Par Jonathan Ofir, le 3 mars 2023
Les déclarations génocidaires de Smotrich s’inspirent d’une longue histoire qui appartient à la gauche autant qu’à la droite, à commencer par le « Labor Zionism » de David Ben Gurion.
Le ministre israélien d’extrême droite Bezalel Smotrich a choqué le monde entier il y a deux jours lorsqu’il a réaffirmé son soutien à l’éradication du village palestinien d’Huwwara. Il a nuancé sa déclaration en disant que c’est l’État, et non ses citoyens, qui devrait mener de telles politiques génocidaires.
Cette déclaration est d’autant plus choquante qu’elle fait suite à un pogrom mené par des colons juifs à Huwwara et dans ses environs, comme on n’en avait pas vu depuis longtemps.
Le jour du pogrom (dimanche 26 février), Smotrich a « liké » un tweet disant que le village de Huwwara « devrait être effacé aujourd’hui » et que la ville devrait être traitée « sans pitié » après le meurtre de deux frères colons par un tireur palestinien présumé.
Le tweet original était de Davidi Ben-Zion, chef adjoint du Conseil régional de Samarie, un conseil de colons régissant le nord de la Cisjordanie. Ben Zion a ensuite effacé le tweet, affirmant qu’il l’avait écrit dans le « feu de l’action ».
Smotrich, cependant, n’était pas autant repentant. Interrogé sur la raison pour laquelle il avait aimé le tweet incendiaire lors d’une conférence économique mercredi, Smotrich a réitéré sa conviction que Huwwara devait vraiment être anéantie.
Smotrich a la mainmise sur deux ministères – le premier est le ministère des finances, dont il est directement responsable compte tenu de son rôle de ministre des finances, et l’autre est un nouveau poste au sein du ministère de la défense, qui fait de lui essentiellement le gouverneur du territoire palestinien occupé et, surtout, le rend responsable de la colonisation en Cisjordanie.
Ce n’est pas le seul type de plaidoyer que Smotrich a encouragé. Dimanche également, il a fait la promotion d’un thread twitter d’Adam Gold justifiant la punition collective, qui commence comme ceci: « Commençons par l’évidence : la punition collective de la famille et de l’entourage du terroriste est un outil efficace et nécessaire dans une guerre a-symétrique. Une prévention hermétique des attaques terroristes n’est pas possible, et dans un monde biaisé où un terroriste palestinien bénéficie d’un soutien, d’un financement, d’un appui idéologique et d’une promotion sociétale – la modification de la configuration de l’incitation terroriste est essentielle pour sauver des vies civiles. Purement et simplement ».
Le thread continue avec la réserve que l’État devrait être celui qui applique cette punition collective – la même réserve sur laquelle Smotrich insiste dans son interview de mercredi. Cependant, l’illégalité fondamentale de la punition collective, sans parler de sa faillite morale, n’est pas prise en compte.
Il convient de souligner ici que l’identité de l’auteur de la fusillade de Huwwara reste floue, tout comme les motifs de l’attaque. De plus, nous ne sommes même pas sûrs que l’attaquant soit originaire de Huwwara – non pas que le lieu de résidence de la personne ait de l’importance, mais cela révèle les généralisations imprudentes et l’approche réflexe avec lesquelles Smotrich se précipite pour appeler à une punition collective génocidaire.
Il pourrait maintenant sembler facile de rejeter Smotrich comme un extrémiste d’extrême droite et d’affirmer qu’il ne représente pas un autre Israël, plus tolérant. La réalité, cependant, est qu’Israël a une longue et sordide histoire de ce type de plaidoyer, tant à gauche qu’à droite.
Histoire de la punition collective dans le courant dominant en Israël
La stratégie d' »effacement » des quartiers, villes et villages palestiniens a été l’essence de la Nakba de 1948, et elle a été largement menée par le Labor Zionism de David Ben Gourion. Depuis lors, de nombreux acteurs de la politique israélienne, de gauche comme de droite, ont tenté d’être à la hauteur de la réputation de Ben Gourion.
En 1955, le ministre de la Défense de l’époque, Moshe Dayan, un Laborite avoué, a déclaré :
« La seule méthode qui s’est avérée efficace, pas justifiée ou morale, mais efficace, c’est lorsque les Arabes posent des mines de notre côté… si nous essayons de rechercher l’Arabe [qui a posé les mines], cela n’a aucune valeur. Mais si nous harcelons le village voisin… alors la population de ce village se soulève contre les [infiltrés]… la méthode de punition collective s’est jusqu’à présent avérée efficace [1]. »
En 2008, Gadi Eisenkot, alors chef du commandement nord de l’armée, a inventé la « doctrine Dahiya », du nom de la destruction d’un quartier de Beyrouth où vivraient de nombreuses familles de membres du Hezbollah :
« A l’avenir, si nécessaire, nous effectuerons des frappes préventives pour protéger les citoyens d’Israël, sa souveraineté et ses infrastructures. Cela vaut pour tous les fronts, de Téhéran à Khan Yunis… Dans chaque village d’où ils tireront sur Israël, nous utiliserons une force disproportionnée et y infligerons d’énormes dégâts et destructions. De notre point de vue, ce ne sont pas des villages civils, ce sont des bases militaires. »
Eisenkot est un législateur centriste qui a rejoint le parti de centre-droit « Unité nationale » de Benny Gantz et Gideon Sa’ar (avec Eisenkot lui-même comme numéro 3 de la liste).
En février 2008, le ministre centriste de l’Intérieur Meir Sheetrit a appelé, lors d’une réunion du gouvernement, à « anéantir un quartier » de la bande de Gaza en réponse aux tirs de roquettes qui en proviennent :
« Tout pays que je connais entrerait par la force dans une telle zone et la détruirait. Les FDI doivent se déterminer, prendre un quartier de Gaza et l’anéantir. »
Lorsque Benny Gantz est entré en politique en 2019, il s’est littéralement vanté de réaliser une vision tout comme celle de Sheetrit, avec des vidéos de drones montrant des quartiers pulvérisés à Gaza (qu’il a bombardés en 2014 en tant que chef d’état-major de l’armée). En fait, Gantz s’est vanté de ramener Gaza « à l’âge de pierre ».
En 2011, Danny Danon, ancien ambassadeur d’Israël à l’ONU, a écrit sur Facebook que « pour chaque missile qui tombe sur nos villes du sud, nous ripostons en supprimant un quartier de Gaza. » Danon était le co-président du parlement israélien à l’époque, et il est un législateur éminent du Likoud qui a occupé de multiples postes ministériels.
Les Israéliens et tous les autres ont raison d’être choqués par la nature explicitement génocidaire des propos de Smotrich. Mais les Israéliens vertueux, libéraux et indignés devraient se regarder dans un miroir, pour voir à quel point la veine fasciste de Smotrich vit en eux.
[1] Benny Morris, Righteous Victims, l’auteur souligne.
Source: Mondoweiss
Traduction: AGP pour l’Agence Média Palestine