Par Amjad Iraqi, le 30 Juin 2023
Les Palestinien.nes des villes de Cisjordanie découvrent que si leur expulsion n’est pas possible, la « gazaouisation » sera leur futur.
L’horrible vision des pogroms de la semaine dernière, durant lesquels des centaines d’Israéliens ont tout détruit dans des villages palestiniens de Cisjordanie occupée à la suite de tirs meurtriers dans la colonie d’Eli, a mit les organes de sécurités israéliens dans une position très inconfortable. Embarrassés par les images devenues virales de maisons en feu, de véhicules carbonisés et de magasins détruits, l’armée, la police et le Shin Bet ont conjointement dénoncé les attaques en les qualifiant de “terrorisme nationaliste” qui “contredit toute valeur morale et le judaïsme.” Les FDI ont particulièrement tenu à se présenter comme l’organisme responsable du retour à la loi et à l’ordre, promettant de prendre toutes les mesures contre ceux “qui agissent de manière violente et extrême à l’intérieur des villes palestiniennes.”
Si l’on met de côté le simple fait que l’armée est l’une des principales institutions qui fournissent aux colons les ressources, la protection et l’assurance de perpétrer de tels actes de violence gratuite, il existe une autre raison pour laquelle il est normal de qualifier de farce ces manœuvres de communication.
Le 19 Juin dernier, quelques jours avant ces pogroms, un hélicoptère Apache israélien a tiré des missiles sur la ville de Jénine en Cisjordanie lors d’une bataille féroce entre des unités de l’armée au sol et des combattants palestiniens, soi-disant pour “couvrir” l’évacuation de soldats blessés. Cinq Palestiniens, dont un garçon de 15 ans ont été tués, plus de 90 ont été blessés. Deux jours plus tard, un drone israélien a ouvert le feu sur une cellule de militants palestiniens près de Jénine, soi-disant pour cibler des combattants responsables de plusieurs attaques, dont une à un checkpoint. Les deux opérations ont vite été éclipsées les jours suivants par la fusillade à Eli et la violence des colons qui s’ensuivit.
Loin d’être des incidents isolés, les attaques aériennes révèlent une étape particulièrement dangereuse dans l’évolution de l’occupation israélienne. Ces frappes aériennes sont les premières en Cisjordanie depuis 20 ans, réveillant les cauchemars de nombreux Palestinien.nes qui couraient pour se cacher ou qui ont été blessé.es par les attaques d’hélicoptères pendant la deuxième Intifada. À cette époque, cependant, la guerre aérienne est devenue le modus operandi dans la Bande de Gaza, accéléré par le retrait israélien de ses colonies en 2005 et le blocus total du territoire à la suite de la prise de contrôle par le Hamas.
Cette reconfiguration du pouvoir militaire a intentionnellement provoqué une séparation physique et psychologique entre la Cisjordanie et Gaza, facilitée par la rivalité fratricide entre le Fatah et le Hamas. Alors que cette distance est banalisée, les deux territoires sont maintenant perçus comme déconnectés et incompatibles. Même certains partisans bien intentionnés, en se focalisant tout particulièrement sur les colonies et l’annexion, tombent souvent dans le piège d’oublier la Bande de Gaza, de la sortir du périmètre de guerre, la considérant comme une anomalie dans le contexte de “la réalité de l’état unique.” Mais comme de nombreux militants, universitaires et experts l’ont souligné, les structures utilisées afin d’enfermer et de supprimer Gaza ne dérogent pas de la méthodologie d’Israël, mais sont sa continuation naturelle. Et cela s’est clairement vu dans le ciel de Jénine la semaine dernière.
Comme Gaza, Jénine est depuis longtemps un bastion de la vie sociale et de la résistance palestiniennes et est, en tant que telle, la cible d’une répression féroce. Depuis plus d’un an, l’armée israélienne mène une opération prolongée et meurtrière dans la ville, bouclant régulièrement la région pendant que des troupes s’introduisent dans les maisons de civils et détruisent des infrastructures publiques quasiment chaque semaine. Les groupes armés palestiniens, menés par de jeunes hommes qui n’ont connu que désespoir et mort, mènent un combat ininterrompu et ont récemment montré qu’ils peuvent rendre l’invasion des troupes israéliennes compliquée ; ce qui a obligé l’armée à se rabattre sur ses forces aériennes la semaine dernière. Le bombardement d’une zone urbaine peuplée, ainsi que les punitions collectives de toute une ville, est d’autant plus justifiable que Jénine est diabolisée, considérée comme le “cloaque du terrorisme” nécessitant une intervention constante. En substance, la même doctrine de “débrouissaillage” appliquée dans une zone sous blocus à quelques kilomètres de là.
En tant que telle, Gaza fait difficilement exception au régime d’apartheid israélien. Elle est plutôt le bantustan ultime, le modèle à suivre afin de contrôler et affaiblir une population indigène dans un territoire assiégé, en utilisant des armes et une technologie modernes, avec des dirigeants locaux pour assurer leur besoins fondamentaux, à moindre coût pour la société coloniale qui les entoure. Les villes de Cisjordanie comme Jénine et Naplouse, déjà sujettes à différentes formes de blocages et d’invasions, perçoivent maintenant ce qui les attend. Nombreux sont ceux là-bas qui pensent que dorénavant, les principaux contacts qu’ils auront avec les Israéliens ne seront plus les raids des soldats ou les pillages des colons mais plutôt des survols d’avions et le vrombissement des drones. Si l’expulsion des Palestinien.nes n’est pas possible, la gazaouisation sera leur futur.
C’est pourquoi il est quelque peu malsain d’entendre le chef d’état major des FDI Herzl Halevi, quelques jours après les pogroms perpétrés par les colons, prêchant lors d’une cérémonie militaire : “Un officier qui voit un citoyen israélien lancer un cocktail Molotov sur une maison palestinienne sans rien faire ne peut être un officier.” L’armée feint d’être bouleversée par les colons qui commettent des actes de “ terrorisme nationaliste,” mais elle ordonne ouvertement à ses soldats de faire la même chose, tant que cela est fait en uniforme. Dans tous les cas, quoi qu’en dise Halevi, il est clair qu’un général israélien qui supervise d’horribles violences à Gaza peut facilement de devenir politicien. Et un Israélien encourageant les mêmes violences en Cisjordanie, peut maintenant espérer devenir ministre de la sécurité nationale.
Amjad Iraqi est rédacteur en chef du magazine +972. Il est également analyste politique au sein du groupe de réflexion Al-Shabaka et était auparavant coordinateur des activités de plaidoyer au centre juridique Adalah. Outre le magazine +972, ses écrits ont été publiés dans la London Review of Books, The Nation, The Guardian et Le Monde Diplomatique, entre autres. Il est un citoyen palestinien d’Israël, basé à Haïfa.
Source : +972 Magazine
Traduction LG pour l’Agence média Palestine