Les deux parties du débat sur la réforme du système judiciaire israélien prétendent défendre la « démocratie ». Mais parce qu’ils défendent également l’idée de l’«État juif », tous deux ne font qu’appliquer l’apartheid.
Par Jonathan Ofir, le 18 septembre 2023
La Cour suprême d’Israël a commencé à convoquer un panel complet de 15 juges pour examiner les demandes d’annulation de la législation gouvernementale, en particulier l’annulation de la « clause de raisonnabilité » – un outil par lequel le pouvoir judiciaire peut annuler la pratique ou la législation du gouvernement, ainsi que d’autres aspects relatifs à l’actuelle réforme judiciaire. Les délibérations prendront des semaines, voire des mois.
Avant cela, le 7 septembre, les partisans du gouvernement se sont rassemblés par dizaines de milliers à Jérusalem afin de faire pression sur la Cour suprême pour qu’elle n’intervienne pas.
La droite israélienne reproche depuis longtemps à la Cour suprême d’utiliser son jugement sur ce qui est « raisonnable » pour disqualifier la volonté du peuple, les électeurs.rices israélien.ne.s, et d’interférer ainsi dans les processus politiques démocratiques. Alors que la gauche et le centre ont soutenu que la clause était un contrepoids démocratique nécessaire aux pouvoirs législatif et exécutif, la droite affirme que ces pouvoirs entravent en fait la démocratie.
En d’autres termes, tous deux défendent un principe démocratique supposé.
La manifestation du 7 septembre était un mélange étrange de fascisme juif suprématiste et meurtrier, mêlé à ces appels répétés et bien-pensants à la « démocratie ». Un nombre considérable de personnes brandissaient des pancartes saluant des terroristes juifs.ves connu.e.s, comme des affiches sur lesquelles on pouvait lire « Yigal Amir avait raison » (l’assassin du Premier ministre Yitzhak Rabin en 1995), « Baruch Goldstein avait raison » (qui a massacré 29 palestinien.ne.s à la mosquée Ibrahimi à Hébron en 1994), et « Amiram Ben Uliel avait raison » (qui a incendié et brûlé vif la famille Dawabsheh à Douma en 2015).
Pourtant, les dirigeant.e.s présent.e.s, dont plusieurs ministres, ont parlé de démocratie, menaçant ceux.celles qui voudraient soi-disant la bousculer.
Le ministre des finances Bezalel Smotrich, du sionisme religieux, qui est également le gouverneur de facto de la Cisjordanie par le biais d’un poste ministériel spécial, a averti la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut : « Ne t’avise pas de disqualifier les lois fondamentales !”
M. Smotrich faisait référence au fait que la « loi sur le caractère raisonnable » adoptée en juillet, qui réduit les pouvoirs de la Cour suprême, est en fait un amendement à une « loi fondamentale » quasi-constitutionnelle régissant le pouvoir judiciaire.
Il a ajouté :
« Même si vous pensez que les modifications que nous apportons au système judiciaire sont erronées, et même si vous pensez qu’elles devraient être faites autrement, la disqualification d’une loi fondamentale signifie la fin de la démocratie israélienne ».
La ministre de la Hasbara, Galit Distel-Atbaryan (Likoud), a averti le procureur général, Gali Baharav Miara, que « si vous jetez notre choix à la poubelle, c’est avec moi que vous jouez » et a terminé son discours en promettant d’apporter « la liberté, l’égalité et la démocratie à l’État d’Israël ».
La ministre de la colonisation et des missions nationales, Orit Strock, du sionisme religieux, est allée encore plus loin, revendiquant sa version de la « vraie » démocratie : « Vous avez raison de vouloir de la gouvernance. Nous sommes venu.e.s ici pour préciser que même s’ils appellent la dictature « démocratie » un millier de fois, nous n’oublierons pas ce qu’est réellement la démocratie. Nous n’oublierons pas ce que nos électeurs.rices nous ont demandé de faire, nous apporterons ce que vous nous avez demandé d’apporter ».
La ministre de la promotion de la condition féminine et « fière raciste » Mai Golan est également intervenue dans la course à la défense de la démocratie, qualifiant de « democtateurs » ceux.celles qui protestent contre la réforme judiciaire du gouvernement et les accusant de « blasphème contre le terme de démocratie ».
Les échos de 1995
Certain.e.s internautes ont vu de fortes similitudes avec la manifestation organisée par le Likoud en 1995 pour protester contre les accords d’Oslo, sur la place de Sion à Jérusalem, où les gens brandissaient des pancartes représentant Yitzhak Rabin en uniforme nazi. Benjamin Netanyahou a salué la foule depuis son balcon, et cette manifestation a été largement perçue comme une incitation à l’assassinat de Rabin un mois plus tard. À l’époque, un jeune homme de dix-neuf ans, Itamar Ben-Gvir, aujourd’hui ministre de la sécurité nationale, a été vu avec un emblème de Cadillac volé à la voiture de Rabin, disant « nous avons eu sa voiture, nous l’aurons lui aussi ».
Noga Eitan, politologue à l’Université hébraïque, a tweeté à la suite de la manifestation actuelle :
« Ce qui s’est passé lors de la manifestation de droite, c’est que des judéonazis se sont promené.e.s avec fierté et à visage découvert, avec des pancartes et des autocollants justifiant le meurtre (celui de Rabin et celui de bébés palestiniens), tandis que des ministres de haut rang ont menacé le président de la Cour suprême et le procureur de l’État. Un million de fois plus que la place de Sion. Pour rappel ».
