Les Palestiniens de la ville de Cisjordanie ont dû faire face à des bâtiments et à des voitures incendiés après que des centaines de colons se sont déchaînés pendant que les soldats les protégeaient.
Par Oren Ziv, le 27 février 2023
« Les colons ont attaqué, je les ai vus. Ils ont brûlé la voiture qui était garée sous la maison. L’armée est venue et nous a dit de fermer la porte. Ma sœur est descendue, nous avons verrouillé la porte avec une clé. [Les colons] sont venus et ont cassé des choses tout autour de nous. Nous étions assiégés, nous ne pouvions pas sortir. Quelqu’un a crié : « il faut descendre » mais je ne voulais pas. Ils nous ont dit d’ouvrir la porte en disant que c’était les pompiers. Quand je suis parti le matin, j’ai vu que tout l’endroit avait brûlé.
C’est ainsi que Jawad Sultan, sept ans, a décrit le pogrom dimanche soir à Huwara, en Cisjordanie occupée. Des centaines de colons sont entrés dans la ville quelques heures seulement après qu’un Palestinien ait abattu deux frères – Yigal et Hillel Yaniv, des colons de la colonie voisine de Har Bracha – à l’entrée de la ville.
Lundi matin, Huwara, une ville centrale à travers laquelle des milliers de Palestiniens et de colons voyagent chaque jour, s’est transformée en un champ de bataille. Le conseil municipal a signalé que les colons avaient incendié huit maisons, brisé les vitres de 35 autres et brulé 250 véhicules. Plus de 120 personnes ont été blessées, dont un Palestinien gravement blessé à la tête qui est actuellement hospitalisé à Naplouse. Un Israélien a tiré et a tué Sami Aktash, 37 ans, du village voisin de Za’atara. On ne sait toujours pas s’il a été abattu par des colons ou par des soldats.
Immédiatement après les meurtres des deux Israéliens, qui ont eu lieu dimanche en début d’après-midi, l’armée a fermé Tapuah Junction, une importante artère de circulation à proximité, ainsi que l’entrée de Huwara utilisée par les Israéliens vivant dans la colonie d’Yitzhar, juste au nord-ouest de la ville.
Cependant, malgré ces fermetures, de nombreux témoins oculaires ont rapporté que l’armée a permis aux colons d’entrer à Huwara à pied, tout en empêchant les journalistes, les médecins et les travailleurs humanitaires palestiniens d’intégrer les lieux.
Lundi matin, après la fin du déchaînement, les routes étaient jonchées de pierres, de grenades lacrymogènes et de pneus brûlés, que les colons auraient utilisés pour incendier des maisons. Les résidents ont déclaré qu’ils ne pouvaient se souvenir d’aucun événement comparable ayant jamais eu lieu dans leur ville.
En racontant leur expérience de la nuit précédente, beaucoup ont mentionné le meurtre de la famille Dawabshe, que les colons ont brûlée vive dans leur maison du village cisjordanien de Duma, en 2015.
« L’armée a apporté son soutien »
Dans les heures qui ont suivi le pogrom, des militants professionnels pro-israéliens ont commencé à diffuser en ligne une photo montrant deux soldats israéliens apportant de l’aide à une femme palestinienne âgée, les soldat semblent aider la femme à s’éloigner d’un immeuble en feu.
La photo a été présentée comme une preuve de la bienveillance et de la moralité de l’armée israélienne, des témoins oculaires et des survivants du pogrom réagissent face à cette information, ils décrivent comment l’armée a aidé et encouragé les colons, contredisant la représentation des soldats israéliens comme les sauveurs de Huwara.
Sharif Sultan, le père de Jawad, l’enfant de sept ans, se tenait devant sa maison, observant la destruction.
« Nous étions chez nous, tout était normal, quand [les voisins] ont dit que les colons étaient arrivés », a-t-il dit. « Entre 400 et 500 colons sont venus. Ils ont brisé les fenêtres, lancé de grosses pierres et cassé la porte. Nous avons appelé l’armée, tout le monde, mais rien ne s’est passé.
Sultan a déclaré que les soldats qui étaient présents se tenaient à proximité et n’ont rien fait pour arrêter le carnage.
« L’armée est restée là, leur apportant son soutien », a-t-il déclaré.
Sultan, un vendeur de voitures, a vu une grande partie de ses moyens de subsistance détruits dans le pogrom. Des dizaines de voitures qu’il avait achetées ont maintenant été détruites et il estime le total des dommages à 1,5 million de shekels (400 000 dollars). « Il ne reste plus rien », a-t-il dit.
« Il n’y a personne pour nous protéger, à part Dieu », a déclaré Mohannad Odeh, un autre habitant.
« Les colons sont venus avec un grand nombre de soldats. Ils ont fait ce qu’ils voulaient : ils ont brûlé, battu, volé. »
Finalement, seulement après avoir réalisé qu’ils avaient perdu le contrôle de la situation, les responsables de l’armée ont envoyé des renforts pour chasser les colons de la ville. Bien qu’un Palestinien ait été tué, des dizaines blessés et des centaines de maisons et de véhicules brûlés, l’armée n’a arrêté que huit colons. Dont six ont été libérées : cinq sont rentrées chez eux immédiatement après avoir été interrogées au poste de police, tandis qu’une personne a été remise en résidence surveillée lundi matin.
