« Mort aux chrétiens » : la violence s’intensifie sous le nouveau gouvernement israélien

Par Steven Davidson, le 9 avril 2023

Les dirigeants chrétiens de Jérusalem disent que jamais les assaillants israéliens ne se sont sentis plus enhardis que sous la coalition d’extrême droite au pouvoir.

L’hostilité des juifs fondamentalistes envers la communauté chrétienne de Jérusalem ne date pas d’aujourd’hui [File: Lucien Lung/Al Jazeera]

Jérusalem – Rien de l’attaque — ni ce qui s’est passé depuis — n’a étonné Miran Krikorian. Le propriétaire arménien du Taboon and Wine Bar dans la Vieille Ville de Jérusalem ne fut pas surpris de recevoir un appel dans la nuit du 26 janvier l’informant qu’une foule de colons israéliens étaient en train d’attaquer son bar dans le quartier chrétien, criant « Mort aux arabes… Mort aux chrétiens ».

Il ne s’est pas plus étonné du peu d’efforts déployés par la police pour attraper les auteurs des faits; après une couverture minimale de l’attaque par la presse et un manque d’arrestations, la police lui a dit deux mois plus tard qu’ils avaient détenu trois suspects parmi la foule. Mais ils ont également demandé sa vidéo de surveillance, malgré l’existence de vidéos déjà en ligne et les caméras de surveillance omniprésentes dans la Vieille Ville.

« Vous avez des caméras ici qui peuvent montrer jusqu’aux sous-vêtements que quelqu’un porte, alors pourquoi demandez-vous mes images deux mois plus tard? » demanda Krikorian.

Il n’eut pas de peine lui-même à identifier bon nombre des auteurs – ils sont allés en ligne quelques minutes après l’attaque pour affubler son restaurant d’une unique étoile – mais lorsqu’il s’est rendu au poste de police ce soir-là, l’officier l’a réprimandé avec un  » Ne me dérangez pas. »

Le restaurateur Gabi Hani, propriétaire de Versavee, à Jérusalem le 5 avril 2023 [Lucien Lung/Al Jazeera]

Quelques jours plus tard, des Arméniens qui quittaient alors un service commémoratif dans le quartier arménien, disent avoir été attaqués par des colons israéliens portant des bâtons. Un Arménien fut aspergé de gaz poivré pendant que des colons escaladaient les murs du couvent arménien, essayant de descendre son drapeau, qui portait une croix. Lorsque les arméniens les ont chassés, les colons ont commencé à crier : « Attaque terroriste ! », incitant la police des frontières à proximité à braquer leurs armes sur les arméniens, et à battre et à arrêter l’un d’entre eux.

« Là où on aurait pu s’attendre à ce que [les soldats] calment ou condamnent [les colons], c’est moi qui regardais le soldat dans les yeux et lui disais de se calmer », a déclaré à Al Jazeera l’un des jeunes arméniens attaqués.

L’hostilité des juifs fondamentalistes envers la communauté chrétienne de Jérusalem ne date pas d’aujourd’hui, et ce ne sont pas seulement les chrétiens arméniens qui en souffrent. Des prêtres de toutes confessions racontent avoir été crachés dessus pendant des années. Depuis 2005, les célébrations chrétiennes autour de la Semaine Sainte, en particulier le Samedi du Feu Sacré, ont vu s’étendre des barricades militaires et des traitements brutaux de la part des soldats et des colons. Sous prétexte de problèmes de sécurité, le nombre de fidèles autorisés à l’intérieur de l’église du Saint-Sépulcre s’est trouvé drastiquement restreint, passant de 11 000 historiquement pour la cérémonie du Feu Sacré à seulement 1800 depuis l’année dernière.

Mais depuis que le nouveau gouvernement israélien – le plus à droite et le plus religieux de son histoire – est arrivé au pouvoir, les incidents contre les chrétiens à Jérusalem seraient devenus plus violents et plus fréquents. Au début de l’année, 30 tombes chrétiennes du cimetière protestant du mont Sion furent profanées. Dans le quartier arménien, des vandales ont peint à la bombe sur les murs : « Mort aux arabes, aux chrétiens et aux arméniens ».

