Survivre un jour à Gaza, c’est affronter le danger du lendemain

Désespérés d’espoir, les Palestiniens tentent de trouver des « zones de sécurité » sur une carte incompréhensible de l’armée israélienne, même s’ils savent qu’il n’y en a pas.

Par Mahmoud Mushtaha, le 6 décembre 2023

Des Palestiniens recherchent des survivants dans une maison appartenant à la famille Al-Zahar, après une frappe aérienne israélienne dans la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 31 octobre 2023. (Abed Rahim Khatib/Flash90)
Des Palestiniens recherchent des survivants dans une maison appartenant à la famille Al-Zahar, après une frappe aérienne israélienne dans la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 31 octobre 2023. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

La semaine du cessez-le-feu temporaire à Gaza a été comme la réalisation du rêve d’une personne bloquée dans le désert avide d’eau. Nous avions de grands espoirs que cet arrêt de l’agression israélienne se transformerait en un arrêt permanent, nous donnant le temps et l’espace nécessaires pour tenter de reconstruire nos vies brisées.

Ces derniers jours, après la rupture du cessez-le-feu, ont peut-être été les jours les plus difficiles de cette guerre. Les nouveaux bombardements ont certainement été tout aussi dévastateurs qu’auparavant, provoquant encore plus de destructions et de déplacements à mesure que les troupes terrestres israéliennes se dirigent vers le sud de la bande de Gaza. Mais ce qui a rendu ce cycle encore plus difficile, c’est que, pendant quelques jours, nous venions de regoûter à la vie et à l’amour. Les Palestiniens ne s’habitueront jamais aux bombes qui s’abattent sur notre peuple, même s’il semble que les bombes elles-mêmes se soient habituées à nous.

La première nuit après la reprise des opérations militaires a été la nuit la plus difficile que j’ai jamais connue. C’était comme si nous étions au bord de la mort, avec le bombardement dangereusement proche de la maison dans laquelle nous nous réfugions actuellement dans le quartier Shuja’iya de la ville de Gaza. Nous avons survécu à cette terrible nuit, mais la survie ne nous apporte que peu de soulagement ; cela signifie que nous devons faire face au danger d’un autre jour. C’est le prix à payer pour rester en vie à Gaza.

Nous sommes devenus désespérés dans notre recherche quotidienne de pain , dans ce qui est désormais devenu la mission première de notre vie, nous dépouillant de notre humanité et de notre dignité. Nous faisons semblant de ne pas prêter attention aux missiles israéliens qui déferlent au-dessus de nos têtes ; ce qui compte, nous disons-nous, c’est de nourrir nos familles. Mais nous nous mentons. Nous nous promenons le cœur tremblant, frémissant de peur au bruit de chaque avion et de chaque frappe aérienne. C’est une bataille d’heures pour la survie.

Des Palestiniens marchent sur une route menant au sud de Gaza après avoir fui leurs maisons dans la ville de Gaza, le 19 novembre 2023. (Atia Mohammed/Flash90)
Des Palestiniens marchent sur une route menant au sud de Gaza après avoir fui leurs maisons dans la ville de Gaza, le 19 novembre 2023. (Atia Mohammed/Flash90)

Tous ceux que je connais à Gaza se sentent perdus. Nous ne savons pas où aller et nous nous demandons constamment s’il ne serait pas plus judicieux de déménager dans un autre quartier ou ailleurs dans la bande de Gaza. Il n’y a plus de gouvernement fonctionnel ni d’autorités pour nous guider ou nous dire quoi faire. Nous ne pouvons que nous parler.

L’armée israélienne a récemment publié une carte divisant la bande de Gaza en d’innombrables petits blocs, dont certains, selon elle, étaient désignés zones « sûres ». La carte est cependant incompréhensible. Une de mes amies, originaire de Gaza mais actuellement en Turquie, m’a dit que sa famille dans la bande demandait si elle se trouvait dans une zone de sécurité selon la carte.

Tous mes amis – dans les rares occasions où ils peuvent avoir de l’électricité ou du signal – posent également des questions sur la carte israélienne sur les réseaux sociaux, implorant de savoir si certaines zones sont dangereuses ou non. Nous savons qu’il n’existe pas d’espaces véritablement sûrs à Gaza, mais tout le monde veut garder une lueur d’espoir que nous pouvons faire quelque chose pour nous rendre plus sûrs, que nous pouvons avoir un moment de tranquillité au milieu de cette horreur.

Lorsque j’ai récemment contacté une amie dans le sud de Gaza, elle a répondu en larmes : « Nous avons évacué les tours Al-Awda, dans le nord de la bande de Gaza, vers Fakhoura, à Khan Younis. Ensuite, nous avons déménagé aux tours Hamad, mais elles ont été bombardées samedi et nous avons donc dû repartir. Nous sommes ensuite allés sous une tente dans une école. Maintenant, nous sommes évacués vers un autre endroit, et nous ne savons pas où.

Quand j’entends des témoignages comme celui-ci, parmi tant d’autres, je ne peux qu’être horrifié par la punition collective que nous subissons. Je crains que la situation ne fasse qu’empirer et que l’illusion selon laquelle les zones de Gaza seraient distinguées par des « blocs » artificiels permettra simplement à Israël de justifier le massacre de davantage de civils sous le faux prétexte de leur avoir offert une protection.

Coincé dans la ville de Gaza, je me retrouve à aspirer à ma propre maison, manquant les routines banales dont je me plaignais dans le passé. Mon bureau me manque et mes amis me manquent énormément. Les joies du jeudi soir, qui annonçaient nos week-ends plus reposants, semblent désormais lointaines. Tout ce que je souhaite maintenant, comme tous les citoyens de Gaza qui paient le prix de cette guerre insensée, c’est que le massacre et la destruction massive cessent. Nous n’avons plus l’énergie nécessaire pour supporter davantage de pertes ; c’est trop lourd à tenir.

Source : +972Mag

Traduction : AJC pour l’Agence Média Palestine

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