Par Walid Habbas, le 6 mars 2023
Depuis 2021, les dirigeants israéliens ont proposé de nouvelles mesures économiques dans le but affiché de « réduire le conflit » (« shrinking the conflict », en anglais). Cette stratégie consiste à prétendre offrir aux Palestiniens plus d’opportunités économiques et plus de « libertés », dans le but de leur faire digérer plus facilement l’occupation israélienne et la consolider. Dans cette article, l’analyste politique d’Al-Shabaka, Walid Habbas, démystifie cette stratégie et explique pourquoi il faudrait bien plus que des incitations économiques pour apaiser les Palestiniens.
Une brève vue d’ensemble
Depuis 2021, un nombre croissant de dirigeants israéliens ont proposé de nouvelles politiques pour encadrer et contrôler leur occupation de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et de la bande de Gaza. Ces politiques obéissent à une nouvelle injonction conceptuelle qui propose de « réduire le conflit » (« shrinking the conflict », en anglais) – une approche introduite en 2018 par l’historien israélien Micah Goodman qui recommande de maintenir « le conflit en dessous du seuil de la guerre, tout en améliorant le cadre de vie de la population palestinienne ».
L’approche, qui est une version révisée du modèle de « paix économique » chère à Benjamin Netanyahu, vise à consolider l’occupation militaire israélienne afin d’empêcher la création d’un État palestinien voire l’établissement d’un seul État. Contrairement à la stratégie de « paix économique », l’approche de « restriction du conflit » fut conçue pour réduire les « vagues de terreur et les affrontements violents » « propagés » par les Palestiniens en prétendant étendre les libertés des Palestiniens au sein du système d’apartheid d’Israël.
Cette brève politique démystifie l’approche israélienne consistant à « réduire le conflit » et les changements de politique qu’elle implique. Elle examine les nouvelles décisions économiques du gouvernement à l’égard de la Cisjordanie et de Gaza, en soulignant leurs implications potentielles graves et irréversibles pour les Palestiniens. Elle soutient que tout amendement qui n’aboutirait pas à un démantèlement total du régime d’apartheid israélien, de l’occupation et de la colonisation n’apporterait aucune amélioration à la vie des Palestiniens, pas plus qu’il ne leur permettrait d’accepter le statu quo1.
Éclaircissement du concept de « Rétrécissement du conflit »
Goodman a d’abord introduit le concept de « rétrécissement du conflit » comme la solution éventuelle au fossé grandissant entre la soi-disant gauche israélienne, qui a appelé à la fin de l’occupation israélienne pour empêcher la création d’un seul État au régime apartheid, et la droite israélienne, qui s’oppose à tout retrait israélien des terres qu’il occupe depuis 1967. L’approche doit être comprise comme une réitération de la stratégie précédente de « gestion du conflit » par la « paix économique ». Les politiques mises en avant par la stratégie de « paix économique » ont renforcé la dépendance économique palestinienne vis-à-vis du régime israélien mais en mettant en œuvre simultanément des tactiques militaires oppressives contre les Palestiniens.
En revanche, l’approche « rétrécissement du conflit » considère que les outils israéliens d’oppression engendrent des frictions quotidiennes « inutiles », augmentant ainsi la probabilité de griefs Palestiniens, et donc, d’affrontements violents. Selon les principes de cette stratégie, le régime israélien n’a pas besoin de démanteler son occupation, mais simplement de la gérer différemment – de manière clairement moins oppressive. Ainsi, l’approche « rétrécissement du conflit » a-t-elle définitivement écarté toute discussion sérieuse sur la solution à deux États.
Autrement dit, des politiques de « paix économique » ont été introduites pour renforcer et faire miroiter l’idée d’une possible solution à deux États, et renforcer la dépendance économique palestinienne à Israël, afin de faire émerger une partie de la société palestinienne complice de la poursuite du statu quo.
Il est important de noter, en effet, que ces politiques ont bien créé une élite économique palestinienne docile qui a travaillé en tandem avec les autorités d’occupation israéliennes pour réprimer, dans la violence, un peuple palestinien rebelle. Par ailleurs, l’approche de « paix économique » ne comprenait aucune disposition visant à atténuer les souffrances des Palestiniens sous l’occupation militaire israélienne.