Foules célébrant le dimanche des Rameaux à Jérusalem le 2 avril 2023 [Lucien Lung/Al Jazeera]

À l’Église de la Flagellation, quelqu’un a attaqué une statue de Jésus avec un marteau. Le mois dernier, un Israélien est venu à l’Église de Gethsémani pendant les services religieux du dimanche et a tenté d’attaquer le prêtre avec une barre de fer. Se faire cracher et crier dessus par des israéliens est devenu, pour certains chrétiens, « un événement quotidien ».

Aux prises avec le « syndrome messianique »

La plupart du temps, les victimes de ces incidents disent que la police fait peu pour attraper ou punir les agresseurs.

« Ma crainte est que les auteurs de ces méfaits soient connus, mais jouissent de l’impunité », a déclaré Munib Younan, évêque émérite de l’Église évangélique luthérienne. « Ça explique leur comportement. »

Les dirigeants religieux et communautaires notent que la police fait peu pour enquêter, et rejette ou minimise les motivations religieuses et idéologiques derrière ces attaques, affirmant en général que les auteurs souffrent de maladie mentale.

« L’homme qui a essayé de [lancer] des tomates dans notre église de Gethsémani en 2020, c’était pareil – il a été retenu un moment, puis déclaré malade mental. Alors, que pouvons-nous faire? » a fait remarquer le frère Francesco Patton, gardien de la Terre Sainte.

Custos Francesco Patton, Custodie de Terre Sainte, Jérusalem, le 31 mars 2023 [Lucien Lung/Al Jazeera]

Contraint de prendre les choses en main, Patton, qui est chargé de protéger quelque 80 sites à Jérusalem, affirme que les franciscains ont installé à contrecœur des caméras dans tous les coins de leurs lieux saints, d’ailleurs de plus en plus fermés au public en raison des attaques persistantes.

« Ce n’est pas dans l’esprit franciscain… de l’accueil », a-t-il dit. « Mais nous devons prendre soin des lieux [saints] et des personnes qui viennent prier et faire leurs dévotions. »

Selon les dirigeants communautaires et religieux, ce ciblage des chrétiens et de leurs lieux saints trouve sa source idéologique dans l’éducation de certains groupes juifs ultra-religieux,. La plupart des attaques proviendrait d’une petite minorité d’étudiants adolescents de la yeshiva, disent-ils.

« Ils sont atteints du  » syndrome messianique « . Ils veulent prendre le contrôle de tout le pays », a déclaré le Patriarche grec orthodoxe Théophile III de Jérusalem. « Lorsqu’on voit des jeunes, 15 ou 16 ans, qui font n’importe quoi et qui visiblement ne craignent rien, il y a forcément quelqu’un derrière. »

Le ciblage des symboles chrétiens – en particulier la croix qui amène les harceleurs à traiter les chrétiens de « païens » ou d’« adorateurs d’idoles » – n’est pas nouveau non plus, mais jamais les agresseurs ne se sont sentis plus enhardis que sous le nouveau gouvernement. Après un récent incident de crachat, une dispute a éclaté et le colon a braqué son arme sur les chrétiens. Comme l’a dit un de leurs amis, le message était clair : « Je peux faire tout ce que je veux et plaider la légitime défense ».

« Le ministre de la Sécurité nationale fut avocat de défense pour des juifs extrémistes qui attaquaient des sites chrétiens et autres », a déclaré un jeune arménien qui dit avoir été attaqué en janvier. La référence est à Itamar Ben-Gvir. « À quoi d’autre s’attendre lorsque le fonctionnaire le plus haut placé dans l’équation est le plus extrémiste ? »

Mgr William Shomali, évêque auxiliaire du Patriarcat latin à Jérusalem, le 5 avril 2023 [Lucien Lung/Al Jazeera]

Rendre la politique religieuse et la religion politique

Tout cela se passe « au sein de la crise la plus grave entre Israël et les Églises depuis 1948 », a déclaré Daniel Seidemann, un avocat de Jérusalem intimement impliqué dans les discussions avec les délégations étatiques et institutionnelles. « Personne ne s’adresse aux églises. »

Cela intervient alors que le gouvernement israélien continue de chercher à transformer les sites chrétiens du mont des Oliviers en parc national, ce qui, selon les représentants de l’Église, les priverait de leurs droits en tant que propriétaires de ces sites et les livrerait aux intérêts des colons.

