Columbia : vive la résistance étudiante

Le personnel de l’administration des universités ne comprennent pas que les étudiants ont entrevu un avenir remarquable dans lequel la libération de la Palestine est possible. Le campement de solidarité avec Gaza à l’université de Columbia est une source d’inspiration pour maintenir le cap.

Par Nushrat Nur, le 20 avril 2024

Des étudiants de l’Université de Columbia installent le Campement de Solidarité avec Gaza, le 17 avril 2024 (Photo: réseaux sociaux)

Priscilla Yuen, directrice adjointe des affaires doctorales à Columbia Engineering, se tient debout, papiers à la main, de grandes lunettes de soleil cachant son visage, alors qu’elle répète un avertissement aux étudiants qui se trouvent devant elle.

« Vous êtes en infraction avec la politique de l’université. Si vous ne quittez pas les lieux avant 11 heures, vous serez suspendus ».

Les étudiants continuent d’applaudir en rythme.

Deux responsables de l’administration du Barnard College tentent d’encourager les étudiants à discuter, tandis que Sarah Gillman, vice-présidente des opérations financières stratégiques, se tient légèrement en retrait, observant silencieusement.

Les étudiants répondent par des chants.

Minouche Shafik, présidente de l’université de Columbia, envoie un courriel vers 13 heures le 18 avril pour avertir le corps universitaire qu’elle a autorisé la police de New York à arrêter des centaines d’étudiants tout en rendant hommage à l’héritage de l’activisme de Columbia dans la même correspondance.

Les étudiants répondent en se tenant les mains.

Les organisateurs étudiants de l’université de Columbia ont installé le campement de solidarité avec Gaza le 17 avril. Soixante tentes ont occupé la pelouse Est du campus pour pousser l’université à se désinvestir du génocide israélien en cours à Gaza. Le campement, inspiré par l’occupation du Hamilton Hall en 1968 et par les manifestations du Mandela Hall en 1985, n’est pas la première tentative de Columbia de se désinvestir de l’État sioniste. En 2020, un référendum appelant l’université à se désinvestir des entreprises investies dans l’apartheid israélien a été adopté à une large majorité, mais a finalement été rejeté par le président de l’époque, Lee Bollinger.

Alors que les Palestiniens bravent l’occupation à Gaza, les étudiants du monde entier continuent d’allumer le flambeau de la libération palestinienne sur leurs campus universitaires. L’académie institutionnalisée s’est longtemps opposée à la lutte radicale des étudiants activistes, et les sept derniers mois n’ont pas dérogé à la règle. L’activisme sur les campus universitaires a toujours été un bastion pour la justice sociale et les mouvements anti-guerre, mais plus encore, c’est un cas d’étude de l’espoir en tant que discipline. Alors que le désespoir nous ronge et nous menace, les étudiants nous rappellent qu’ensemble, la liberté n’est pas seulement accessible, elle est inévitable.

La résistance étudiante a un long héritage à travers le monde et un fil conducteur dans de nombreux problèmes mondiaux. De Tian’anmen à Dhaka, en passant par Soweto et les États-Unis, les étudiants se sont opposés avec audace à l’apartheid, à la violence armée, aux brutalités policières, au changement climatique, à l’impérialisme mondial et à bien d’autres choses encore. Le monde universitaire s’est longtemps présenté comme un foyer de curiosité intellectuelle et d’innovation, encourageant les étudiants à remettre en question les idées existantes et à trouver de nouveaux moyens d’améliorer le monde qui les entoure. Après tout, c’est au Merritt College que Huey P. Newton et Bobby Seale ont fondé le Black Panther Party, l’une des organisations révolutionnaires d’avant-garde les plus influentes qui soient.

Malgré tout, depuis que l’activisme étudiant existe, la répression par les organes administratifs a toujours existé. Cela s’est avéré particulièrement vrai au cours des sept derniers mois.

À l’heure où j’écris ces lignes, des milliers de personnes sont descendues sur le campus de Columbia pour manifester leur solidarité avec les centaines d’étudiants qui ont été enfermés dans des fourgons de la police de New York la veille. Sur la côte opposée, les étudiants sont descendus dans la rue après l’annulation du discours d’Asna Tabassum par l’université de Californie du Sud pour des raisons de sécurité infondées. Dans le sud, le Conseil pour les relations américano-islamiques (CAIR-Géorgie) et Palestine Legal ont déposé une plainte pour violation des droits civils contre l’université Emory pour avoir favorisé un « environnement hostile anti-palestinien et islamophobe » après des mois de harcèlement et de répression à l’encontre des étudiants. Des étudiants de l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill, de l’université de Miami dans l’Ohio et de l’université de Yale dans le Connecticut ont même lancé leurs propres campements de solidarité.

