. Cependant, si elles ne parviennent pas à mettre fin à l’occupation, elles sont toutes non viables et n’apporteront pas la stabilité qu’Israël recherche.

Le premier résultat possible est qu’Israël tentera d’affirmer son autorité sur les Palestiniens en recourant à des niveaux de violence plus élevés. Ce scénario est plausible à la lumière des derniers résultats des élections israéliennes, qui pourraient bien permettre le retour au pouvoir de Benjamin Netanyahu grâce au soutien des partis d’extrême droite racistes. Autrefois en marge de la politique israélienne, le parti du sionisme religieux est devenu le troisième plus grand parti de la Knesset et ses membres occuperont probablement des postes clés au sein du gouvernement. Une figure clé de l’extrême droite est Itamar Ben Gvir. Il était membre du parti extrémiste Kach, qui a été interdit en 1988 en raison de son fanatisme anti-palestinien. Ben Gvir a également été condamné pour incitation à la violence et exempté de servir dans l’armée en raison de ses convictions.

Le ministre israélien de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir arrive à la réunion hebdomadaire du gouvernement au bureau du Premier ministre à Jérusalem, le 22 janvier 2023. (Olivier Fitoussi/Flash90)

Ben Gvir a appelé à une série de mesures qui ne feraient qu’accentuer les récalcitrances palestiniennes, sapant encore plus la politique de stabilisation d’Israël. Ces mesures comprennent le transfert à l’étranger des citoyens palestiniens et juifs d’Israël « déloyaux« , l’annexion officielle de la Cisjordanie, l’accès illimité des Juifs israéliens à la mosquée Al-Aqsa et des conditions plus dures pour les prisonniers palestiniens. Ben Gvir, qui a déjà accroché chez lui une photographie de Baruch Goldstein, le colon extrémiste qui a tué 29 Palestiniens en 1994, veut également recourir à davantage de violence contre les Palestiniens et tirer sur les lanceurs de pierres palestiniens. Son parti, le Pouvoir juif, s’oppose à la création d’un État palestinien ou à toute négociation avec l’AP.

La montée en puissance de ces figures dans la politique israélienne et la gravitation des jeunes Israéliens vers la droite et la droite radicale – reflétant des préférences plus larges dans la société israélienne vis-à-vis des Palestiniens – est susceptible de conduire à des affrontements plus intenses entre les Palestiniens et les soldats israéliens et les colons juifs en Cisjordanie. Si le gouvernement israélien prend des mesures plus provocatrices, par exemple en changeant le statut de la mosquée d’Al-Aqsa, et intensifie son recours à la force meurtrière contre les Palestiniens, une nouvelle intifada pourrait éclater et s’étendre aux zones arabes situées à l’intérieur des frontières de 1948.

Dans ce cas, si l’AP et les factions palestiniennes devaient participer à l’intifada, cela porterait un coup fatal au processus d’Oslo, surtout si l’AP se dissout et met fin à la coordination de la sécurité avec Israël. Les Israéliens n’auraient alors que deux options pour les millions de Palestiniens sous leur contrôle : l’expulsion ou la répression indéfinie. Cependant, cette dernière option serait finalement intenable, laissant Israël face à un dilemme qu’il ne pourrait résoudre qu’en mettant fin à son occupation et en répondant à la demande d’autodétermination des Palestiniens.

Une deuxième issue potentielle, qui n’exclut pas la première, est qu’Israël, constatant la faiblesse croissante de l’AP et son incapacité à réprimer la résistance en Cisjordanie, recourt à une stratégie anti-insurrectionnelle plus décentralisée et étend ses alliances avec des personnalités palestiniennes locales clés.

Ces personnes pourraient être chargées de la sécurité et des affaires administratives – éventuellement par le biais de conseils locaux sous le contrôle d’Israël – en échange d’un accès exclusif à des faveurs économiques et autres privilèges. Les élites avec lesquelles Israël collaborerait pourraient comprendre des hommes d’affaires et des figures tribales, en particulier dans le sud de la Cisjordanie, connu pour ses puissants réseaux tribaux. Cela ferait écho aux tentatives israéliennes de la fin des années 1970 d’affaiblir l’OLP en créant des ligues de village et en établissant des relations directes avec les chefs de village, dans le but d’établir des institutions susceptibles de susciter le soutien des Palestiniens à l’occupation.