Alors que la stratégie de « rétrécissement du conflit » poursuit des politiques économiques similaires, elle propose des moyens par lesquels le « désir de l’opinion publique palestinienne de jouir pleinement de ses droits civiques » peut être reconnu sans qu’il soit nécessaire qu’Israël mette fin à son occupation et sans que les frontières souveraines de la Palestine soient reconnues. En conséquence, le fait d’accorder aux Palestiniens des facilités économiques, ainsi qu’une plus grande mobilité en Cisjordanie et un accès au monde extérieur, fait partie d’une stratégie israélienne plus large visant à limiter les griefs à l’égard de l’occupation afin de la maintenir. Cette stratégie repose sur l’hypothèse raciste selon laquelle les Palestiniens accepteront l’occupation coloniale israélienne si ses mécanismes d’oppression sont assouplis et rendus moins visibles.
Fondamentalement, l’approche «rétrécissement du conflit » a, comme assomption de base, l’idée fausse que la résistance palestinienne est apolitique et en rien concernée par une quelconque lutte contre l’occupation et pour la libération de l’apartheid israélien. Au lieu de cela, la stratégie est fondée sur la conviction que la plupart des confrontations violentes entre Palestiniens et Israéliens découlent des conditions de plus en plus amères dans lesquelles vivent les Palestiniens. Aussi, l’approche suppose que ce n’est pas l’occupation israélienne en soi qui perpétue le conflit, mais la manière dont elle est gérée, c’est-à-dire par une oppression manifeste des Palestiniens. Reconfigurer l’occupation pour rendre la vie « plus facile » aux Palestiniens peut ainsi « rétrécir le conflit » – et un conflit ainsi « rétréci » permet la poursuite de l’occupation elle-même.
Malgré les tentatives malavisées de Goodman pour unifier le spectre politique israélien par cette approche, la « gauche » israélienne est en voie de disparition et les dirigeants israéliens paraissent désormais divisés entre une droite pragmatique et une extrême droite qui rejettent toutes deux les négociations politiques et la création d’un État palestinien. Ainsi, toute nouvelle mesure israélienne visant à « restreindre le conflit » – en assouplissant les tactiques militaires oppressives ou en augmentant les opportunités économiques pour les Palestiniens – ne peut pas être entendue que comme un moyen de prolonger indéfiniment le statu quo de l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza par le régime israélien.
Créer l’illusion de la liberté
En 2019, un groupe d’étudiants et de jeunes politiciens israéliens a créé « l’Initiative pour réduire le conflit » sur la base des huit recommandations de Goodman pour « améliorer » la vie des Palestiniens d’une manière qui profiterait également à Israël. Depuis lors, l’initiative a fait partie de presque toutes les sessions de la Knesset au cours desquelles sont discutés l’économie palestinienne (la zone C de la Cisjordanie et Gaza). L’approche de « rétrécissement du conflit » apparaît également explicitement dans le programme électoral du parti New Hope, et a été défendue à la fois par le droitiste Neftali Bennett et le soi-disant centriste Yair Lapid.
Les quatre premières recommandations de Goodman visent à accroître le sentiment de liberté chez les Palestiniens sous occupation.
Premièrement, Goodman plaide pour des plans militaires israéliens pour connecter par de nouvelles routes tous les cantons Palestiniens des zones A et B. La proposition provient du constat que la mobilité limitée à l’intérieur de la Cisjordanie est l’une des conditions qui rendent la vie des Palestiniens particulièrement difficile – ils sont continuellement confrontés aux points de contrôle, aux colonies, aux patrouilles militaires et aux barrages routiers israéliens. Des routes réservées aux Palestiniens plus efficaces et reliées entre elles participeraient à dissimuler les infrastructures de l’occupation, donnant théoriquement aux Palestiniens le sentiment que l’occupation a en quelque sorte disparu.
