Majed Abusalama livre ses réflexions personnelles sur les dernières 48 heures qui ont suivi l’opération « Al-Aqsa Flood », nous rappelant que ce sont les crimes coloniaux d’Israël qui doivent être mis en exergue, alors que l’Occident qualifie de plus en plus souvent les Palestinien.ne.s de « terroristes ».
Par Majed Abusalama, le 8 octobre 2023
Lorsque je me suis réveillé hier matin, j’ai reçu de nombreux messages d’ami.e.s de Gaza et d’ailleurs, m’informant que notre bel ami et poète, Omar AbuShawish, avait été tué alors qu’il rentrait chez lui après sa prière du matin pour sauver sa fille Elyna, âgée de trois ans. J’ai paniqué à l’idée de ce qui avait pu se passer à Gaza pour aboutir à cette tragédie, et j’ai immédiatement appelé pour prendre des nouvelles de mes parents, de mon frère, de son nouveau-né Naya et de sa petite fille Elya.
Heureusement, mes parents ont réussi à se réinstaller dans une autre maison plus sûre, mais ils ont survécu à de multiples bombardements en chemin. Ma mère me parlait à bout de souffle, comme si elle venait de terminer un marathon. Elle m’a dit que tout le monde se sentait dépassé, qu’ils.elles étaient heureux.ses et fier.e.s. « C’était comme un rêve », a-t-elle ajouté. Les Palestinien.ne.s se sont emparé.e.s des chars israéliens, ont pénétré dans les colonies illégales voisines, ont capturé des véhicules militaires israéliens ainsi que des soldat.e.s et ont hissé les drapeaux palestiniens au-dessus des bases militaires israéliennes autour de Gaza.
Pourtant, dans ce cycle sans fin de mort ou de survie, je ne pouvais m’empêcher de m’inquiéter pour les enfants restés au pays.
« Comment les opprimé.e.s et les colonisé.e.s sont-ils.elles censé.e.s se comporter ? Si nous suivons la pensée dominante, définie par une vision du monde suprématiste blanche et eurocentrique, les Palestinien.ne.s sont censé.e.s rester assis.es et subir toutes les violences qui leur sont infligées : nettoyage ethnique, emprisonnement, blocus, vol de terres et de ressources… la liste est longue. »
De l’extérieur, je n’ai pas d’autre choix que de continuer à vérifier le sort de mes proches par le biais des réseaux sociaux et des organes de presse. J’ai découvert que mes vieux amis, Bahaa et Mohammed, ont été assassinés aux premières heures de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », lorsque les Palestinien.ne.s ont brisé les barrières coloniales d’Israël, capturé des soldat.e.s et récupéré les villes volées.
Tous ceux.celles qui ont suivi les années d’agressions israéliennes à Gaza et le siège en cours ont naturellement sympathisé avec les sentiments de libération qui ont été déclenchés au sein d’un peuple opprimé depuis si longtemps. L’inimaginable s’est produit : des brigades de résistance locales se sont échappées de la prison qu’Israël avait fait de Gaza et ont remporté la victoire contre l’une des armées les plus militarisées et les mieux financées au monde.
Le soulèvement à Gaza montre au monde ce qu’il est possible de faire.
Pour la première fois dans l’histoire, Gaza se libère activement et libère toute la Palestine.
Aujourd’hui, alors qu’Israël continue de menacer et d’attaquer les Palestinien.ne.s en réponse, nous devons nous rappeler que ce ne sont pas les habitant.e.s de Gaza qui ont déclenché le cycle de la violence, mais qu’ils.elles résistent à l’oppression coloniale qui leur est imposée.
La peur de ce qui va arriver
De nombreuses familles palestiniennes ont peur, et c’est compréhensible, et se préparent à l’un des bombardements les plus brutaux depuis la mise en place du blocus israélien.
À l’heure où j’écris ces lignes, le ciel de Gaza est déjà rempli d’avions de guerre et de drones israéliens, et des bombes sont larguées partout. Israël a lancé plusieurs frappes aériennes visant en particulier de grandes tours résidentielles, des quartiers peuplés et même des ambulances.
Plus de 300 Palestinien.ne.s de Gaza ont déjà été tué.e.s et près de 2 000 blessé.e.s.
La réponse internationale n’est pas non plus rassurante. Malgré des années de crimes israéliens contre les Palestinien.ne.s, il semble qu’il y ait toujours une incapacité (ou un refus) de reconnaître l’oppression infligée. Des grands médias occidentaux aux politicien.ne.s du monde entier, l’attention se porte de manière disproportionnée sur les soldat.e.s israélien.ne.s et les habitant.e.s des colonies illégales.
