La violence de demander des victimes parfaites

Le Hamas a lancé une attaque sans précédent contre Israël, visant le régime colonial et d’apartheid qui asservit le peuple palestinien depuis 75 ans. La réaction occidentale et la couverture médiatique de l’attaque ont souligné la faillibilité de l’appareil militaire israélien ainsi que les tactiques du Hamas, qui ne ferait pas de distinction entre les cibles militaires et civiles. 

Par Noura Erakat, le 10 octobre 2023

Bombes israéliennes larguées sur la ville de Gaza le 9 octobre 2023, Photo via Al Jazeera

Peu d’observateurs.rices occidentaux.ales ont souligné le contexte de violence systémique d’Israël qui a condamné le peuple palestinien à une mort lente, ratant ainsi une occasion cruciale de faire avancer une véritable solution durable dans la région.

Deux millions de palestiniens et de palestiniennes à Gaza, une enclave côtière méditerranéenne de 583 km carrés, sont assiégé.e.s par un blocus naval et terrestre global imposé par Israël depuis 16 ans. L’ONU et les organisations humanitaires ont condamné le blocus comme illégal et qualifié son impact de  « catastrophique ». En 2015, une agence des Nations Unies avait prédit que Gaza serait invivable d’ici 2020 en raison du manque d’hygiène, d’accès à l’eau potable et des pénuries alimentaires dont Israël porte la responsabilité. Nous sommes maintenant en 2023. Aujourd’hui, plus d’un quart de toutes les maladies signalées à Gaza sont causées par un mauvais accès à l’eau, une eau d’ailleurs souvent contaminée. Cinquante-trois pour cent de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et la dépendance à l’aide alimentaire pour survivre est passée de moins de dix pour cent en 2000 à environ 70 pour cent en 2017. Entre l’automne 2016 et l’été 2017, 186 établissements qui assurent normalement les services de santé, d’eau, d’assainissement et de collecte des déchets solides ont vu leurs services interrompues en raison de  coupures d’électricité dues au siège et au blocus.

Et ceci sans parler des morts et des destructions causées par les attaques militaires israéliennes massives et répétées. Depuis 2008, Israël a lancé quatre offensives militaires à grande échelle contre une population majoritairement réfugiée coincée dans l’un des endroits les plus densément peuplés de la planète, refusant en outre aux habitants la possibilité de s’échapper. Au cours de ces attaques, Israël a tué des familles entières – sur plusieurs générations – avec des tirs de missiles sur leurs maisons. Israël a également bombardé à plusieurs reprises des hôpitaux et des écoles de l’ONU abritant des civil.e.s, malgré leur affichage clairement visible de l’emblème de l’ONU. Malgré la litanie de crimes de guerre bien documentés, personne n’a été tenu pour responsable et le siège n’a fait que se durcir. 

Pire encore, les palestiniens et palestiniennes ont été tenu.e.s responsables pour leurs propres souffrances dès l’élection démocratique du Hamas à la tête de l’Autorité Palestinienne en 2006. Ce discours, qui accusent les victimes, occulte le fait que le Hamas n’a été créé qu’en 1987 – vingt ans après le début de l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie par  Israël, et près de quatre décennies après l’expulsion massive et la dépossession du peuple palestinien lors de la création d’Israël en 1948. 

Le Hamas pourrait disparaître demain et la politique israélienne d’expansion coloniale se poursuivrait. En témoigne la politique de cette dernière en Cisjordanie, où l’Autorité Palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas, le dirigeant palestinien le plus docile à ce jour, opère sous le contrôle de l’armée d’occupation israélienne. Abbas s’est engagé dans une coordination sécuritaire avec Israël pour protéger les colons illégaux, alors que ceux-ci volent des terres palestiniennes et ont été complices du siège israélien qui asphyxie les habitant.e.s de Gaza. En échange de l’acquiescement de l’AP, Israël a étendu sans relâche son entreprise de colonisation, a déclaré son intention d’annexer la vallée du Jourdain et a transféré la surveillance de la Cisjordanie jusqu’à là sous gouvernance militaire à la gouvernance civile, indiquant ainsi la permanence de  l’occupation.