Goodman suggère également de transférer des parties de la zone C vers la zone A afin de mieux permettre aux Palestiniens d’agrandir leurs logements en fonction des besoins. Détrompons-nous, cela n’implique point un retrait israélien progressif de la zone C ; Israël n’est disposé à transférer des portions limitées de la zone C aux Palestiniens que parce qu’elles sont adjacentes à des villages Palestiniens et ne conviennent pas à l’expansion des colonies. Les Palestiniens ne cessent d’ailleurs de rappeler que ces gestes sont souvent liés à l’expansion des colonies israéliennes. En 2021, et pour la première fois en 20 ans, le régime israélien a approuvé la construction de plus de 1 000 logements pour les Palestiniens dans la zone C quelques jours seulement après avoir approuvé la construction de 2 200 unités de colonies israéliennes, également dans la zone C. Comme on pouvait alors prévoir, tout transfert de parties de la zone C vers la zone A pour le développement de logements Palestiniens qui s’accompagne d’une expansion des colonies israéliennes ne peut que renforcer la résistance palestinienne2.
La stratégie de « rétrécissement du conflit » préconise aussi de faciliter les relations palestiniennes avec le monde extérieur. En ce sens, Goodman propose d’accorder aux Palestiniens l’accès aux aéroports israéliens. En 2022, le régime israélien a fait un pas dans cette direction, permettant aux Palestiniens de Cisjordanie d’utiliser l’aéroport de Ramon, situé dans le sud du Naqab, pour voyager. Favorable à première vue aux Palestiniens, cette étape ne fait, en réalité, qu’exacerber le contrôle israélien sur eux. En effet, pour accéder à l’aéroport de Ramon, les Palestiniens dépendent des infrastructures de transport israéliennes, obligeant le régime israélien à renforcer ses mécanismes de surveillance.
Enfin, Goodman recommande paradoxalement qu’Israël soutienne les efforts diplomatiques Palestiniens pour obtenir la reconnaissance internationale en tant qu’État palestinien, mais qu’Israël n’en reconnaisse pas les frontières. Alors que la reconnaissance d’un État « augmenterait le sentiment de liberté et d’indépendance des Palestiniens », explique Goodman, le refus de reconnaître les frontières palestiniennes assurera que les incursions des forces d’occupation israéliennes en Cisjordanie continueront à ne pas être considérées comme des violations d’un territoire souverain (une composante importante de sa proposition originale en hébreu qui a été omise de la traduction anglaise).
Quoi qu’il en soit, il est peu probable que le soutien à la création d’un État palestinien se produise sous un régime israélien, quoiqu’en soit sa nature, et certainement pas sous le nouveau gouvernement de coalition d’extrême droite israélienne.
Les composantes économiques du « rétrécissement du conflit »
Le régime israélien utilise depuis longtemps l’économie pour contrôler et pacifier les Palestiniens. Ceci est énoncé dans le Protocole économique de Paris (PEP) de 1994, un accord entre Israël et l’Autorité palestinienne (AP) destiné à donner l’illusion d’une autonomie économique palestinienne tout en rendant paradoxalement les Palestiniens économiquement dépendants du régime israélien. Au cours des cinq dernières années, les dirigeants israéliens n’ont fait que développer le modèle de « paix économique » de Netanyahu, qui s’inscrit pleinement dans le cadre du PEP.
Fondamentalement, toute nouvelle politique économique israélienne qui offre aux commerçants et aux ouvriers Palestiniens des opportunités de mobilité et de collaboration avec Israël afin « d’élever leur niveau de vie » – et ainsi de « minimiser » le conflit – est fondamentalement erronée et illogique. Elles doivent être comprises comme des moyens d’accroître et de renforcer la fragmentation géographique et économique palestinienne, tout comme la dépendance économique à l’égard d’Israël, dans un état de développement perpetuel.
Le point de vue de Goodman sur les relations économiques
L’approche de « rétrécissement du conflit » de Goodman est conçue pour permettre une révision du PEP, y compris par le biais d’une collaboration économique entre les Palestiniens et le régime israélien. Dans le cadre de cette approche, l’ancien Premier ministre israélien Yair Lapid et le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh ont assisté à une réunion en septembre 2022 parrainée par le ministère norvégien des Affaires étrangères, dont l’objectif était de promouvoir la construction d’un État palestinien. Le Comité de liaison ad hoc a ensuite proposé de restructurer les relations financières entre les Palestiniens et les Israéliens, mais aussi de relancer le Comité économique mixte, qui fut gelé après la deuxième Intifada. À ce jour, aucune de ces propositions n’a avancé, et les deux seront probablement complètement abandonnées sous le sixième gouvernement de Netanyahu.
