Comment la « Big Tech » américaine soutient le génocide et l’apartheid israéliens propulsés par l’IA

En extension de la puissance impériale étatsunienne, les entreprises technologiques outre-Atlantique se montrent avides pour soutenir les atrocités israéliennes.

Par Michael Kwet, le 12 mai 2024

Un contre-manifestant tenant un drapeau israélien entre dans le parking près d’une manifestation dans les bureaux de Google Cloud à Sunnyvale en Californie, le 16 avril 2024 [File : Reuters/Nathan Frandino]

Peu de temps après les attaques du 7 octobre contre Israël, le PDG de Google, Sundar Pichai, a publié une déclaration sur les réseaux sociaux par laquelle il exprimait sa sympathie aux Israélien-ne-s sans mentionner le peuple palestinien. D’autres responsables de la « tech » – notamment de Meta, Amazon, Microsoft et IBM – ont également offert leur soutien à Israël.

Depuis lors, ils sont restés largement silencieux alors que l’armée israélienne a massacré près de 35 000 Palestinien-ne-s, dont plus de 14 500 enfants, détruit des centaines d’écoles et toutes les universités, et dévasté des maisons palestiniennes, des infrastructures de santé , des mosquées et des sites patrimoniaux .

Pour parvenir à un niveau aussi choquant de destruction, l’armée israélienne a été aidée par des programmes d’intelligence artificielle (IA) conçus pour proposer des cibles avec peu de surveillance humaine. On ne sait pas exactement dans quelle mesure les géants technologiques étrangers sont directement impliqués dans ces projets, mais nous pouvons affirmer avec certitude qu’ils fournissent une grande partie de l’infrastructure de base nécessaire à les bâtir, notamment des puces informatiques avancées, des logiciels et du cloud computing .

En plein milieu de ce génocide assisté par l’IA, les « Big Tech » aux USA mènent tranquillement leurs activités habituelles avec Israël. Intel a annoncé un investissement de 25 milliards de dollars dans une usine de puces située en Israël, tandis que Microsoft a lancé une nouvelle région Cloud « Azure » dans le pays.

Rien de tout cela ne devrait surprendre. Depuis des décennies, la Silicon Valley soutient le régime apartheid d’Israël, en fournissant la technologie de pointe et les investissements nécessaires à l’alimentation de son économie et à l’occupation de la Palestine.

Tout comme elles l’ont fait en Afrique du Sud au XXème siècle, les plus grandes entreprises technologiques basées aux États-Unis voient aujourd’hui une opportunité de profiter de l’apartheid israélien – un sous-produit du colonialisme numérique poussé en avant par les États-Unis.

Un génocide assisté par l’IA

Les entreprises de la « Big Tech » ont été complices de l’occupation, de la dépossession, et des abus de la population palestinienne par Israël de diverses manières. La plus connue d’entre elles est sans doute sa contribution à la surveillance israélienne de la population autochtone occupée.

En mars 2021, Google et Amazon ont signé un contrat de 1,2 milliard de dollars pour des services de cloud computing pour le gouvernement israélien et pour le département de la Défense. Les deux sociétés fournissent à Israël la capacité de stocker, traiter et analyser des données, notamment la reconnaissance faciale, la reconnaissance des émotions, la biométrie et les informations démographiques dans le cadre dudit Project Nimbus.

L’accord a reçu une attention considérable dans les grands médias après que les travailleurs de Google et d’Amazon ont exigé la fin du contrat en lançant la campagne No Tech for Apartheid. Anticipant cette réponse, Google et Amazon ont signé un contrat avec Israël garantissant la continuité des services en cas de campagne de boycott. Jusqu’à présent, ils continuent de fournir à Israël des services de cloud computing.

Les détails concernant Nimbus sont cachés au public, mais les employé-e-s de Google ont alerté sur la participation de Nimbus aux massacres militaires israéliens déjà insufflés par l’IA. Ces inquiétudes ont été amplifiées par des informations selon lesquelles l’armée israélienne utiliserait un nouveau système alimenté par l’IA, « Lavender » ou « The Gospel » par exemple, pour décider des cibles de son bombardement sur Gaza. Selon un ancien responsable des renseignements israéliens, « The Gospel  » facilite la mise en œuvre d’une « usine d’assassinats de masse » où « l’accent est mis sur la quantité et non sur la qualité ».