La désignation des palestiniens et palestiniennes comme des victimes « imparfaites » est une façon d’absoudre, et de se rendre complice, de la domination coloniale d’Israël. 

Cette situation est aggravée par l’honteux manque de volonté à soutenir et à célébrer les milliers de palestiniens et palestiniennes qui ont tenté de résister à la domination cruelle d’Israël par des manifestations non violentes. Il s’agit notamment des 40 000 qui, chaque semaine, ont participé à la Grande Marche du Retour en 2018, exigeant leur droit de retourner dans leur patrie d’où ils ont été expulsé.e.s, exigeant aussi la fin du siège, pour se trouver abattu.e.s comme autant de volatiles par des tireurs d’élite israéliens. Cela inclut les milliers de palestinien.ne.s, hommes et femmes, et leurs allié.e.s dans le monde qui se sont engagé.e.s dans des campagnes de boycott, de désinvestissement et de sanctions visant à isoler Israël et à neutraliser sa menace mortelle. Cela inclut les flottilles civiles qui ont tenté de briser le blocus naval de Gaza ainsi que les multiples contestations judiciaires devant les tribunaux nationaux, la Cour internationale de Justice et maintenant la Cour pénale internationale. Ces efforts n’ont pas seulement été marginalisés par les gouvernements occidentaux ; ils ont été diabolisés et diffamés.

Le message adressé au peuple de la Palestine n’est pas qu’ils doivent résister de manière plus pacifique, mais qu’ils ne doivent d’aucune façon résister à l’occupation et à l’agression israélienne.

Pendant ce temps, Israël a tué près de 215 palestiniens et palestiniennes rien que cette année, sans compter les derniers morts à Gaza. Alors que le gouvernement israélien le plus d’extrême droite de l’histoire a supervisé trois pogroms de colons contre le peuple palestinien dans les villes de Huwara et Turmus ‘Aya et a lancé une offensive aérienne et terrestre contre le camp de réfugié.e.s de Jénine, les médias occidentaux se sont surtout montrés préoccupés par la crise judiciaire en Israël. Alors qu’il existe un consensus croissant parmi les organisations de défense des droits humains sur le fait qu’Israël est un régime d’apartheid, le président Biden a avancé et célébré la normalisation israélienne avec les régimes arabes, ignorant la souffrance palestinienne ainsi que le racisme manifeste et l’extrémisme dangereux du gouvernement israélien. La diplomatie internationale et les reportages biaisés n’ont fait que perpétuer la politique ratée d’Israël visant à enfermer les palestinien.ne.s, hommes, femmes et enfants, dans des prisons à ciel ouvert dans l’espoir qu’ils se rendront ou du moins deviendront un « problème » gérable. 

L’attaque du Hamas devrait montrer clairement que le problème n’est pas la soif insatiable de liberté du peuple palestinien mais un statu quo international qui vise à normaliser l’asservissement permanent de la Palestine par Israël. Cette crise et cette guerre imminente doivent être comprises comme plus qu’une prise d’otages de grande ampleur. La vraie crise est une crise de volonté politique, le refus de contester les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par Israël qui nous a conduits à la tragédie actuelle. L’incapacité persistante à faire face correctement à ce contexte équivaut à dire au peuple palestinien qu’ils.elles doivent mourir tranquillement. Il s’agit d’une exigence immorale et impossible qui menace bien plus que la vie du peuple palestinien. Toute condamnation de la violence palestinienne doit désormais commencer et se terminer par des exigences visant à lever le siège, à mettre fin à l’occupation et à démanteler le système d’apartheid israélien.

Noura Erakat est une militante américaine, professeure d’université, juriste et avocate spécialisée dans les droits de l’homme.

Source: Jadaliyya

Traduction BM pour l’Agence Média Palestine

Retour en haut