Goodman propose également des facilités économiques supplémentaires (basées sur les changements de politique recommandés par l’Institute for National Security Studies) dans l’espoir d’obtenir l’acquiescement politique palestinien. Par exemple, il soutient l’affectation progressive de terres supplémentaires dans la zone C à la coopération économique palestino-israélienne, y compris les investissements étrangers et des parcs industriels supplémentaires qui resteraient sous contrôle israélien. Ceux-ci rejoindraient des projets existants, tels que le Parc industriel multidisciplinaire de Bethléem (BMIP) et la Jericho Agro Industrial Park Company (JAIP Co.), qui n’ont ni l’un ni l’autre réussi à atteindre leurs objectifs pour soutenir la croissance économique palestinienne. Bien entendu, la proposition de Goodman repose sur les investissements étrangers – un rappel important que « le rétrécissement du conflit » sert également les intérêts des parties prenantes au-delà de la Palestine colonisée.
En outre, Goodman appelle à la création de routes logistiques « sûres » en Cisjordanie pour faciliter le processus de transfert des marchandises palestiniennes vers les marchés israéliens, incitant ainsi davantage de marchands Palestiniens à s’efforcer de conclure un accord avec le régime israélien. Il appelle également à augmenter le nombre et à diversifier les tâches des travailleurs Palestiniens dans les territoires de 1948. Bien qu’elles puissent sembler profiter aux Palestiniens, ces deux politiques ne font que contribuer à leur asservissement économique.
La création de routes logistiques « sûres »
Depuis 2018, l’administration civile israélienne, l’USAID et le Quatuor, aux côtés de plusieurs producteurs Palestiniens à grande échelle, ont travaillé sur un nouveau modèle pour exporter des marchandises palestiniennes vers les marchés israéliens en permettant aux camions israéliens d’entrer dans la zone A et de charger des marchandises directement depuis les portes des usines palestiniennes. Le nouveau modèle, connu sous le nom de « Door-to-Door » (porte-à-porte), réduit considérablement le temps passé à transférer les produits et rationalise le processus d’acheminement des marchandises palestiniennes vers les marchés israéliens.
L’arrangement est promu comme financièrement avantageux pour les grands producteurs Palestiniens qui seraient en mesure d’augmenter la production et d’augmenter leurs profits après s’être conformés aux conditions israéliennes. Cependant, il comprend plusieurs exigences pour les Palestiniens en rapport avec des considérations de sécurité :
1) Les usines palestiniennes doivent ériger des barrières en ciment et des clôtures en fil de fer, soutenues par un système d’alarme connecté directement à un bureau militaire israélien au portail commercial le plus proche ;
2) Les employés Palestiniens, formés par l’armée israélienne, doivent charger la cargaison palestinienne et se présenter quotidiennement à leurs superviseurs militaires israéliens ;
3) Chaque camion de fret doit installer un système de suivi GPS permettant aux agents militaires israéliens de surveiller les transports de marchandise sur toutes les routes de la Cisjordanie.
En septembre 2022, 21 entreprises palestiniennes à al-Khalil (Hébron), Ramallah et Naplouse ont conclu l’accord « Door-to-door »3. Le nombre total d’expéditions utilisant cette méthode s’élevait à 61 880 entre mars 2018 et septembre 2022, réduisant ainsi les coûts logistiques d’environ 8,6 millions de dollars. Comme avec le modèle de « paix économique », cet arrangement a comme conséquence qu’une partie des grands producteurs Palestiniens se trouve séparé du reste des exportateurs Palestiniens, une source de souffrance pour ces derniers. En effet, les autorités d’occupation israéliennes exigent que seuls peuvent conclure l’accord « Door-to-door » les Palestiniens dont le volume de leurs échanges avec Israël dépasse les 10 millions de shekels par an – un résultat auquel très peu de Palestiniens peuvent aspirer.
