Par Karime Zidane, le 18 janvier 2024
La Fifa et le CIO ont évité toute déclaration dénonçant la guerre entre Israël et Gaza et la crise humanitaire qui s’en est suivie, une décision qui contraste fortement avec leur attitude envers l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Alors que le nombre de Palestiniens et de Palestiniennes tué.e.s par les bombes israéliennes à Gaza ne cesse d’augmenter – et alors que nous apprenons que des « poches de famine » ont commencé à apparaître sur le territoire –les moyens qui leur permettraient de se défendre semblent rares. Il existe, pourtant, une méthode bien connue pour unir le monde : le sport.
La veille du Nouvel An, la Fédération jordanienne de football (JFA) a publié une déclaration appelant la communauté sportive mondiale à prendre « des mesures décisives pour mettre fin à l’agression contre le peuple palestinien à Gaza et dans les Territoires Occupés ».
Le communiqué appelle à des sanctions strictes contre les associations sportives israéliennes afin de les isoler de la communauté sportive internationale. Cela impliquerait d’interdire aux équipes, clubs, joueurs et joueuses israélien.ne.s, et leurs représentants de participer à des compétitions internationales « jusqu’à ce que l’État occupant se conforme aux demandes internationales de cessez-le-feu ».
« Le mépris flagrant des lois morales et humanitaires fondamentales a transformé les installations de football à Gaza en sites de souffrance, d’humiliation et d’abus pour des civils et des enfants innocents, les écartant ainsi de leur vocation comme espaces de joie et d’espoir », peut-on lire dans le communiqué . « Un tel silence dans ces circonstances critiques peut être perçu comme une approbation implicite des pratiques illégales de l’Occupation, impliquant potentiellement dans ces atrocités graves les parties qui se taisent. »
La déclaration de la JFA intervient quelques jours seulement après la diffusion d’images troublantes montrant les troupes israéliennes transformant le stade de Yarmouk – l’une des plus anciennes installations sportives de Palestine – en un camp d’internement de fortune pour les détenus et détenues palestinien.ne.s. Des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants ont été rassemblés, déshabillés, laissé.e.s en sous-vêtements avec les yeux bandés, pendant que des soldats armés et des chars encerclaient le terrain.
La Fédération palestinienne de football (PFA) a également annoncé avoir écrit au Comité international olympique et à la FIFA exigeant une « enquête internationale urgente sur les crimes d’occupation contre les sports et les athlètes en Palestine ».
« Dans ce dernier exemple du fascisme israélien, l’Occupation nous a montré des images horribles produites lors de son invasion du stade de Yarmouk dans la bande de Gaza, transformé pour l’occasion en un centre de détention où notre population a été maltraitée et interrogée», a déclaré la PFA.
« Cette violation flagrante et scandaleuse de toutes les conventions et de tous les accords s’ajoute à une longue série de violations contre le sport palestinien, notamment le meurtre et l’arrestation de joueurs et joueuses. Il s’agit d’un crime que les institutions sportives internationales ne peuvent ni tolérer, ni taire, ni ignorer.»
Les appels au bannissement d’Israël des sports internationaux ne sont pas nouveaux. Le mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS), par exemple, plaide depuis longtemps (et sans succès) pour que l’association de football israélienne soit expulsée ou suspendue pour avoir organisé des matchs sanctionnés par la FIFA dans les colonies israéliennes de Cisjordanie – un territoire sous occupation militaire israélienne depuis 1967.
« La FIFA a, depuis des années, activement protégé Israël de toute responsabilité pour ses crimes de guerre continus, et a violé ses propres statuts en acceptant l’inclusion dans la FIFA d’équipes qui jouent dans les colonies israéliennes illégales sur des terres palestiniennes volées. La FIFA est allée jusqu’à sanctionner non pas les clubs des colonies illégales, mais les clubs de fans qui ont osé exprimer leur soutien aux droits humains du peuple palestinien. Un bel exemple de comment ces organismes hypocrites expriment leur « neutralité » », a déclaré le BDS dans un communiqué cette semaine.
Les appels renouvelés à des sanctions sont une réponse à la guerre en cours contre Gaza, qui a dévasté la bande de Gaza, y compris son mouvement sportif, l’un des rares domaines dans lesquels les Palestiniens et Palestiniennes peuvent encore trouver de la joie dans leur vie quotidienne.
Selon les derniers chiffres du ministère de la Santé de Gaza, les forces israéliennes ont tué au moins 23 500 Palestinien.ne.s et blessé 57 305 autres à Gaza depuis le début du conflit, un conflit déclenché lorsque le Hamas a lancé une attaque contre Israël qui a tué plus de 1 000 personnes. Au moins 85 athlètes palestiniens, dont 55 footballeurs, ont été tués depuis le début de la guerre, a confirmé la PFA dans un récent rapport répertoriant les violations sportives commises par Israël. Les chiffres comprenaient 18 enfants et 37 adolescent.e.s. Depuis lors, d’autres noms ont été ajoutés à la liste, notamment celui de Hani Al-Masry, ancien footballeur et directeur général de l’équipe nationale olympique palestinienne.
