Césariennes sans anesthésie, absence d’aide à la grossesse, pénurie de produits d’hygiène : les femmes de Gaza qui tentent de survivre sous les bombes israéliennes sont terrifiées et traumatisées.
Par Iman Farajallah, le 20 février 2024
Au milieu des assauts incessants des forces israéliennes à Gaza, les femmes palestiniennes endurent une réalité quotidienne faite de tristesse, de traumatisme et de peur.
Depuis 137 jours et plus, les femmes palestiniennes sont privées d’accès aux produits de santé menstruelle et aux soins de grossesse, ce qui les expose à des risques sanitaires accrus, en particulier celles qui vivent dans des abris temporaires tels que des tentes et des salles de classe.
Les conditions hivernales difficiles actuelles intensifient leurs souffrances. Les vêtements d’hiver et les couvertures sont insuffisants.
L’accès à l’eau potable, aux installations sanitaires et aux produits d’hygiène est très limité, ce qui compromet encore plus la santé des femmes et le risque d’infection. L’intimité est un luxe dans ces conditions de promiscuité, ce qui amplifie leur détresse.
La pénurie de médicaments contre la douleur et d’autres traitements essentiels, associée à la demande écrasante de soins médicaux de la part des personnes déplacées, aggrave une situation déjà désastreuse.
Le sentiment d’insécurité inéluctable, avec des hôpitaux et des cliniques pris pour cible, suscite une peur constante, ce qui accroît les effets psychologiques et sanitaires à long terme auxquels sont confrontées les femmes palestiniennes.
La perte de services de soutien psychologique spécialisés due à la destruction d’installations, telles que le centre de santé pour femmes du camp de Bureij, a privé de nombreuses femmes et de nombreux enfants d’un accès crucial aux soins.
Ajoutée aux difficultés économiques et à une alimentation inadéquate, leur détresse est monumentale.
La gêne et la honte
À l’inconfort physique s’ajoutent la détresse émotionnelle, l’embarras et la honte qui érodent leur sens de la dignité et de l’estime de soi. Le manque de fournitures médicales essentielles aggrave leur sentiment d’impuissance et de désespoir, les rendant vulnérables à toute une série de problèmes de santé mentale, notamment l’anxiété, la dépression et le désespoir.
Sanaa Abu Ras, une résidente déplacée du nord de Gaza, illustre de manière frappante l’angoisse à laquelle sont confrontées les mères qui s’occupent de leurs filles ayant des besoins particuliers. Sa fille, Reham, court des risques accrus pendant la menstruation en raison de son autisme.
Le manque de fournitures essentielles et de séances psychologiques régulières intensifie le fardeau des mères comme Sanaa, qui créent des sanctuaires de fortune dans leurs logements exigus afin d’offrir un semblant d’intimité et de confort au milieu du chaos du déplacement.
« J’attends le peu d’aide fournie par le refuge, qui dans la plupart des cas est presque inexistante pendant plusieurs jours », a déclaré Sanaa.
« Les interruptions des séances psychologiques de Reham ont alourdi le fardeau. Ma fille a besoin de son propre espace, alors j’ai recouvert une table de couvertures pour essayer de soulager sa détresse et lui donner un peu d’intimité ».
Le bien-être psychologique des femmes palestiniennes est étroitement lié à leur santé menstruelle, qui a été bouleversée par les conditions instables sur le terrain. Les dures réalités de la guerre israélienne ont engendré une peur omniprésente, de l’anxiété et la perte des liens sociaux vitaux nécessaires à la guérison.
Ces difficultés se manifestent de diverses manières pendant la menstruation. Des cycles irréguliers, des périodes menstruelles prolongées et même l’absence de menstruation pendant plusieurs mois ont été signalés par des femmes hébergées à l’école des Nations Unies à Deir al-Balah.
L’histoire de Reham illustre les luttes endurées quotidiennement par d’innombrables femmes palestiniennes dans la bande de Gaza, soulignant le besoin urgent de systèmes de soutien complets et de ressources pour répondre aux besoins psychologiques et médicaux uniques des femmes dans le cadre de la crise humanitaire actuelle.
Privés de produits de première nécessité
La situation des femmes palestiniennes enceintes est également aggravée par les circonstances actuelles et l’impact dévastateur de la guerre israélienne en cours. La grossesse exige une prise en charge globale, comprenant un soutien physique, émotionnel, social et culturel, afin de faciliter la conception, le travail et l’accouchement.