En plus d’aggraver l’écart salarial palestinien sur une géographie fragmentée, la politique du porte-à-porte permet un empiétement supplémentaire d’Israël sur la terre palestinienne et une surveillance de leur vie quotidienne. L’arrangement implique que le régime israélien infiltre les sites de production Palestiniens dans la zone A, où se trouvent les usines, chaque fois qu’il le juge nécessaire. Israël surveille également ces sites de production, ainsi que les itinéraires logistiques « sûrs » réservés aux frets porte-à-porte, élargissant ainsi considérablement son infrastructure de surveillance oppressive sur les Palestiniens.
Les forces d’occupation israéliennes ont également intensifié les vérifications des antécédents d’atteinte à la sécurité dans le cadre de leur régime de permis, s’assurant ainsi qu’un nombre croissant de Palestiniens sont politiquement pacifiés afin de préserver leurs permis de travail et leurs moyens de subsistance économiques. Dans l’ensemble, de telles politiques indiquent qu’Israël assure insidieusement l’annexion de facto d’importants pôles de la production économique palestinienne, tout en décourageant la dissidence au moyen d’incitations économiques qui semblent avantageuses.
Accroissement de la dépendance économique par le travail
Fin 2016, le régime israélien a publié une résolution appelant à des « innovations » majeures concernant à la fois le volume de travailleurs palestiniens autorisés dans les territoires de 1948, ainsi que les procédures de délivrance des permis de travail. Depuis lors, le gouvernement a légiféré pour mettre en œuvre ces « innovations ». En conséquence, le nombre de travailleurs Palestiniens dans les territoires de 1948 est passé d’environ 110 000 en 2016 à 204 000 en 2022. Ce changement est conforme à la cinquième étape de Goodman vers « le rétrécissement du conflit » : augmenter le nombre de travailleurs palestiniens sur le marché du travail israélien (avec un plafond de 400 000).
De même, en mars 2022, Israël a publié la décision 1328 pour autoriser les travailleurs Palestiniens de Gaza à entrer dans les territoires de 1948 pour la première fois depuis 2006. À la fin de 2022, le nombre de travailleurs gazaouis autorisés était plafonné à 20 000. Comprise dans le contexte du « rétrécissement du conflit », l’approche du régime israélien à l’égard de Gaza en particulier est passée du « calme pour le calme » à « l’économie pour le calme », comme Yair Lapid (alors ministre des Affaires étrangères) l’a explicitement déclaré en septembre 2021. Il doit être souligné que, outre la possibilité offerte aux Palestiniens de Gaza de profiter de quelques opportunités économiques dans les territoires de 1948, Gaza elle-même est totalement exclue de la proposition de Goodman.
Les autorités israéliennes ont beau affirmer que l’augmentation des flux de revenus vers la Cisjordanie et Gaza contribuera à la croissance économique palestinienne – en 2021, on estimait que le revenu combiné des travailleurs Palestiniens dans les territoires de 1948 atteignait 5,5 milliards de dollars (environ 35 % du PIB palestinien) – une distinction doit être faite entre une telle croissance et un véritable développement économique, en particulier sous occupation militaire restrictive et sous siège. En fait, l’augmentation de la migration de la main-d’œuvre palestinienne vers le marché israélien renforce fondamentalement la dépendance palestinienne vis-à-vis d’Israël et, par conséquent, l’occupation israélienne.
Pour aggraver un peu plus les choses, le régime israélien ne s’intéresse plus seulement à la main-d’œuvre palestinienne à bas salaire. Ces dernières années, il a diversifié la main-d’œuvre palestinienne dans les territoires de 1948 pour inclure des emplois dans les domaines de la haute technologie, de la médecine et de l’ingénierie. Il a également investi environ 300 millions de shekels dans la formation pour donner aux travailleurs Palestiniens de nouvelles compétences professionnelles. En conséquence, l’expansion et la diversification des travailleurs Palestiniens ne font qu’augmenter le nombre de Palestiniens qui dépendent économiquement du régime israélien, contribuant ainsi à la préservation du statu quo politique.
Pourquoi « Réduire le Conflit » échouera ?
Le concept de « rétrécissement du conflit » suppose qu’une série de changements dans la politique israélienne envers la Cisjordanie et Gaza – notamment économiques – éliminera les conditions qui alimentent les « affrontements » entre les Palestiniens et les forces d’occupation israéliennes. En allégeant soi-disant le poids des souffrances quotidiennes des Palestiniens, l’occupation militaire israélienne devient ainsi plus gérable et durable. En d’autres termes, la question de l’autodétermination palestinienne par le biais d’un État devient obsolète, soulageant les dirigeants israéliens à travers tout l’éventail politique de l’éternelle question de savoir quoi faire de la population palestinienne.
