Par Antonio Pita, le 30 mai 2023
Les diplomates européens demandent aux fonctionnaires de l’Union de manifester « sans équivoque » leur opposition aux projets du gouvernement israélien visant à modifier le statut et les frontières de la ville contestée.
Bruxelles et les membres de l’Union européenne doivent s’opposer « sans équivoque » aux projets et aux initiatives juridiques du gouvernement israélien visant à modifier unilatéralement le statut et les frontières de Jérusalem, où Israël a » drastiquement » accéléré la pression sur la population palestinienne au cours de l’année écoulée, selon un rapport confidentiel vu par EL PAÍS et remis au Service d’action extérieure de l’UE (SEAE) par les représentants diplomatiques à Jérusalem-Est et à Ramallah de presque tous les États membres de l’UE, ainsi que par le délégué de l’Union européenne.
Dans leur dernier rapport annuel sur la ville contestée, les chefs de mission européens auprès de l’Autorité palestinienne (à Jérusalem-Est et à Ramallah) avertissent que les événements de 2022 « ont mis en évidence la fragilité croissante de la présence palestinienne à Jérusalem, l’exacerbation des conditions socio-économiques des Palestiniens et la nécessité de les protéger ». Le rapport souligne leur « séparation de la vie politique, sociale et économique de la ville », la démolition de maisons, la construction de nouveaux logements dans les colonies et les projets de création de nouvelles colonies dans la partie orientale de la ville, dont Israël s’est emparé lors de la guerre des six jours de 1967 et qu’il a ensuite annexée.
Les représentants diplomatiques soulignent également l’augmentation « significative » des arrestations et des opérations menées par les forces de sécurité israéliennes, la « pression exercée sur les institutions palestiniennes » telles que les écoles, l’érosion du statu quo sur le Mont du Temple et les attaques croissantes contre les lieux saints chrétiens. Il s’agit de « tendances générales » qui ont déjà été observées à plusieurs reprises, selon le rapport, mais qui se sont intensifiées en 2022.
Malgré tout le bruit généré par le retour au pouvoir de Benjamin Netanyahou au sein d’une coalition avec des partis d’extrême droite et ultra-orthodoxes, lorsque son nouvel exécutif a pris ses fonctions le 29 décembre, le gouvernement précédent de Naftali Bennett et Yair Lapid avait déjà entraîné des morts en Cisjordanie et la construction de colonies à des niveaux jamais atteints depuis deux décennies.
Environ 340 000 Palestiniens vivent à Jérusalem, soit 38,5 % de la population de la ville, mais seulement 15 % du budget local est alloué à leurs quartiers. Seuls 45 % d’entre eux sont correctement et légalement raccordés au réseau d’eau potable, note le rapport.
Tous, sauf Budapest et Prague
Le rapport envoyé au SEAE est soutenu par 21 des 23 Etats membres ayant une représentation diplomatique à Jérusalem-Est ou à Ramallah. Il y a deux exceptions : La Hongrie et la République tchèque, qui ont estimé que le langage du texte était trop belliqueux envers Israël, a expliqué une source diplomatique européenne, notant que les gouvernements de ces deux pays ont des liens étroits avec Israël. En 2021, Prague a ouvert une antenne de son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, et tous les mois, des informations émanant de sources anonymes refont surface, selon lesquelles le Premier ministre hongrois Viktor Orbán s’apprête à devenir le premier pays de l’UE à transférer son ambassade à Jérusalem.
Le rapport insiste sur l’importance que la localisation des missions diplomatiques de l’UE soit conforme à la résolution 478 des Nations unies, qui a condamné l’annexion de Jérusalem-Est en 1980 et la déclaration de la ville comme capitale « unifiée » d’Israël. Cette position revêt une importance particulière depuis 2017, lorsque le président américain de l’époque, Donald Trump, a reconnu la ville comme capitale d’Israël et a transféré l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. Son successeur, Joe Biden, n’est pas revenu sur cette mesure importante et symbolique, que l’UE rejette car elle considère, comme une grande partie de la communauté internationale, qu’il appartient aux parties de négocier le statut de la ville lors de pourparlers de paix.
Le rapport souligne également le danger de l’achèvement d’un anneau de colonies qui isolerait Jérusalem de la Cisjordanie. Il met également en garde contre l’utilisation par les autorités israéliennes et les groupes de colons de l’archéologie et du tourisme pour « renforcer le récit juif et d’inspiration biblique sur Jérusalem ». C’est le cas de la Cité de David, dans le quartier palestinien de Silwan, au pied de la citadelle fortifiée, qui est aux mains de l’Autorité israélienne de la nature et des parcs, mais gérée par une fondation ultranationaliste. Les représentants diplomatiques préconisent de soulever cette question tant au niveau bilatéral que dans les forums internationaux, tout en soutenant une stratégie touristique palestinienne dans l’est de la ville, où se trouvent les principaux monuments religieux et touristiques, tels que le Mont du Temple et le Saint Sépulcre.
Le document rappelle également que six Palestiniens ont perdu leur résidence à Jérusalem en vertu d’un amendement juridique approuvé en 2018. La grande majorité des résidents de Jérusalem-Est disposent d’un permis de séjour permanent délivré par Israël. Cette année-là, le parlement a donné au ministère de l’Intérieur le pouvoir de le révoquer pour les individus qui ont commis des attaques, mis en danger la sécurité publique ou « trahi l’État d’Israël. » La dernière personne à s’être vu retirer son permis de séjour est l’avocat franco-palestinien spécialiste des droits de l’homme Salah Hamouri, qui a été expulsé vers la France en décembre dernier.
Parmi les mesures qui devraient être « envisagées », selon l’annexe des recommandations du rapport, il y en a deux liées à la politique frontalière. La première consiste à éloigner « les colons violents connus et ceux qui appellent à des actes de violence ». L’autre consiste à appliquer le principe de réciprocité face aux « pratiques discriminatoires israéliennes en matière de visas qui restreignent la liberté de circulation des citoyens de l’UE ».
Source : El País English
Traduction : AGP pour l’Agence Média Palestine