Biden et Zelenskiy soutiennent une guerre qu’ils disent « non provoquée », mais une population sans défense paiera pour la désinformation des médias.
Par Moustafa Bayoumi, le 11 octobre 2023
J’ai toujours peur de regarder les reportages américains sur les guerres, et celle-ci ne fait pas exception. Après les attaques meurtrières du Hamas en Israël et le bombardement infernal de Gaza par Israël, je me suis connecté sur MSNBC. Peu de temps après, j’ai entendu l’un de leurs journalistes parler de « l’histoire violente entre ces deux nations » – comme si la Palestine était une nation – et j’ai dû éteindre la télévision pour faire une pause. La Palestine n’est pas une nation. Justement.
Les Palestiniens et Palestiniennes de Gaza, de Cisjordanie et d’Israël vivent tous et toutes sous divers régimes de discrimination et d’oppression organisées, qui rendent la vie quasi invivable. Si les médias américains ne peuvent même pas présenter le problème correctement, à quoi sert-il de l’évoquer ?
Ce n’est pas seulement de la paresse. Le reflexe d’identification à Israël, qu’il s’agisse de professionnel.le.s des médias ou d’hommes et de femmes politiques aux USA, continue d’obscurcir tout tableau plus représentatif de ce qui se passe entre Israël et le peuple palestinien.
Le 7 octobre, la porte-parole du Conseil de sécurité nationale, Adrienne Watson, a déclaré que les États-Unis « condamnent sans équivoque les attaques non provoquées des terroristes du Hamas contre des civil.e.s israélien.ne.s ». Chacun.e d’entre nous doit se lever et dénoncer le meurtre de chaque civil.e, israélien.ne, palestinien.ne ou autre. Mais l’utilisation par Watson du mot « non provoqué » ne peut que faire œuvre délétère.
Qu’est-ce exactement une provocation ? Il ne s’agit apparemment pas du grand nombre de colons, plus de 800 selon une source médiatique, qui ont pris d’assaut la mosquée al-Aqsa le 5 octobre. Ni, semble-t-il, des 248 Palestinien.ne.s tué.e.s par les forces israéliennes ou par les colons entre le 1er janvier et le 4 octobre de cette année. Le déni des droits humains et des aspirations nationales du peuple palestinien depuis des décennies ne serait pas non plus une provocation ?
On peut, et on doit en effet, considérer de telles actions comme des provocations sans toutefois cautionner de nouvelles violences meurtrières contre les civil.e.s. Mais regardez uniquement les informations américaines et vous penserez probablement que seul.e.s les Palestiniens agissent — alors qu’Israël ne fait que réagir. On pourrait même en déduire que c’est le peuple palestinien qui colonise la terre d’Israël, rien de moins. Vous penserez sans doutes aussi qu’Israël, qui exerce un contrôle absolu sur la vie de 5 millions de Palestinien.ne.s, hommes et femmes, en Cisjordanie et à Gaza, tout en leur refusant le droit de voter aux élections israéliennes, est une démocratie.
Pour être considéré comme un être politique, il faut au minimum être considéré comme un être humain. Qu’est-ce qu’un humain ? « J’ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est stoppé. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », a déclaré le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant. Des animaux humains ? Comment un tel langage et une politique annoncée de punition collective contre tous.tes les habitant.e.s de Gaza peuvent-ils être considérés par les partisan.e.s d’Israël aux États-Unis ou ailleurs comme défendables ? Soyons clairs : le langage de Gallant n’est pas une rhétorique de dissuasion. C’est le langage du génocide.
Il y a l’hypocrisie persistante de la guerre en Ukraine. De nombreuses personnes dans le monde soutiennent la résistance de l’Ukraine à l’occupation étrangère (à juste titre) mais refusent allègrement au peuple palestinien toute voie de résistance à l’occupation qu’il subit. Même les méthodes de résistance non violentes comme les campagnes de boycott, de désinvestissement et de sanctions sont vilipendées voire criminalisées. Pourquoi ce double standard ? Sans surprise, on voit de telles prises de position jusqu’au sommet des états. Le président Ukrainien, Volodymyr Zelensky , a exprimé à deux reprises son soutien unilatéral à Israël ces derniers jours, affirmant que « le droit d’Israël à l’autodéfense est incontestable ». En dirait-il autant de la Russie sur son territoire ? Bien sûr que non. Zelenskiy devrait comprendre à quel point sa terre envahie et occupée ressemble davantage à la situation du peuple de la Palestine qu’à celle des israélien.ne.s. De tels obscurcissements sont endémiques.
Il en va de même pour les doubles standards. Nous entendrons certainement, et pour cause, beaucoup parler aux États-Unis des israélo-américain.e.s tué.e.s ou enlevé.e.s par le Hamas, mais ces mêmes voix s’élèveront-elles avec la même force lorsqu’il s’agit de palestino-américains et américaines menacé.e.s et tué.e.s à Gaza ? Ont-ils.elles exigé des réponses lorsque l’armée israélienne a abattu la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh en mai 2022 ?
On ne doit certes pas s’étonner de ce double standard, compte tenu de la manière dont le sort du peuple palestinien a été discuté dans le passé, mais cela ne saurait effacer sa noirceur morale. C’est particulièrement dangereux de tourner la sourde oreille en ce moment, alors qu’un gouvernement – celui d’Israël – est sur le point de recourir à une violence sans précédent contre une population en grande partie sans défense et parquée, en partie pour couvrir ses propres erreurs fatales (celles d’Israël) et son embarras.
Ce double standard s’opère aussi – c’est un de ses procédés de base – en établissant une fausse équivalence, laquelle sert à dissimuler l’asymétrie massive du pouvoir entre l’État d’Israël et les enclaves de population dispersés qui constitue le peuple palestinien. Il n’y a pas ici d’égalité. L’un domine, l’autre est dominé. L’un colonise. L’autre est colonisé.
Au moins depuis les accords d’Oslo de 1993, on nous a fait miroiter diverses promesses selon lesquelles cette injustice se résoudrait par des règlements négociés, et qu’après des générations à qui on a demandé d’énormes sacrifices humains, le peuple palestinien pourrait enfin réaliser ses aspirations nationales. Il était déjà clair pour beaucoup d’entre nous que cela est devenu depuis longtemps une illusion nécessaire entretenue par les puissant.e.s. Aujourd’hui, une paix négociée semble plus lointaine que jamais.
Cela m’attriste et m’effraie à la fois. Nous entrons très probablement dans une nouvelle ère longue et douloureuse où la lutte armée d’un côté et la domination violente de l’autre dépendront toujours plus l’une de l’autre pour leur survie. Pourtant, ni l’une ni l’autre ne peut gagner. Le peuple palestinien restera là. Il ne peut être éliminé. Israël continuera également d’exister. L’avenir promet encore et partout des effroyables et inutiles effusions de sang. L’attachement désespéré de l’Occident à des doubles standards dont la faillite morale est inhérente porte une grande partie de responsabilité.
Moustafa Bayoumi est l’auteur des livres primés : How Does It Feel to Be a Problem?, Being Young and Arab in America et This Muslim American Life: Dispatches from the War on Terror. Il est professeur d’anglais au Brooklyn College de la City University de New York. Il est commentateur au Guardian US.
Source: The Guardian
Traduction BM pour l’Agence Média Palestine