Par Basel Adra, le 13 Août 2023
À travers toute la Cisjordanie, Palestinien.nes et colons israélien.nes n’ont pas du tout le même accès à l’eau, même lorsqu’il.elle.s vivent sur la même colline.
Pendant les vagues de chaleurs les plus agressives de l’été, avec des records de température dans le monde entier, il est particulièrement difficile d’être un.e Palestinien.ne vivant sous occupation israélienne à Masafer Yatta.
Pour ce groupe de villages dans les collines du Sud Hébron en Cisjordanie, les restrictions de l’armée israélienne ont provoqué une crise de l’eau : les habitant.es palestinien.nes n’ont pas le droit de se connecter aux infrastructures qui procurent de l’eau en abondance aux colons israélien.nes vivant à côté, ce qui provoque une importante pénurie en eau, pour l’usage domestique ainsi que pour l’agriculture. En conséquence, les Palestinien.nes doivent collecter l’eau de pluie dans des citernes ou acheter des containers d’eau à des prix exorbitants.
Israël maintient un système d’apartheid sur l’eau à travers toute la Cisjordanie. Les colonies et avant-postes juifs (même ceux que le droit israélien considère illégaux) sont connectés au réseau d’eau israélien, ce qui permet à leurs habitant.es de consommer de l’eau à volonté sans quota imposé. Il.elle.s ne sont pas dépendant.es des principales sources de Cisjordanie, l’Aquifère de montagne, car près de 80 % de leur eau est de l’eau de mer désalinisée, importée de l’intérieur de la Ligne Verte.
Dans les villages palestiniens voisins en revanche, la consommation d’eau est déterminée par répartition au sein du réseau d’eau palestinien. Ce réseau fonctionne mal à cause des restrictions du régime militaire sur les infrastructures publiques palestiniennes, y compris celles en charge du réseau d’eau. Le réseau palestinien est entièrement dépendant de l’Aquifère de montagne, et pourtant les autorités d’occupation ne permettent aux Palestinien.nes de n’en consommer qu’une partie négligeable.
La quantité est déterminée par un accord anachronique et arbitraire qui n’a pas changé depuis sa signature par Israël et l’OLP en 1995, dans le cadre des Accords d’Oslo : 20 pourcents de l’aquifère pour les Palestinien.nes, 80 pourcents pour les Israélien.nes. En conséquence de quoi, la plupart du temps, les Palestinien.nes à travers la Cisjordanie, n’ont pas assez d’eau courante, contrairement à leurs voisin.es colons qui en consomment en moyenne trois fois plus.
Il existe des endroits, comme Masafer Yatta, où je vis, et comme la Vallée du Jourdain, où cet apartheid est particulièrement extrême. Ici, la plupart des villages palestiniens (qu’Israël tente d’évacuer grâce à des mécanismes semi-légaux, au harcèlement militaire et à la violence des colons qui jouissent d’une totale impunité pour leurs attaques sur les Palestinien.nes) n’ont pas du tout le droit de se connecter au réseau d’eau. Tandis que les colons israélien.nes qui vivent dans des villas consomment en moyenne 20 fois plus d’eau que les villages palestiniens de la région.
La quantité d’eau consommée par personne dans la colonie Ro’i dans la Vallée du Jourdain, par exemple, est de 431 litres par jour, alors que pour le village bédouin d’Al Hadidiyah juste à côté, elle est de seulement 20 litres, ce qui représente un cinquième de la quantité minimum recommandée par l’Organisation Mondiale de la Santé.
À Masafer Yatta, mes voisin.es dépensent la plus grande partie de leur argent en transport de containers d’eau hors de prix parce qu’il leur est interdit de se connecter au réseau d’eau, qui est efficace et bon marché. Selon la Banque Mondiale, une famille palestinienne y dépense en moyenne 1 744 Shekels par mois en eau, ce qui représente environ la moitié de ses dépenses mensuelles. Dans les colonies voisines, en revanche, une famille dépense en moyenne 105 Shekels par mois pour sa consommation d’eau, moins de un pourcent du total de ses dépenses.
Cette situation n’arrive pas par hasard. Israël contrôle la totalité des ressources en eau entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain, et ces discriminations reflètent ses objectifs politiques. À Masafer Yatta, l’objectif est de forcer les Palestinien.nes à partir tout en agrandissant les colonies israéliennes. Assoiffer délibérément une population est l’un des moyens pour parvenir à ce but.
‘On regardait, incapables de faire quoi que ce soit’
“La dernière vague de chaleur, nous a beaucoup affecté.es,” explique Hamda, un berger du village de Susiya, dans les collines du Sud Hébron. “Tu as l’impression d’étouffer, et c’est difficile à supporter. Je vis dans une pièce en tôle, comme beaucoup ici dont les maisons ont été détruites à maintes reprises par l’armée. La chaleur te tue quand tu vis dans de la tôle, la maison entière boue.”
À côté de la maison d’Hamda se trouvent des panneaux solaires installés par une organisation des droits humains. Les poteaux électriques érigés le long de la route, qui relient les colonies voisines, passent juste à côté de sa maison, mais il n’a pas le droit de s’y brancher. Comme tou.te.s les autres habitant.es du village, il utilise un générateur ou des panneaux solaires.
“La plupart du temps, en été, nous n’avons pas d’électricité,” explique Rana, la sœur d’Hamda. “Pendant la dernière vague de chaleur, nous n’avons pas eu d’électricité pendant 14 heures. Nous n’avons donc pas pu utilisé de ventilateur pour rafraîchir la pièce. Nous avons aussi besoin de l’électricité pour faire parvenir l’eau du puits dans la citerne à côté de la maison. Sans électricité, c’est impossible, et pendant les vagues de chaleur nous avons besoin d’encore plus d’eau.”
