Des juifs.ves américain.e.s ont mobilisé plusieurs milliers de juifs.ves à travers les États-Unis pour appeler à un cessez-le-feu à Gaza. L’ADL (Anti-Defamation League) qualifie ces organisations juives de « groupes haineux ».
Par Micah Lee, le 11 novembre 2023
Le 27 octobre 2023, plusieurs milliers de Juifs.ves et leurs allié.e.s ont fermé le terminal principal de la gare de Grand Central à l’heure de pointe à New York, pour exiger un cessez-le-feu à Gaza. Organisés par Jewish Voice for Peace, les militant.e.s de ce sit-in pacifique portaient des t-shirts noirs sur lesquels on pouvait lire « Not In Our Name » (Pas en notre nom). « Il s’agit du plus grand sit-in de protestation que la ville ait connu depuis plus de vingt ans », a déclaré Amy Goodman, de l’émission Democracy Now ! Environ 400 personnes ont été arrêtées, dont des rabbin.e.s.
La Ligue anti-diffamation a classé l’événement – et des dizaines d’autres manifestations menées par des groupes juifs tels que Jewish Voice for Peace et IfNotNow – comme « anti-israélien », selon une analyse de The Intercept, et les a ajoutés à sa base de données documentant la montée de l’antisémitisme à travers les États-Unis.
« Nous assistons à une véritable montée des attaques antisémites, de la haine et de la violence des nationalistes blanc.he.s, des suprémacistes blanc.he.s et des antisémites », m’a dit Eva Borgwardt, porte-parole nationale d’IfNotNow. « Alors que le nationalisme blanc est en hausse, minimiser l’accusation d’antisémitisme en l’appliquant aux défenseurs.euses des droits des Palestinien.ne.s, y compris des Juifs.ves, est incroyablement irresponsable et dangereux. »
Depuis l’attaque brutale du 7 octobre du Hamas contre le sud d’Israël, au cours de laquelle des militant.e.s palestinien.ne.s ont tué plus de 1 400 Israélien.ne.s – pour la plupart des civil.e.s – et pris plus de 200 otages, l’Anti-Defamation League, un groupe de défense juif qui surveille l’antisémitisme et l’extrémisme, a suivi l’augmentation alarmante des incidents antisémites.
En 2020, plus de 100 organisations progressistes – dont le Movement for Black Lives, les Democratic Socialists of America et le Center for Constitutional Rights – ont signé une lettre ouverte demandant à la communauté progressiste de ne pas s’associer à l’ADL parce que le groupe « a l’habitude d’attaquer les mouvements de justice sociale menés par les communautés de couleur, les personnes homosexuelles, les immigré.e.s, les musulman.e.s, les Arabes et d’autres groupes marginalisés, tout en s’alignant sur la police, les dirigeant.e.s de droite et les auteurs.rices de violences d’État ». Aujourd’hui, l’ADL s’en prend à un nouveau groupe de personnes : les juifs.ves progressistes.
Le massacre aveugle de civil.e.s à Gaza par Israël – plus de 10 000 Palestinien.ne.s ont été tué.e.s à ce jour dans la bande de Gaza densément peuplée, dont plus de 4 000 enfants – a donné lieu aux plus grandes manifestations anti-guerre aux États-Unis depuis la guerre d’Irak, et notamment à un regain d’activisme de la part des groupes juifs progressistes. Israël a bombardé Gaza sans relâche depuis l’attaque du 7 octobre, a ordonné le déplacement de plus d’un million de civil.e.s, a lancé une invasion terrestre et empêche la nourriture, l’eau, les fournitures médicales et le carburant d’arriver à Gaza, déclenchant une crise humanitaire et conduisant à ce que les juristes appellent un génocide à l’encontre des Palestinien.ne.s.
Alors que l’ADL a déclaré à The Intercept qu’elle ne considérait pas les manifestations en faveur du cessez-le-feu comme « antisémites », mais seulement comme « anti-israéliennes », son PDG, Jonathan Greenblatt, a dit le contraire. Après que plusieurs milliers de Juifs.ves et leurs allié.e.s aient marché sur le Capitole américain le 18 octobre pour demander un cessez-le-feu, l’ADL DC a publié une déclaration assimilant l’antisionisme à l’antisémitisme. M. Greenblatt a renchéri en qualifiant de « groupes haineux » les groupes qui ont organisé la manifestation, notamment Jewish Voice for Peace (Voix juive pour la paix).
Environ 500 Juifs.ves, dont 25 rabbin.e.s, ont été arrêté.e.s lors de la manifestation au Capitole.