La police palestinienne disperse une manifestation de partisans du Hamas dans la ville d’Hébron, en Cisjordanie, le 14 octobre 2022. (Wisam Hashlamoun/Flash90)

Ce scénario est déjà visible par endroits. Au cours de la dernière décennie, Israël a développé des relations avec des personnalités clés du monde des affaires, des tribus et des organisations non gouvernementales dans différentes parties de la Cisjordanie, en contournant l’AP qui, en principe, devrait servir d’intermédiaire entre l’administration israélienne et la population palestinienne.

Par exemple, alors que les Palestiniens devraient théoriquement demander des permis par le biais du ministère des Affaires civiles de l’AP, certaines élites locales s’adressent directement à Israël et entretiennent des relations avec des officiers israéliens. Dans le sud de la Cisjordanie, un petit nombre d’hommes d’affaires sont même devenus de nouveaux acteurs des efforts anti-insurrectionnels d’Israël, étant chargés de mettre en place une infrastructure « antiterroriste » et un régime d’auto-surveillance dans leurs entreprises, en échange de mesures exclusives de facilitation du commerce.

L’extension de ces arrangements diviserait effectivement la population palestinienne en petites enclaves contrôlées par des dirigeants locaux, ce qui conduirait à une fragmentation et une atomisation supplémentaires de la société palestinienne. Cependant, tout comme les Palestiniens ont rejeté les ligues de village, considérant les membres des ligues comme des collaborateurs, ils peuvent également rejeter la dépendance majeure d’Israël vis-à-vis des élites palestiniennes locales. Cela serait encore plus vrai si une autre direction palestinienne était au pouvoir, avec une stratégie claire pour garantir les droits des Palestiniens.

Une troisième issue possible est l’effondrement de l’AP et le rétablissement par Israël d’un gouvernement militaire en Cisjordanie. Cela ramènerait les Palestiniens à l’époque pré-Oslo, lorsqu’Israël régissait directement leur vie et gérait leurs affaires administratives et sécuritaires par le biais de l’administration civile israélienne.

Toutefois, une telle issue est peu probable, pour deux raisons principales. Premièrement, elle entraînerait des coûts financiers importants pour Israël. En effet, l’un des facteurs à l’origine du processus d’Oslo et de la création de l’AP en tant que mécanisme d’administration indirecte était que l’administration directe devenait un fardeau financier et militaire pour Israël, surtout après le déclenchement de la première Intifada en 1987. La création de l’AP était donc pratique, car Israël conservait « l’autorité du souverain dans les territoires [occupés] – sans les obligations », comme l’a dit un ancien conseiller du défunt Premier ministre Ariel Sharon.

Le président palestinien Mahmoud Abbas assiste à une réunion du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, le 22 août 2015. (Flash90)

La deuxième raison est que le contexte géopolitique dans lequel le rétablissement d’un régime militaire israélien direct aurait lieu a changé, notamment dans l’ombre des actions russes en Ukraine. Tout comme les efforts de la Russie pour imposer une structure de gouvernance sur certaines parties de l’Ukraine ont entraîné une condamnation mondiale, un tel comportement de la part d’Israël pourrait également entraîner des réactions similaires, que les dirigeants israéliens voudraient éviter. Dans cette optique, les méthodes de stabilisation d’Israël sont susceptibles d’être remises en question non seulement par les Palestiniens, mais aussi par la communauté internationale, en particulier dans le contexte de l’évolution de la perception d’Israël, comme sa description en tant qu’État d’apartheid par les principales organisations internationales des droits de l’homme.

Le fait que le système de contrôle israélien soit confronté à une forte contestation palestinienne, et que les moyens possibles pour les Israéliens de sortir de cette situation ne feraient qu’empirer les choses pour eux, montre que leur stratégie ne peut pas prévaloir indéfiniment. Le problème est que les décideurs israéliens ne sont pas disposés à envisager la seule option viable qui satisferait les Palestiniens à long terme. Cela impliquerait de mettre fin à l’occupation, de répondre aux aspirations des Palestiniens à la liberté, à la justice et à la dignité, et de garantir le droit à l’égalité politique, civile, socio-économique et culturelle pour tous les citoyens.

Source : +972 Magazine

Traduction : AGP pour l’Agence Média Palestine

Nur Arafeh est chargée de recherche au Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center, où ses travaux portent sur l’économie politique de la région MENA, les relations entre les entreprises et les États, les stratégies de consolidation de la paix, le lien entre développement et sécurité et le conflit israélo-palestinien.

Retour en haut