Pendant ce temps, le pogrom a reçu le soutien manifeste de nombreuses personnalités publiques et journalistes colons. Un journaliste du média pour colons Hilltop News diffusait en direct la scène alors que les flammes engloutissaient les maisons et les voitures en arrière-plan, a déclaré à la caméra : « Il y a quelque chose de terriblement excitant ici. De simples juifs sont venus et ont commis un acte naturel de vengeance ».
Elchanan Groner de The Jewish Voice, un autre média d’extrême droite des colons, a écrit :
« Que cela vous plaise ou non, la dissuasion fonctionne ! Au cours des dernières heures, des Arabes ont appelé au moins un responsable de la sécurité civile avec des demandes et des supplications pour les protéger afin que leurs maisons ne soient pas incendiées. Je préfère cela à leur célébration et à la distribution de friandises après une attaque [qui se serait produite à Naplouse après le meurtre des frères Yaniv]. C’est dommage que Tsahal n’ait pas réalisé cet acte,il y a longtemps qu’elle devait mener des actions de représailles et de dissuasion douloureuses contre l’ennemi ».
Après l’attaque, Davidi Ben-Zion, le chef adjoint du Conseil régional de Samarie, s’est exprimé sur Twitter pour demander que Huwara soit « effacé ».
« Assez parlé de la construction et du renforcement des colonies, la dissuasion doit être rétablie immédiatement et il n’y a pas de place pour la pitié », a écrit Ben-Zion. Le ministre des Finances Bezalel Smotrich a aimé le tweet, que Ben-Zion a ensuite supprimé. La semaine dernière, Smotrich s’est vu confier le contrôle total de l’Administration civile.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a appelé les colons « à ne pas se faire justice eux-mêmes». Le ministre de la Défense, Yoav Galant, s’est plaint que les attaques des colons « interfèrent » avec les tentatives de l’armée d’attraper les auteurs de l’attaque qui a tué les colons. Les plus hauts responsables israéliens semblaient laisser entendre que le problème central du terrorisme juif est la manière dont il interfère avec les activités de l’armée.
‘Si tu sors, l’armée te tirera dessus’
Amer al-Madi, dont la maison a été complètement détruite lors des incendies criminels, était au travail à Naplouse lorsque les colons sont entrés dans la ville. « On nous a dit qu’il y avait une marche de colons, ce qui est normal – mais pas comme celui-ci », a-t-il expliqué. Al-Madi a déclaré que malgré un gros embouteillage à l’intersection de Huwara, il a finalement réussi à rejoindre son quartier.
« L’armée nous a empêchés d’entrer dans la maison », se souvient-il. « Nous nous sommes disputés avec eux : j’ai dit : ‘J’ai des enfants à la maison, ils attaquent ma maison !’ Ils ont répondu : ‘Vous ne pouvez pas entrer.’ » Finalement, al-Madi a réussi à se rendre chez lui. « J’ai vu 200 ou 300 colons devant la maison. Mes enfants, ma femme et ma mère m’ont confié que les colons sont venus, ont cassé la vitre. La maison a brûlé. Mes enfants étaient terrifiés. La nuit, ils pleuraient, ils ne pouvaient pas dormir. »
Al-Madi confie que c’est la première fois qu’il rencontre une telle violence des colons. « Les colons étaient comme des animaux, il n’avait pas une once d’humanité. Ils se répartissaient le travail : un groupe pour casser, un second groupe pour mettre le feu. Personne n’est intervenu. » Al-Madi lui-même a été blessé au bras par une pierre qui lui a été lancée.
Mamdouh al-Madi, l’un des proches d’Amer, a déclaré que l’armée avait utilisé du gaz pour « étouffer » les habitants. « Nous n’avons pas peur [des colons] », a déclaré Mamdouh, « mais si vous quittez votre maison, l’armée vous tirera dessus. Ils détruiront votre maison et vous ne pourrez pas vous défendre. Le monde a besoin de voir la barbarie des colons et le soutien qu’ils reçoivent de l’armée.
« Nous sommes contre les tueries qui ont eu lieu hier a déclaré l’un des habitants, faisant référence à la mort des deux colons, Mais qu’est-ce que les milliers de personnes qui vivent ici ont à voir avec cela ? Les gens étaient chez eux avec leurs enfants quand tout brûlait autour d’eux c’est un sentiment indescriptible. »
Ahmed Dumidi, un autre habitant de Huwara, a déclaré que la situation dans la ville s’est considérablement aggravée depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement. « Il y a eu un grand changement depuis Ben Gvir », a déclaré Dumidi à propos du nouveau ministre israélien de la Sécurité nationale d’extrême droite. « C’est dangereux de se promener seul, n’importe quel colon ou soldat peut mettre le feu.
« Il y avait des colons hier soir, ils étaient en tenue militaire et portaient des armes, comme une milice privée », a poursuivi Dumidi. « À qui allons-nous parler ? L’armée ne nous protège pas, l’Autorité palestinienne ne peut pas nous protéger. Nous vivons dans une prison. Hier, quand tout brûlait, j’ai senti la mort s’approcher.
Une version de cet article a été initialement publiée en hébreu sur Local Call. Lisez-le ici.
Trad. S.H pour l’Agence Média Palestine
Source : +972 Mag