« Il est important de noter qu’il s’agit d’organisations juives marginales radicales et que le fait d’être juif.ve ne dispense pas une organisation ou une personne d’être antisémite », a déclaré un porte-parole de l’ADL à The Intercept.
Un sondage réalisé en 2021 auprès des électeurs.rices juifs.ves par l’institut non partisan Jewish Electorate Institute montre que les opinions pro-palestiniennes au sein de la communauté juive américaine sont loin d’être marginales. À l’époque, 25 % des juifs.ves interrogé.e.s pensaient qu’Israël était un État d’apartheid, 34 % estimaient que le traitement des Palestinien.ne.s par Israël était similaire au racisme aux États-Unis et 22 % pensaient qu’Israël commettait un génocide à l’encontre des Palestinien.ne.s. Ces chiffres sont encore plus frappants pour les jeunes juifs.ves américain.e.s. Ce sondage ne reflète pas l’évolution des sentiments des juifs.ves américain.e.s après l’attaque brutale du Hamas contre Israël, le 7 octobre, ou le massacre par Israël de milliers de civil.e.s palestinien.ne.s à Gaza qui s’en est suivi.
Un autre sondage, réalisé par Data for Progress après le déclenchement de la guerre entre Israël et Gaza, montre que les deux tiers des électeurs.rices américain.e.s dans leur ensemble sont favorables à un cessez-le-feu à Gaza, dont 80 % des démocrates, 56 % des républicains et 57 % des indépendants, bien que le président Joe Biden et la plupart des membres du Congrès, dans les deux partis, s’y opposent.
Comme une grande partie de la communauté juive américaine, les juifs.ves progressistes qui protestent contre le génocide à Gaza pleurent également leurs proches assassiné.e.s par le Hamas le 7 octobre. « Dans les jours qui ont suivi l’attaque [du Hamas], des membres de l’équipe [d’IfNotNow] ont appris que des membres de leur famille et des ami.e.s, ainsi que les enfants de ces personnes, avaient été assassiné.e.s le 7 octobre », a déclaré M. Borgwardt. « C’était très proche de nous et très douloureux. »
La carte « Stand With Israel » de l’ADL
Le 24 octobre, l’ADL a publié un communiqué de presse faisant état d’une « augmentation de près de 400 % des incidents antisémites préliminaires » aux États-Unis depuis le 7 octobre, par rapport à la même période de l’année dernière. La source de cette statistique était le propre ensemble de données de l’ADL, publié sous forme de carte interactive, sur les « incidents antisémites et les rassemblements anti-israéliens aux États-Unis depuis l’attaque du Hamas contre Israël ».
Bien que l’ADL ne distribue pas ses données brutes dans un format utilisable, lorsque vous chargez la carte dans un navigateur web, celui-ci en télécharge une copie en coulisse. En surveillant ce que mon navigateur téléchargeait lors du chargement de la carte, j’ai pu extraire une copie des données et l’enregistrer sous forme de feuille de calcul. Les données brutes sont pleines de doublons. Après déduplication, j’ai obtenu une feuille de calcul contenant 1 163 « incidents antisémites et rassemblements anti-Israël ». L’ADL met continuellement à jour la carte, et les données sur lesquelles je travaille ont été mises à jour pour la dernière fois le 9 novembre.
Les données figurant sur la carte sont réparties entre les catégories suivantes : « agression », « harcèlement », « vandalisme », « rassemblements anti-israéliens » et « rassemblements anti-israéliens avec soutien à la terreur ».
Les catégories d’agression, de harcèlement et de vandalisme, qui représentaient 46 % des points de la carte, regorgent de preuves alarmantes de la montée spectaculaire de l’antisémitisme et de la suprématie blanche à laquelle les États-Unis assistent, en particulier depuis l’élection de Donald Trump en 2016. Par exemple, selon les données de l’ADL :
- Le 8 octobre, à Salt Lake City (Utah), quelqu’un a lancé une alerte à la bombe contre une synagogue.
- Le 13 octobre à Beverly Hills, en Californie, quelqu’un a crié « youpin » à une famille visiblement juive qui se promenait le jour du shabbat.
- Le 18 octobre, à Manhattan (New York), quelqu’un a trouvé l’inscription « Tuez les Juifs » sur le mur d’une station de métro.
- Le 23 octobre, à Washington, quelqu’un a dessiné une croix gammée dans une école primaire.
- Le 25 octobre, à White Plains (New York), une « voiture portant une croix gammée et un drapeau palestinien s’est approchée d’une veillée pour les Israélien.ne.s enlevé.e.s ».