Les messages de soutien à Israël, les descriptions déshumanisantes et racistes des Palestinien.ne.s, l’absence de mise en contexte de la résistance en cours, tout cela m’a tellement dégoûté que j’ai dû quitter Twitter (X).
Les réseaux sociaux sont inondés de personnes, pour la plupart blanches et privilégiées, qui disent aux Palestinien.ne.s ce qu’ils.elles devraient faire. Pourtant, la réalité selon laquelle les Palestinien.ne.s sont opprimé.e.s, assiégé.e.s et capturé.e.s depuis de nombreuses années est absente de l’ensemble du débat public.
Comment les opprimé.e.s et les colonisé.e.s sont-ils.elles censé.e.s se comporter ? Si nous suivons la pensée dominante, définie par une vision du monde suprématiste blanche et eurocentrique, les Palestinien.ne.s sont censé.e.s rester assis.es et subir toutes les violences qui leur sont infligées : nettoyage ethnique, emprisonnement, blocus, vol de terres et de ressources… la liste est longue.
Deux poids, deux mesures
Ceux.celles qui critiquent les Palestinien.ne.s qui résistent à leurs colonisateurs.rices sont tout à fait disposé.e.s à s’engager dans des débats sur des formes « humaines » d’oppression durable, mais ne critiquent pas la cause même de l’inhumanité ou n’offrent pas de conseils à cet égard : Israël.
Le public international et les commentateurs.rices des médias qui ne reconnaissent pas, ne dénoncent pas et ne s’opposent pas aux pratiques de colonisation et d’apartheid d’Israël sont complices de l’injustice actuelle.
En effet, le récit dominant est fortement racialisé, ce qui alimente l’impunité d’Israël. Par exemple, Ursula von der Leyen, présidente du Parlement européen, n’a pas adressé un seul mot aux Palestinien.ne.s et s’est contentée de défendre les Israélien.ne.s et de dénoncer les « terroristes du Hamas ».
Mme Von der Leyen, comme beaucoup d’autres dans les médias grand public, dépeint les combattant.e.s de la liberté palestinien.ne.s comme des « terroristes », tandis que les forces coloniales israéliennes sont présentées comme des « innocent.e.s » qui n’ont pas commis de crimes contre l’humanité depuis la Nakba (catastrophe) de 1948, lorsque des centaines de milliers de Palestinien.ne.s ont été expulsé.e.s de leurs maisons et que beaucoup d’entre eux ont été tué.e.s.
Comme les représentations dominantes de ce qui se passe continuent à effacer les Palestinien.ne.s et à ne voir dans les Israélien.ne.s que des victimes de la « terreur » palestinienne, tout engagement en faveur du droit des opprimé.e.s à résister est bien entendu inexistant. À cela, il me suffit de répondre en citant la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies et la Convention de Genève, qui ont entériné le droit de résister à l’assujettissement, à la domination et à l’exploitation des étranger.e.s, et même le droit légal à la résistance armée. (Toutefois, je ne devrais pas avoir besoin ni devoir fournir une telle référence de la part d’une institution qui a elle-même beaucoup de choses à se reprocher en ce qui concerne l’oppression continue des Palestinien.ne.s).
Les niveaux d’hypocrisie lorsqu’il s’agit d’étendre ces droits aux Palestinien.ne.s ne sont que trop évidents si l’on considère que depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Occident a apporté un large soutien militaire à l’Ukraine et a défendu le droit de son peuple à résister.
Israël sème la mort et la destruction à Gaza depuis de nombreuses années. Les habitant.e.s ont été pris.es au piège, sans autonomie de vie ni souveraineté sur leur corps et leur terre. Mais au cours des dernières 48 heures, des enfants palestiniens ont pu concevoir la possibilité d’échapper au mal d’Israël. La possibilité d’une libération n’existe pas seulement dans leurs rêves.
Il s’agit d’un moment véritablement historique pour Gaza, qui a revigoré nombre d’entre nous dans leur lutte pour la liberté de notre terre, de la rivière à la mer.
Je ne sais pas ce qui va se passer dans les jours à venir, je ne sais pas si je reverrai un jour mes parents et je sens douloureusement que je vais probablement perdre d’autres ami.e.s à cause des attaques d’Israël. Ce dont je suis sûr, en revanche, c’est qu’en tant que Palestinien.ne.s, nous vaincrons toujours.
Majed Abusalama est un écrivain indépendant primé, un défenseur des droits de l’homme et un analyste politique qui a une longue expérience des programmes de transformation des conflits, de la décolonisation de la Palestine et de la création de mouvements populaires dans les pays du Sud. Il est également actif sur son twitter, @MajedAbusalama
Source: The New Arab
Traduction ED pour l’Agence Média Palestine