Gérer l’accès à l’eau est un problème quotidien, angoissant et une préoccupation de chaque instant, expliquent les habitant.es de Masafer Yatta. Lorsqu’il fait très chaud, les moutons et les autres animaux ont eux aussi besoin de plus d’eau, mais le soleil réchauffe l’eau conservée dans les citernes, ce qui la rend difficile à boire pour les animaux. En outre, dans les villages palestiniens comme celui-ci, l’armée détruit les contenants remplis d’eau et bouche les puits et les réservoirs d’eau de pluie avec du ciment, car toutes ces infrastructures sont considérées illégales par le régime militaire.
Fin juillet, des dirigeants israéliens de l’Administration Civile (le bras administratif de l’occupation) ont été filmés alors qu’ils déversaient du ciment dans des puits au Sud d’Hébron. La vidéo, choquante, a circulé sur les réseaux sociaux et provoqué un scandale à travers le monde, mais elle ne fait que refléter une politique globale : en 2022, l’armée a détruit sept réservoirs d’eau et des dizaines de camion-citernes, rien qu’à Masafer Yatta.
“Les réservoirs d’eau ont une valeur émotionnelle pour nous,” explique Odey, un berger de 30 ans, du village d’Umm Kusa. “Je me souviens enfant quand j’emmenais les moutons là-bas avec mon père.” En Mai dernier, l’armée est venue dans le village et a détruit les réservoirs qui étaient là depuis les années 1980, d’après les habitant.es.
“Les bulldozers sont venus dans le village, ont déblaillé des tonnes de cailloux et de terre, et les ont simplement versés dans le réservoir auprès duquel j’ai grandi,” poursuit Odey. “Ils ont vidé toute l’eau qui était dans les réservoirs sur le sol. Il y avait près de 100 mètres cube d’eau dans chacun des réservoirs. Cela devait nous servir pour les mois d’été. Et comme ça, en un instant, ils ont tout vidé et sont partis. On regardait, incapables de faire quoi que ce soit.
“Maintenant, par cette chaleur, sans puits, nous sommes obligé.es d’acheter des citernes mobiles,” explique-t-il. “Nous quittons la maison le matin avec le troupeau et nous rentrons seulement le soir. Sans ces réservoirs, nous ne pouvons pas vivre.”
‘C’est cruel’
Ce que les interdictions et les démolitions de l’armée ne réussissent pas à faire, les colons y parviennent. L’année dernière, il y eu une augmentation de cas de colons à Masafer Yatta, empêchant par la violence, les Palestinien.nes d’accéder au peu de ressources en eau qu’il.elle.s ont.
“En Juin, les colons sont venu à notre réservoir qui se trouve à quelques dizaines de mètres de ma maison,” raconte Omar Abu Jundiyah du village de Tuba. “Moi, ma femme et les enfants avons vu qu’ils montaient une tente au-dessus du réservoir, et nous ont empêché d’approcher.
“C’est cruel, parce que nous savons tous que ces colons sont connecté.es au réseau d’eau, un réseau auquel on ne fait que rêver, avec de l’eau qui coule par un tuyau directement à l’intérieur de la maison et qui nous permettrait d’arroser les champs et de faire boire les moutons,” poursuit-il. “Quoi qu’il en soit, ils sont venus à notre réservoir, y ont bu, ont fait boire leurs moutons. Lorsqu’ils ont eu fini, ils ont vidé toute l’eau sur le sol et sont partis. Et nous, nous les regardions, assoiffé.es avec nos moutons, dans les grottes, incapables de sortir.”
La semaine dernière, des colons sont entrés à Tuba et ont prit le réservoir d’eau de la famille d’Awad, empêchant les habitant.es d’y accéder. Lorsque les soldats sont arrivés, ils ont expulsé les Palestinien.nes, au motif qu’il.elle.s se trouvaient sur une zone d’entraînement militaire, tout en permettant aux colons d’y rester. Le communiqué de l’armée publié à la suite de l’incident explique que les colons avaient “coordonné leur arrivée” dans la zone, et que par conséquent ils avaient reçu la permission des soldats.
Un des lieux en Cisjordanie où cet apartheid de l’eau est le plus visible est le village d’Umm al-Kheir, situé à quelques mètres de la colonie de Carmel, construite sur des terres appartenant à des habitant.es palestinien.nes. Une mince clôture séparent les villas de Carmel, où l’eau coule abondamment, et les cabanes du village bédouin, où les constructions sont interdites et que l’armée israélienne empêche de se connecter au réseau d’eau.
Donc, sur la même colline, Israël montre qu’il existe deux catégories de personnes : celles que l’on aide à se protéger de la crise climatique, et celles que l’on fait souffrir de cette crise en l’empêchant activement d’accéder aux ressources.
“C’est l’été le plus difficile depuis des années,” déclare Awdah Hathaleen, habitant d’Umm al-Kheir. “Je vois bien comme cela affecte les gens et les animaux. Nous n’avons pas de climatisation, bien sûr, parce que nous n’avons pas d’électricité, et même les frigos ne peuvent pas marcher toute la journée.
“Les bergers sont obligés de rester à la maison car ils ont peur de se déshydrater par manque d’accès à l’eau potable,” poursuit-il. “Et comme nous restons à la maison, nous devons acheter de la nourriture pour le troupeau, ce qui coûte très cher. Nous n’avons passez d’eau pour les gens ici, comment en aurons-nous assez pour les animaux et les plantes ?”
Basel Adraa est militant, journaliste et photographe du village de a-Tuwani, dans Collines du Sud Hébron.
Source : +972 Magazine
Traduction LG pour l’Agence média Palestine