- Le 28 octobre à Knoxville (Tennessee), des membres du groupe haineux antisémite Goyim Defense League ont distribué des tracts disant que « chaque aspect du mouvement LGBTQ+ est juif ».
- Le 3 novembre, à Seattle, dans l’État de Washington, une synagogue a reçu une lettre suspecte contenant de la poudre blanche.
Les 54 % restants sont des manifestations de solidarité avec la Palestine que l’ADL qualifie de « rassemblements anti-israéliens » (39 %) et de « rassemblements anti-israéliens avec soutien à la terreur » (15 %). Lors de ces rassemblements, les manifestant.e.s ont appelé à un cessez-le-feu, à la fin de l’aide militaire inconditionnelle des États-Unis à Israël et à la fin du génocide à Gaza.
« Si un événement n’est marqué que comme un « rassemblement anti-israélien », nous ne le considérons pas comme antisémite », a déclaré le porte-parole de l’ADL.
En parcourant les comptes de réseaux sociaux des groupes nationaux et régionaux de Jewish Voice for Peace et de IfNotNow, j’ai pu faire correspondre des rassemblements organisés par des groupes juifs avec les dates et les lieux de douzaines de rassemblements figurant sur la carte de l’ADL – ce qui représente environ 10 % de tous les rassemblements répertoriés. L’ADL a refusé de fournir un ensemble complet de données, de sorte qu’il est possible que pour certains des « rassemblements anti-israéliens » organisés par des Juifs.ves que j’ai trouvés, les points de données correspondants de l’ADL se réfèrent en fait à des événements différents qui se sont déroulés dans les mêmes villes les mêmes jours.
L’ADL a confirmé à The Intercept que plusieurs manifestations juives massives, dont la marche sur le Capitole des États-Unis le 18 octobre et le sit-in à la gare de Grand Central le 27 octobre, sont incluses dans sa carte.
Voici quelques-unes des manifestations contre le cessez-le-feu et le génocide que les juifs.ves américain.e.s ont organisées depuis qu’Israël a commencé ses bombardements aveugles sur Gaza, également confirmées par l’ADL :
Le 13 octobre, un groupe de 15 Juifs.ves a occupé le bureau de la sénatrice Patty Murray (D-Wash) à Seattle, exigeant qu’elle soutienne un cessez-le-feu et que les États-Unis cessent d’armer Israël alors que ce pays a « ouvertement déclaré son intention de commettre des crimes de guerre ». Six personnes ont été arrêtées.
Le 16 octobre, plus de 1 000 Juifs.ves et leurs allié.e.s ont bloqué les entrées de la Maison Blanche, exigeant que M. Biden soutienne un cessez-le-feu. Dans un tweet, IfNotNow a déclaré : « Nous sommes également ici pour élever nos voix en faveur de nos frères et sœurs israélien.ne.s qui, tout en enterrant leurs proches et en attendant des nouvelles de ceux qui ont été kidnappé.e.s, crient à leur gouvernement que les bombes s’arrêtent ». Au moins 30 personnes ont été arrêtées.
Le 23 octobre, des centaines de Juifs.ves ont manifesté devant le bureau du représentant Troy Carter (D-La) à la Nouvelle-Orléans, exigeant qu’il soutienne un cessez-le-feu, et un groupe de Juifs.ves a occupé son bureau.
Les données de l’ADL n’incluent pas les dizaines de manifestations similaires organisées par des Juifs.ves en faveur d’un cessez-le-feu que j’ai trouvées sur les réseaux sociaux. Par exemple, le 13 octobre, des milliers de Juifs.ves ont fermé la rue devant le domicile du sénateur Chuck Schumer, D-N.Y., à Brooklyn, pour exiger qu’il soutienne un cessez-le-feu à Gaza. Des dizaines de Juifs.ves ont été arrêté.e.s, dont des rabbin.e.s et des descendant.e.s de survivant.e.s de l’Holocauste. Le 19 octobre, des Juifs.ves ont manifesté devant le domicile de la vice-présidente Kamala Harris et de son mari Doug Emhoff, également juif, à Los Angeles, pour exiger qu’elle soutienne un cessez-le-feu. Aucune de ces manifestations, ainsi que des dizaines d’autres semblables, ne figurent sur la carte de l’ADL.
« Soutien à la terreur »
The Intercept a également trouvé des rassemblements organisés par des Juifs.ves américain.e.s que l’ADL semble classer comme « soutenant la terreur ».
En ce qui concerne nos critères de « soutien à la terreur », nous incluons dans cette catégorie les rassemblements où les participant.e.s utilisent un langage ou des images qui justifient ou célèbrent le massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre, où la rhétorique soutient la confrontation armée avec Israël et où le drapeau d’une organisation terroriste désignée par les États-Unis est identifié », a déclaré un porte-parole de l’ADL à The Intercept.