Pendant ce temps, plus de 300 Palestiniens et Palestiniennes ont été tué.e.s en Cisjordanie, dont 79 enfants. Par ailleurs, plus de 2 550 Palestinien.ne.s se sont trouvé.e.s détenu.e.s dans les Territoires Occupés depuis le 7 octobre ; d’autres résidents locaux sont confrontés à de mauvais traitements et à des abus de la part des soldats israéliens, ainsi qu’à des restrictions de mouvement par le biais des « checkpoints » (points de contrôle).
Le maintien des restrictions pourrait être considéré comme une violation de la Charte olympique, qui stipule que « la pratique du sport est un droit humain».
Selon la Charte, « chaque individu doit avoir accès à la pratique du sport, sans discrimination d’aucune sorte au regard des droits humains internationalement reconnus dans le cadre du Mouvement olympique ». Le document poursuit en affirmant que ces droits et libertés doivent être garantis « sans discrimination d’aucune sorte » et que « l’appartenance au Mouvement olympique requiert le respect de la Charte olympique ».
Le président de la FIFA, Gianni Infantino, a écrit aux associations de football d’Israël et de Palestine en octobre pour exprimer ses condoléances pour les « violences horribles » qui ont eu lieu. Cependant, la FIFA et le CIO ont évité de publier des déclarations dénonçant la guerre en cours par Israël et la crise humanitaire qui en résulte – une décision qui contraste fortement avec leur attitude envers l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
En effet, lorsque l’on regarde comment le monde du sport a traité chacun de ces conflits, le contraste est saisissant. Immédiatement après l’invasion de février 2022, la plus grande nation du monde, la Russie, est devenue un paria dans le monde du sport. Les équipes nationales et les clubs de football russes ont été interdits de compétition internationale, exclus notamment de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Le Comité international paralympique a également décidé d’exclure les athlètes russes et biélorusses à la veille des Jeux paralympiques de Pékin, et plusieurs fédérations internationales ont pris des mesures pour interdire aux athlètes russes et biélorusses de participer aux compétitions internationales.
Le 5 octobre 2023 – juste avant le début de la guerre entre Israël et Gaza – le CIO a suspendu le Comité olympique russe suite à la décision de Moscou d’intégrer les organisations sportives de quatre territoires occupés de l’Ukraine. La déclaration du CIO qualifie les actions de la Russie de « violation de la Charte olympique ».
Le CIO a décidé d’exclure les athlètes russes et biélorusses ayant des contrats militaires. Il est d’autant plus intéressant de le noter que le CIO a pourtant soutenu l’inclusion d’athlètes israéliens aux prochains Jeux olympiques de Paris, malgré le fait que certains athlètes qui souhaitent y participer sont également membres actifs des Forces de défense israéliennes (IDF).
Le CIO a été confronté à une pression croissante concernant la guerre menée par Israël contre Gaza. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a qualifié les approches contrastées de l’organisation de « scandaleuses », caractéristiques de la « partialité et de l’ineptie » du CIO. Les responsables olympiques ont répondu en affirmant que les deux conflits ne sauraient être comparés.
« Il s’agit d’une situation unique qui ne peut être comparée à aucune autre guerre ou conflit dans le monde, car les mesures prises et les recommandations formulées par le CIO découlent de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe lors des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de Pékin de 2022 », a déclaré un porte-parole du CIO en novembre 2023.
Néanmoins, les réponses du CIO et de la FIFA à l’invasion de l’Ukraine par la Russie amènent à s’interroger quant à l’absence d’actions similaires contre Israël dans le contexte de ses bombardements continus sur Gaza. Cette divergence dans la gestion des conflits internationaux met en évidence un double standard inquiétant qui sape la crédibilité de ces organisations sportives. Cette incohérence mine non seulement les principes d’équité et d’égalité, mais remet également en question l’intégrité et l’impartialité de ces organismes sportifs mondiaux.
En outre, la disparité flagrante dans le traitement réservé à Israël et à la Russie par le CIO et la FIFA envoie un message troublant quant à la valeur perçue des droits humains et de la dignité humaine, en particulier dans le contexte du conflit israélo-palestinien. En s’abstenant d’appliquer les mêmes normes à Israël qu’à la Russie, ces organisations sportives semblent suggérer que la Palestine, en tant qu’État membre participant à des événements internationaux majeurs, ne mérite pas le même niveau de sympathie, de dignité ou d’engagement qu’exige le respect de leurs droits humains fondamentaux.
Karim Zidan écrit une newsletter régulière sur les rapports entre sport et politique autoritaire.
Source : The Guardian
Traduction BM pour Agence Média Palestine