En fin de compte, la stratégie de « rétrécissement du conflit » signifie que le régime israélien continuera d’opérer dans son seul intérêt aux dépens des Palestiniens, y compris en soutenant les structures mêmes de l’apartheid colonial qui sont à la base de leurs souffrances continuelles. En effet, comme Goodman lui-même le soutient, « le rétrécissement du conflit » ne nécessite pas un accord formel, le retrait des colons ou des colonies israéliennes de Cisjordanie, ou la division de Jérusalem.
Les huit étapes de Goodman reposent in fine sur un sophisme : les Palestiniens seront moins enclins à résister s’ils sont amenés à croire qu’ils peuvent profiter de la vie sous une occupation coloniale permanente grâce à moins de restrictions à la mobilité et à davantage d’opportunités de collaboration économique avec le régime israélien. Il s’agit d’une hypothèse déformée et raciste basée sur une fausse idée, une idée sioniste de longue date qui voudrait que les Palestiniens soient une foule apolitique et violente – plutôt qu’un peuple exigeant l’autodétermination – un peuple que l’on peut amadouer en leur accordant quelques « privilèges ».
Certains aspects de l’approche de « rétrécissement du conflit » privilégiée par la droite pragmatique israélienne ont été invalidés avec la victoire du gouvernement de coalition d’extrême droite de Netanyahu en décembre 2022. D’une part, la répression violente de la résistance palestinienne, en particulier dans le nord de la Cisjordanie, a rendu caduque toute idée que l’on pourrait éliminer les mécanismes qui engendrent les affrontements. D’un autre côté, la coalition extrémiste de Netanyahu, qui pousse à davantage de dépossession et de déplacement des Palestiniens, ne suivra probablement pas les propositions de Bennett et Lapid qui devaient « réduire le conflit ». Néanmoins, il est probable que les mesures économiques mises en place depuis 2021 continueront de façonner les relations économiques palestino-israéliennes dans les années à venir.
Et bien que le nouveau gouvernement de coalition israélien n’ait pas encore défini ses politiques économiques envers la Cisjordanie et Gaza, son engagement flagrant à étendre et approfondir l’occupation aggravera à coup sûr les souffrances des Palestiniens.
Les Palestiniens, quant à eux, n’accepteront jamais cette réalité, même avec des facilités économiques accrues. Même si les décideurs israéliens font pression pour des mesures visant à « améliorer » la vie des Palestiniens grâce à une participation accrue au marché du travail israélien, à la mobilité à l’intérieur de la Cisjordanie ou à l’accès au monde extérieur, la réalité du colonialisme israélien, de l’apartheid , et l’occupation persistera – tout comme la résistance palestinienne.
- Toutes les traductions des sources arabes et hébraïques vers l’anglais dans cette brève ont été réalisées par l’auteur.
- Il est très peu probable que les propositions d’expansion du logement palestinien se poursuivent sous le nouveau régime israélien.
- Il est important de noter que certains capitalistes Palestiniens ont choisi de participer à l’accord « Door-to-door ».
- Le site du PCBS ne propose que des données depuis 1994. Pour accéder aux données entre 1967 et 1993, l’auteur a consulté les rapports annuels du PCBS ainsi que le livre de Leila Farsakh, Palestinian Labour Migration to Israel : Labour, Land and Occupation (Oxford : Routledge, 2005) .
Walid Habbas est chercheur au Forum palestinien pour les études israéliennes (MADAR) et doctorant à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il travaille actuellement sur les relations économiques entre la Cisjordanie et Israël en mettant l’accent sur les multiples modes d’interaction entre les acteurs Palestiniens définis par leurs classe, leur secteur d’activité et les structures coloniales (les politiques de frontières et de permis de travail). Il étudie des activités telles que la contrebande, la migration de main-d’œuvre, les réseaux de courtage de main-d’œuvre, les itinéraires logistiques et les interventions économiques coloniales.
Source : Al-Shabaka
Traduction : BM et AGP pour Agence Média Palestine