Les déclarations de l’Église sont de plus en plus directes, parfois férocement critiques à l’égard du gouvernement. « Ce que nous appelons le statu quo, l’équilibre entre les différentes [communautés]… n’est plus respecté maintenant », a déclaré Pierbattista Pizzaballa, le Patriarche latin de Jérusalem.

La population chrétienne de Jérusalem est menacée depuis des années – elle est actuellement d’environ 10 000, soit un peu plus de 1% de la population de la ville, contre 25% il y a un siècle. Beaucoup sont partis, cherchant un avenir plus sûr ailleurs, se rendant à l’évidence que le pouvoir croissant de personnalités religieuses d’extrême droite telles que Ben-Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich ne fait que déchirer Jérusalem et marginaliser davantage les chrétiens.

Les chefs d’église décrivent une situation où les questions religieuses sont de plus en plus politisées, tandis que les questions politiques sont de plus en plus dominées par le fanatisme religieux. « Ces gens veulent changer le conflit politique à Jérusalem en un conflit religieux où il n’y a que les extrémistes qui peuvent en sortir gagnants », a déclaré l’évêque Younan de l’Église luthérienne.

Le Patriarche latin Pizzaballa à Jérusalem le 31 mars 2023 [Lucien Lung/Al Jazeera]

« La religion doit pardonner, doit inviter à la paix, à la concorde, à la réconciliation, au pardon », a ajouté l’évêque auxiliaire William Shomali du Patriarcat latin. « Mais quand la religion devient idéologie, c’est la porte ouverte à la haine. »

« Un peu perdu »

Les chrétiens émigrent de la Terre Sainte pour des raisons économiques et de sécurité depuis des décennies. Depuis les grandes vagues d’émigration provoquées par la Nakba de 1948 et la guerre de 1967, il persiste un filet régulier de départs de chrétiens. Les efforts au sein de la communauté pour préserver la présence chrétienne à Jérusalem, y compris la conservation précautionneuse de propriétés par les églises et d’autres, ont aidé la population chrétienne à se stabiliser quelque peu.

Mais les habitants, déjà confrontés au coût de la vie élevé, se demandent si subir les agressions verbales et physiques pour maintenir la présence chrétienne en vaut chandelle, ou s’il vaut mieux émigrer.

« Nous sommes les plus faibles, alors c’est peut-être une façon d’accélérer l’émigration, de nous amener à quitter le pays », a déclaré Krikorian, le propriétaire du bar, qui personnellement « aime » vivre dans la Vieille Ville. « Si c’est bien la stratégie, ça fonctionne. Franchement, ça fonctionne. »

La nature fragmentée de la communauté, divisée en 13 églises, rend la mobilisation difficile. Gabi Hani, 53 ans, un chrétien palestinien de Jérusalem qui possède le restaurant Versavee près de la porte de Jaffa dans la Vieille Ville, se félicite de la visibilité accrue et des déclarations récentes des dirigeants de l’Église, mais estime qu’une vision claire fait toujours défaut.

« Je pense que nous sommes un peu perdus », a déclaré Hani. « Nous n’avons pas un leader unique pour nous proposer une stratégie unifiée. Mais les gens se défendent, et rien que de rester ici s’avère déjà une stratégie gagnante. »

Les chrétiens palestiniens et arméniens se sentent ignorés par le monde, et pour les responsables de l’église qui s’engagent dans l’arène diplomatique, la réponse sonne souvent creux. « [Les pays étrangers] sont timides », a déclaré Shomali du Patriarcat latin. « Les Américains sont les plus forts parce qu’il existe une relation spéciale entre Israël et les États-Unis. Mais l’Europe est timide – ils parlent, mais n’exercent aucune pression. »

Les éclaireurs arméniens défilent dans la Vieille Ville de Jérusalem le dimanche des Rameaux, le 2 avril 2023. Le chef scout Hagop Djernazian est visible à gauche [Lucien Lung/Al Jazeera]

Trouver quelqu’un pour prendre l’initiative pour protéger les chrétiens peut être délicat. Si l’on se tourne vers les membres de la communauté, ils appelleront les églises ou les États étrangers chargés de protéger les sites chrétiens – comme la Belgique, la France, l’Italie, la Jordanie et l’Espagne – à prendre davantage de mesures. Si l’on s’adresse aux dirigeants de l’église, ils diront qu’ils ne peuvent guère faire plus que de proférer des déclarations et communiquer leurs préoccupations croissantes aux États étrangers. Quant aux diplomates, ils affirmeront qu’ils font ce que leur indiquent des responsables de l’église. Il s’agit donc d’un cercle où les uns pointent du doigt les autres pour se défausser de la responsabilité, le tout se traduisant par bien peu d’action concrète.