Même s’il n’y a pas eu d’appel explicite au meurtre de la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, lors de ce rassemblement, le message transmis est effrayant, voire menaçant.
S’approprier la “démocratie”
« DEMOCRATIE » a été le principal slogan des manifestations contre la « réforme » judiciaire – que les manifestant.e.s considèrent comme un remaniement ou un coup d’État. Ils.elles affirment que les principes démocratiques fondamentaux d’Israël sont en train d’être détruits, mais hélas, leur principale préoccupation est la préservation de la construction « juive et démocratique », qui est un des fondements de l’apartheid israélien. Comme l’a fait remarquer le législateur palestinien-israélien Ahmad Tibi en 2009, l’État « juif et démocratique » signifie en pratique qu’il est « démocratique à l’égard des Juifs et juif à l’égard des Arabes ».
Le voile « juif et démocratique » de l’apartheid étant si fin, il n’est pas si surprenant que les suprémacistes juifs.ves soient capables de le coopter. Après tout, comment les sionistes du centre et de la gauche pourraient-ils rejeter la prétention de la droite à la démocratie, alors qu’eux-mêmes ne peuvent pas dire honnêtement qu’ils veulent une véritable démocratie pour tous, ce qui serait un anathème pour le sionisme ?
Mais les manifestant.e.s pour la « démocratie » étaient également très préoccupé.e.s par le fait que la perte de ce semblant de « démocratie » pourrait conduire les criminel.le.s de guerre israélien.ne.s à faire l’objet de poursuites internationales à La Haye.
Il est facile de se moquer lorsque la ministre de la Hasbara, Galit Distel-Atbaryan, promet de défendre « la liberté, l’égalité et la démocratie ». Pourtant, en raison des coups portés à la « démocratie » sous la direction du centre-gauche sioniste, pratiquement personne dans la sphère politique israélienne ne dira que la démocratie doit être étendue aux Palestinien.ne.s. En fait, Mme Distel-Atbaryan est tellement grossière et imbue d’une bien-pensance fasciste qu’elle peut, par inadvertance, finir par dire que les sionistes sont « une bande de voleurs.euses » tout en affirmant que tout ce dont nous avons besoin, c’est d’expliquer en quoi nous sommes « d’ancien.ne.s propriétaires ». Elle ne semble même pas comprendre l’ironie de la situation.
Des gens comme elle sont au pouvoir aujourd’hui, et ils mettent en avant une dissonance cognitive criarde qui revendique la « démocratie » tout en exigeant des valeurs racistes de suprématie juive.
Démocratie ou royaume juif ?
L’idéologie kahaniste pure, qui influence plusieurs de ces hommes et femmes politiques et certainement les terroristes encensé.e.s, est strictement et explicitement anathème à la démocratie. L’idéologie de Meir Kahane était basée sur la transformation d’Israël en un royaume de halacha (loi religieuse). Dans une interview donnée en 1987, il déclarait : « Le judaïsme n’accepte pas la démocratie à moins qu’elle ne s’inscrive dans une structure qui adhère à la loi de la Torah ». À la question de savoir si un tel État garantirait encore la liberté d’expression, il a répondu : « Bien sûr que non ! « Bien sûr que non ! Dans un État religieux, cette liberté ne peut exister ».
Baruch Goldstein, le tueur de la mosquée Ibrahimi, était un disciple dévoué de Kahane et suivait ces principes. La « jeunesse des collines », dont est issu Amiram Ben Uliel, l’incendiaire de la Douma, a pour objectif de rétablir un « royaume juif ». Le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, également disciple de Kahane (et admirateur de Goldstein), a défendu ces jeunes des collines à de nombreuses reprises devant les tribunaux – il qualifie les incendiaires de villages palestiniens de « gentils garçons ». Yigal Amir, l’assassin de Rabin, a également affirmé avoir agi conformément à la « loi juive ».
Et même Bezalel Smotrich, en 2019 (alors ministre des Transports), a déclaré que « nous aimerions tous.tes que l’État agisse conformément à la Torah et à la halacha ».
L’aspiration à un État non démocratique et halacha est donc profondément ancrée dans l’idéologie du gouvernement actuel et de ceux qui parlent catégoriquement de « démocratie ». C’est pourquoi il n’est pas du tout convaincant que ces gens de droite crient « démocratie ».
Mais il y a bien sûr un autre problème : la « démocratie » que le centre-gauche désire tant n’est pas non plus une véritable démocratie – ils.elles veulent préserver l’État « juif et démocratique », qui est une construction de l’apartheid.
Dans l’interview de Meir Kahane mentionnée plus haut, il a abordé la question du sionisme en relation avec la démocratie et a déclaré sans ambages : « On ne peut pas avoir le sionisme et la démocratie en même temps ». C’est peut-être choquant, mais il avait raison, et c’est la triste réalité : il n’y a pas d’option démocratique réelle dans l’État d’apartheid, du fleuve à la mer. Ainsi, la compétition pour la « démocratie » en Israël se déroule entre deux camps qui ne croient pas en la démocratie.
Jonathan Ofir est un musicien israélien, chef d’orchestre et blogueur/écrivain basé au Danemark.
Source: Mondoweiss
Traduction ED pour l’Agence Média Palestine