Cependant, l’environnement psychologique instable, les bombardements incessants et la peur omniprésente que connaissent les femmes palestiniennes à Gaza entraînent des conséquences tragiques telles que des fausses couches et la perte de vies, y compris d’enfants à naître, en raison du ciblage direct par les forces d’occupation israéliennes.
Alaa Muhammad, une jeune femme de 22 ans originaire de Khan Younis, a fait part de son expérience effrayante : alors qu’elle était enceinte de cinq mois, elle a été transférée dans les écoles d’UNRWA pour y être mise en sécurité, avant d’être forcée à se rendre à Rafah, près de la frontière égyptienne, dans un contexte d’attaques incessantes.
Alaa a décrit avec force l’insensibilité des forces d’occupation israéliennes, qui n’ont fait aucun cas de la vulnérabilité des femmes enceintes, les obligeant à fuir sans provisions, dans des conditions périlleuses et sous la menace constante de la violence.
À Rafah, la situation d’Alaa s’est aggravée car elle a dû vivre dans une tente de fortune, endurer des températures glaciales et être privée des produits de première nécessité. L’absence de soins médicaux appropriés, notamment d’examens prénataux et d’une alimentation adéquate, a aggravé ses difficultés à mesure qu’elle approchait de la date prévue pour l’accouchement.
L’accès au transport vers une maternité est devenu une tâche décourageante, et lorsqu’elle est arrivée à la Maternité Émiratie surpeuplée, elle a enduré des heures d’attente angoissantes avant d’accoucher.
Tragiquement, les conditions de surpeuplement de l’hôpital ont forcé Alaa à quitter l’établissement peu après l’accouchement, retournant dans son abri inadéquat avec des fournitures minimales pour elle et son nouveau-né. Chaque jour, ils luttent pour survivre.
Césariennes sans anesthésie
La complexité de la situation s’intensifie lorsqu’une femme subit une césarienne pour accoucher. Cette procédure peut augmenter considérablement le niveau de stress psychologique.
À l’approche de la date prévue pour l’accouchement, la peur, l’anxiété et le stress, aggravés par le ciblage permanent des hôpitaux palestiniens, amplifient encore les souffrances des femmes palestiniennes enceintes.
Souvent, les femmes qui parviennent à se rendre à l’hôpital pour l’accouchement prévu découvrent que l’intervention a été annulée en raison du nombre écrasant de blessés que l’hôpital doit prendre en charge ce jour-là.
« J’ai été surprise à plusieurs reprises d’apprendre que mon opération de césarienne avait été reportée, avant d’être confrontée à d’autres annulations à mon retour à l’hôpital », a déclaré Rumana Ali. « J’ai enduré quatre voyages inutiles jusqu’à ce que je donne enfin naissance à mon enfant. »
Le jour de l’accouchement, elle a été choquée de découvrir qu’il n’y avait pas d’anesthésiant disponible pour l’opération.
Pendant l’intervention, elle a supplié le médecin d’arrêter faute d’anesthésie, mettant en péril sa sécurité et celle de son enfant. Les suites de l’opération n’ont fait qu’aggraver sa douleur physique et psychologique, car les soins postopératoires essentiels tels que les médicaments, les antibiotiques et les analgésiques faisaient défaut.
La peur et l’anxiété l’ont envahie, car elle s’inquiétait des complications et des infections potentielles. En raison de soins inadéquats, elle a perdu son bébé. Elle continue à se débattre avec le choc psychologique de la perte tragique de son enfant, luttant contre la dépression et endurant la douleur.
Les expériences déchirantes et terrifiantes de Reham, Alaa et Rumana soulignent la nécessité urgente de mettre fin à la guerre et de permettre aux familles déplacées de rentrer chez elles et de reconstruire leur vie.
C’est un appel à l’humanité et à la justice dans le chaos de cette guerre vicieuse, qui fait écho à l’espoir résistant d’un avenir où les femmes palestiniennes pourront vivre dans la paix et la sécurité, et où les mères palestiniennes pourront mettre au monde leurs enfants dans la dignité et la sécurité, comme toutes les mères du monde.
Iman Farajallah est docteure en psychologie clinique. Elle est née et a grandi à Gaza et vit aujourd’hui en Californie. Elle est également membre auxiliaire du corps enseignant de la Graduate Theological Union à Berkeley et professeur à l’université de Sofia à Palo Alto, où elle enseigne la diversité religieuse dans les domaines du conseil, de la psychopathologie, de l’éthique et de la recherche. Elle est l’auteur d’un livre à paraître prochainement (My life is a war : voices of traumatised Palestinian children under Israeli occupation).
Source : Middle East Eye
Traduction ED pour l’Agence Média Palestine