« Il y a une plus grande conscience des problèmes », a déclaré un diplomate à Jérusalem. « Certaines personnes clefs ici, côté église, ont joué un rôle, mais c’est resté sans effet. Quant à l’action diplomatique, a-t-elle eu une quelconque efficacité ? »

D’autres problèmes qui affligent Jérusalem et la région en ce moment – y compris la violence à la mosquée Al-Aqsa et les amendements judiciaires proposés par le gouvernement israélien – sont des priorités plus élevées pour les missions diplomatiques. Cependant, selon Daniel Seiderman, les menaces contre les biens de l’église sont l’un des rares domaines où il peut y avoir un recul aux États-Unis – même de la part du Parti républicain lorsqu’il s’agit de contrer les efforts d’Israël pour judaïser Jérusalem.

Théophile III, Patriarche grec orthodoxe de Jérusalem à Jérusalem le 31 mars 2023 [Lucien Lung/Al Jazeera]

Mais les personnes impliquées dans les discussions diplomatiques affirment que la violence contre les chrétiens est peu susceptible de motiver les missions étrangères.

« Les gens s’unissent pour agir »

Les chrétiens de Jérusalem commencent à renforcer leur engagement, que cela soit au sein de leur propre communauté ou entre communautés différentes. Suite aux incidents violents qui ont pris pour cible la communauté arménienne – victime d’un nombre disproportionné d’attaques du fait que leur quartier est adjacent au quartier juif – ils ont créé un groupe WhatsApp pour s’alerter mutuellement des menaces ou des incidents avérés.

Hagop Djernazian, 23 ans, dirige les scouts arméniens. Il a rassemblé des groupes scouts de toutes les confessions, organisant des camps conjoints pour la première fois. En signe de solidarité, il a amené les scouts arméniens orthodoxes au dimanche catholique des Rameaux la semaine dernière. Dix groupes scouts se sont joints à la procession, soit le double de la participation de l’année dernière.

« La nouvelle génération a grandi avec l’idée que les chrétiens doivent coopérer les uns avec les autres dans la ville pour maintenir la présence chrétienne », a déclaré Dzernian. « Si nous persistons à œuvrer seuls, nous finirons par perdre. »

Dans le contexte plus large des efforts du gouvernement pour judaïser Jérusalem, une solidarité de tous ceux qui sont désignés « autre » se trouve également renforcée. « Chrétiens, musulmans, arabes, arméniens – ils nous mettent dans le même paquet », a déclaré Dzernian.

De nombreux membres et dirigeants de la communauté comme le Patriarche latin Pizzaballa s’attendent à ce que la violence se poursuive ou s’aggrave dans les semaines à venir. Certains chrétiens, inévitablement, partiront. Mais sous la pression, une identité collective se renforce – à la fois dans le cadre de la « mosaïque » de longue date que représente le caractère multiethnique et multi-religieux de Jérusalem, et en tant que chrétiens en Terre Sainte.

« L’occupation rend les gens indifférents, les sépare : « Je suis [syriaque], je suis catholique, je suis orthodoxe, je suis évangéliste », a déclaré Hani, le propriétaire du restaurant. « Mais avec les menaces, la violence, le vandalisme, maintenant les gens sont obligés de se rassembler. Les églises se réveillent. Nous sommes restés aveugles pendant 50 ans, mais c’est fini. »

Source : AL JAZEERA

Traduction : BM pour l’Agence Média Palestine

Steven Davidson est un journaliste indépendant basé en Israël/Palestine. Il est rédacteur pour Mondato Insight et son travail a été publié dans Ozy, Haaretz, +972 Magazine, le Times of Israel, Refugees Deeply, The Forward et Salon, entre autres.

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