Lorsqu’on lui a demandé si l’ADL considérait l’expression « du fleuve à la mer » comme un soutien au terrorisme, le porte-parole a répondu par l’affirmative. Immédiatement après le massacre d’Israélien.ne.s par le Hamas le 7 octobre, nous avons interprété les appels à la poursuite de la résistance palestinienne et aux efforts de libération de la terre, y compris la phrase « du fleuve à la mer », comme des appels implicites à la violence contre les Israélien.ne.s et au soutien des actions du Hamas », a déclaré le porte-parole, « et nous avons donc inclus les rassemblements où ces phrases ont été utilisées dans la catégorie du « soutien à la terreur » ».
L’expression « de la rivière à la mer » est utilisée depuis longtemps dans le mouvement pro-palestinien pour signifier que les Palestinien.ne.s devraient être autorisé.e.s à vivre dans leur patrie en tant que citoyen.ne.s libres et égaux.ales aux côtés des Israélien.ne.s. Dans le même temps, le Hamas, dont les dirigeants visent à détruire Israël et à faire de la Palestine une nation islamique, a adopté cette phrase comme slogan, et de nombreux Israélien.ne.s et Juifs.ves ne la connaissent qu’avec la connotation de l’expulsion forcée des Juifs.ves d’Israël.
Il convient également de noter que, depuis l’attentat du 7 octobre, des néonazis tentent de s’introduire dans les manifestations de solidarité avec la Palestine, non pas parce qu’ils se soucient des Palestinien.ne.s, mais parce qu’ils détestent les Juifs.ves, comme l’a rapporté Vice. Par exemple, le 28 octobre, une quarantaine de membres du groupe néonazi National Justice Party ont tenté de détourner une manifestation devant la Maison Blanche, où ils ont fait des déclarations antisémites sur un système de sonorisation ; les centaines d’autres manifestant.e.s qui appelaient à un cessez-le-feu n’avaient rien à voir avec eux. De même, des groupes néo-nazis tels que NSC-131, National Socialist Florida et White Lives Matter ont tous utilisé un langage pro-palestinien dans leur récente propagande contre les Juifs.ves.
Une montée en puissance de l’activisme juif en faveur du cessez-le-feu et contre le génocide
Dans un récent épisode de « On the Nose », un podcast organisé par le magazine Jewish Currents, Elena Stein, directrice de la stratégie d’organisation pour Jewish Voice for Peace, a déclaré qu’après l’attaque du Hamas, il était « immédiatement clair » que « les vies des Palestinien.ne.s et des Israélien.ne.s sont complètement imbriquées ». Elle a ajouté que l’apartheid israélien et le colonialisme de peuplement « exercent une violence quotidienne horrible contre les Palestinien.ne.s » et « ne rendent pas les Israélien.ne.s plus sûr.e.s non plus ».
Mme Stein a fait valoir que les juifs.ves américain.e.s ont un rôle important à jouer pour mettre fin à la violence et au génocide en Israël et en Palestine, et que cela est important pour protéger la vie des Palestinien.ne.s et des Israélien.ne.s. « C’est à nous – en particulier à ceux d’entre nous qui, ici aux États-Unis, ont un gouvernement qui finance cette situation, qui l’alimente et qui protège le gouvernement d’apartheid israélien de toute responsabilité à tous les niveaux – qu’il incombe de mettre un terme à cette complicité qui met chaque jour la vie des Palestinien.ne.s en danger et celle des Israéliens en danger direct », a-t-elle déclaré.
L’activisme juif anti-guerre appelant à un cessez-le-feu et contre le génocide à Gaza ne montre aucun signe de ralentissement. Lundi, des centaines de Juifs.ves et leurs allié.e.s ont envahi la Statue de la Liberté pour réclamer un cessez-le-feu, avec une banderole disant « Plus jamais ça pour personne ».
Micah Lee est le directeur de la sécurité de l’information de The Intercept. Ingénieur en sécurité informatique et développeur de logiciels libres, il écrit sur des sujets techniques, des fuites de données et l’extrême droite. Il développe des outils de sécurité et de protection de la vie privée tels que OnionShare, Dangerzone et Semiphemeral. Il écrit actuellement un livre pour apprendre aux journalistes et aux chercheurs à analyser les fuites de données, intitulé Hacks, Leaks, and Revelations, qui sera publié au début de l’année 2024.
Source: The Intercept
Traduction ED pour l’Agence Média Palestine