Critique de film : Présenté au Festival du film palestinien de Londres, « Dégradé » de Arab et Tarzan Nasser est un film percutant et claustrophobe sur la vie d’une femme à Gaza.
Par Hanna Flint, le 15 décembre 2023
Si la prison à ciel ouvert de Gaza n’était pas une toile de fond suffisamment claustrophobe pour le premier long métrage d’Arab et Tarzan Nasser (2015), le salon de beauté dans lequel treize femmes se retrouvent piégées l’est assurément.
Leur histoire est centrée sur les femmes, une histoire vraiment cynique, qui met en lumière la tension, l’anxiété et la rage féminine vécues par un échantillon de femmes palestiniennes piégées physiquement et mentalement par les forces patriarcales de l’occupation israélienne.
Les événements se limitent non seulement à une journée chaude, mais aussi à un lieu, le salon susmentionné tenu par Christine (Victoria Balitska), une femme russe qui a épousé un étudiant palestinien qu’elle a rencontré à l’université.
Elle vit à Gaza depuis 12 ans avec son mari et sa fille, qui veut absolument quitter le magasin mais n’en a pas le droit en raison de la menace qui plane juste derrière la porte. Le fait que cette ville contrôlée par l’armée soit un lieu de vie plus attrayant que le pays d’origine de Christine en dit long sur le type de luttes auxquelles sont confrontés ces travailleurs-euses normaux qui se battent contre l’oppression d’un gouvernement corrompu.
« Les Nasser transforment ce havre typique de la solidarité féminine en une zone dangereuse où l’animosité menace de déboucher sur une guerre totale. »
Christine emploie Wedad (Maisa Abd Elhadi), une jeune femme larmoyante et anxieuse qui entretient une relation toxique avec Ahmed (Tarzan Nasser), un criminel local. Ce dernier rôde devant le salon avec un lion volé qui fait de lui et de son gang une cible pour le Hamas, qui ne tarde pas à se manifester et à déclencher un nouveau conflit violent.
Le fait que les hommes restent pour la plupart à la périphérie ajoute à l’atmosphère confinée de ce salon délabré aux ressources limitées en matière de beauté. L’ironie visuelle des femmes qui veulent se refaire une beauté dans un endroit aussi délabré renforce également le titre du film.
Les clientes attendent leur heure en se jugeant tranquillement (et pas si tranquillement) les unes les autres de manière parfois drôle, mais surtout inconfortable. Si les regards acérés et les yeux de travers pouvaient couper, il ne resterait plus personne dans ce salon.
Des critiques chuchotées à voix haute à l’encontre d’Eftikhar (Hiam Abbass), une femme divorcée, aux remarques sarcastiques adressées à Salma (Dina Shuhaiber), une jeune future mariée, par Sameeha (Huda Al Imam), sa belle-mère, ces interactions témoignent d’une culture qui définit encore les femmes en termes du culte de la « Madonna-Whore », qui repose sur un sexisme, une misogynie et une hégémonie religieuse intériorisés.
Les Nasser transforment ce havre typique de solidarité féminine en une zone dangereuse où l’animosité menace de déboucher sur une guerre totale. Dans la seconde moitié du film, c’est le cas. Ce type de caractérisation alimente les clichés les plus mesquins sur les femmes, que j’ai parfois eu du mal à digérer.
Pourtant, même dans leurs moments les plus horriblement malveillants d’insultes et d’arrachage de cheveux, la solide distribution articule les peurs, les motivations et les espoirs de ces femmes sans tomber dans le mélodrame. Les plans capturent souvent plus d’une personne dans le cadre, ajoutant une texture émotionnelle à la cause et à l’effet des diverses sarcasmes ou réactions au monde extérieur.
Malgré le caractère arrogant et hautain d’Eftikhar, Abbass utilise la subtilité pour montrer l’insécurité d’être quitté pour une femme plus jeune dans la façon dont elle observe la préparation nuptiale de Salma.
Balitska garde un air patient alors que ses clients lui lancent des piques ainsi qu’aux autres femmes, mais la frustration dans ses yeux raconte une autre histoire.
Manal Awad fournit une grande partie du soulagement comique dans le rôle de Safia, une droguée sans aucun filtre dont l’insertion dans les drames des autres est un moyen de détourner l’attention de sa propre expérience de violence domestique.
Awad brille dans une scène particulièrement puissante. Le salon devient silencieux lorsque Safia imagine un gouvernement dirigé par des femmes et qu’elle fait le tour de la pièce en donnant divers titres de postes.
Là où « Caramel », le drame de Nadine Labaki tourné en 2007 dans un salon, évite de mentionner directement l’actualité de son cadre beyrouthin (il a été tourné juste avant que la guerre israélo-libanaise n’éclate en juillet 2006), « Dégradé » est explicite.
Les références aux drones et aux points de contrôle israéliens, à la corruption du Hamas, du Fatah et de diverses entités politiques, informent la lourde amertume qui couve chez presque toutes les femmes.
Il s’agit d’un film lourd, c’est certain, et l’acte final, qui se déroule en apothéose, passe brusquement d’un point de vue féminin à un point de vue masculin, ce qui a pour effet d’interrompre notre investissement dans l’histoire. Mais il s’agit peut-être d’une réflexion plus honnête sur le pouvoir empoisonné du patriarcat, en particulier dans le cadre du conflit qui se poursuit à Gaza. Les hommes sont la force motrice et les femmes se font balader.
Hanna Flint est critique de cinéma et de télévision, écrivain et auteur de Strong Female Character. Elle a publié des articles dans Empire, Time Out, Elle, Town & Country, The Guardian, BBC Culture et IGN.
Source : The New Arab
Traduction ED pour l’Agence Média Palestine