L’occupation de la Palestine est depuis longtemps une poudrière dans les institutions universitaires. Les ‘étudiants pour la justice en Palestine’, un réseau national de groupes axés sur la libération des Palestiniens, ont dû faire face à d’innombrables obstacles en poussant les universités à se désinvestir de l’armement et de la technologie israéliens et à lutter contre la normalisation de l’apartheid israélien. Les niveaux de harcèlement n’ont fait que croître de manière exponentielle depuis le 7 octobre, les étudiants faisant face à de nouvelles attaques au vitriol de la part de leurs camarades, des enseignants et même d’anciens étudiants. Les gouvernements des différents États et le gouvernement fédéral ont même fait pression sur les universités pour qu’elles continuent à sévir contre leurs étudiants et groupes d’étudiants prétendument « pro-Hamas » afin de répondre aux « cris aux loups » de l’antisémitisme lancés par les organismes sionistes.

L’un des éléments les plus sinistres de la censure des universités est peut-être l’adoption de concepts et d’un langage de justice sociale pour la diversité, l’équité et l’inclusion afin de maintenir le statu quo. Ainsi, lorsque les universités envoient des représentants pour dire aux étudiants d’abandonner leur protestation, elles envoient des personnes qui leur ressemblent. Les institutions invitent les étudiants à célébrer la nomination de Mme Shafik comme l’une des premières femmes arabes présidentes de l’Ivy League, mais ne comptent pas sur elle pour protéger les étudiants arabes des brutalités policières. Ce n’est pas pour rien que les États-Unis envoient Linda Thomas-Greenfield, une femme noire, opposer son veto aux innombrables résolutions en faveur d’un cessez-le-feu humanitaire. C’est également pour cette raison que les États-Unis ont choisi Karine Jean-Pierre, la première attachée de presse ouvertement homosexuelle, pour confronter les journalistes alors qu’elle justifie la participation active et délibérée de ce pays à des massacres de masse.

Les institutions américaines, en particulier les institutions universitaires, ont répondu aux appels à la justice en invitant les personnes marginalisées à s’asseoir à une table impériale. Cela ne nous sauvera pas.

Les étudiants militants le savent et rejettent les fantasmes néolibéraux de la politique identitaire. Ils défendent la Palestine et le monde d’une manière que les salles de classe ne leur enseigneront jamais. Face aux suspensions imminentes, aux fonctionnaires dominants des universités et aux fusils militaires, ils font preuve d’une profonde compassion pour leurs semblables.

Mohammed El-Kurd écrit que pour dire la vérité sur le cri de ralliement « Nous sommes tous des Palestiniens », nous devons être prêts à incarner véritablement la condition palestinienne de résistance et de sacrifice. Les étudiants organisateurs du monde entier risquent l’arrestation, la sécurité de l’emploi, le logement dans certains cas, et le prestige universitaire parce qu’ils comprennent qu’aucune de ces choses n’a plus de valeur qu’une vie humaine singulière. Et les étudiants qui mettent tout en jeu pour la liberté n’ont plus rien à craindre.

Nous oublions que ces mouvements étudiants sont un microcosme des meilleurs éléments de la société dans son ensemble. Pendant un certain temps, certains ont même froncé le nez devant la façon idéalisée dont les étudiants voyaient le monde. Mais les étudiants sont ce que nous sommes lorsque nous sommes entourés d’une communauté, de connaissances et du sentiment de faire partie de quelque chose de bien plus grand qu’une seule personne. Les mouvements étudiants nous rappellent que la libération est en fait collective.

C’est pourquoi nous gardons les yeux rivés sur Columbia et sur tous nos campus universitaires, aujourd’hui plus que jamais, alors que la résistance étudiante grandit et se heurte à l’empire. Nous nous tournons vers eux avec espoir, parce que les étudiants nous rappellent que nous pouvons rêver d’un monde juste. Ils nous rappellent qu’il faut maintenir le cap.

Le personnel de l’administration des universités ne comprennent pas que les étudiants activistes ont entrevu un avenir remarquable dans lequel la libération de la Palestine est possible. Les étudiants construisent cet avenir avec chaque manifestation, chaque référendum sur le désinvestissement, chaque bras lié, chaque chant de protestation et chaque keffieh brandi fièrement au-dessus de leurs quads kakis.

Soutenez le campement de Columbia en suivant Columbia Students for Justice in Palestine (@sjp.columbia) et Columbia University Apartheid Divest (@cuapartheiddivest).

Nushrat Nur est une photographe de mouvements sociaux, une écrivaine et une professionnelle de la santé publique. Elle espère voir une Palestine libre de son vivant.

Source : Mondoweiss

Traduction ED pour l’Agence Média Palestine

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