Parallèlement, des rapports récents ont révélé que Google travaille directement avec le ministère israélien de la Défense, malgré le génocide en cours. La société permet également aux forces israéliennes d’utiliser son service de reconnaissance faciale, Google Photos, pour scanner les visages des Palestiniens et Palestiniennes à travers tout Gaza afin d’étoffer sa « liste noire » dystopique.

La Silicon Valley et la surveillance au service de l’apartheid

Pourtant, le génocide assisté par l’IA n’est que la pointe de l’iceberg. Pendant des décennies, les entreprises technologiques et les investisseurs étatsuniens ont discrètement aidé et encouragé le système israélien d’apartheid numérique. IBM — qui fut par ailleurs le principal fournisseur d’ordinateurs pour le bureau de l’état civil du régime de l’apartheid sud-africain et le système de passeport amélioré utilisé pour trier les gens par race et imposer la ségrégation –  reste un des exemples les plus odieux.

Selon Who Profits, un centre de recherche indépendant qui se consacre à exposer l’implication commerciale dans l’occupation israélienne des terres et des populations de la Palestine et de la Syrie, « IBM a conçu et exploite le système Eitan de l’Autorité israélienne de la population, de l’immigration et des frontières [Population, Immigration and Border Authority ou PIBA]… où les informations personnelles, collectées par Israël, relatives aux peuples palestinien et syrien occupés, sont stockées et gérées. » Le système contient des informations collectées via la base de données nationale sur la population israélienne ainsi qu’aux frontières et aux principaux points de contrôle.

La PIBA fait également partie du système de permis israélien qui oblige les Palestinien-ne-s de plus de 16 ans à porter une carte « intelligente » faisant figurer leur photographie, leur adresse, leurs empreintes digitales et d’autres identifiants biométriques. Tout comme dans le système de passeport de l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid, les cartes servent également de permis dont dépendent les droits des Palestinien-ne-s à traverser les points de contrôle israéliens quelle que soit la raison – le travail, le regroupement familial, les rituels religieux, les voyages à l’étranger ou autres.

Microsoft, de son côté, a fourni un espace de cloud computing pour l’application Almunasseq utilisée par l’armée israélienne pour délivrer des permis aux Palestinien-ne-s dans les territoires occupés. Dans le passé, il détenait également une participation dans la société de surveillance AnyVision (rebaptisée Oosto), qui fournit des services de reconnaissance faciale en temps réel aux autorités israéliennes. D’autres sociétés, telles que Hewlett Packard, Cisco et Dell, fournissent des technologies aux autorités militaires et carcérales israéliennes.

Accroître la supériorité technologique d’Israël

Outre ce qu’il apporte à l’appareil de surveillance israélien, la Silicon Valley fournit également un soutien essentiel au secteur des affaires israélien, en l’aidant à maintenir et à développer une économie moderne de haute technologie.

Par exemple, Amazon, Google et Microsoft ont tous lancé d’importants centres de cloud computing en Israël, offrant aux entreprises l’infrastructure essentielle aux produits et services basés sur des données. Intel est le plus grand employeur privé du pays, y ayant démarré ses activités en 1974.

Avec des centaines d’autres multinationales, Microsoft héberge son propre centre de recherche et développement (R&D) en Israël et a lancé un centre de développement de puces à Haïfa. Nvidia, le géant des puces, valant des milliards de dollars, qui alimente la révolution de l’IA, a également annoncé qu’il étendait ses opérations de R&D déjà importantes en Israël. La liste est sans fin.

Les investisseurs en capital-risque sont également essentiels à la croissance du secteur technologique local en Israël, qui abrite 10 pour cent des « licornes » mondiales (des entreprises valant au moins 1 milliard de dollars), représente 14 pour cent des emplois et génère environ 20 pour cent du PIB du pays. Depuis 2019, 32 milliards de dollars ont été investis dans des entreprises israéliennes, dont 51 % sont dirigées ou codirigées par des investisseurs basés aux États-Unis.

La complicité des grands réseaux sociaux

Les sociétés qui dirigent les réseaux sociaux ont également prêté main forte à l’apartheid et à l’occupation israélienne. En 2022, un rapport externe commandé par Meta a révélé que les politiques dictant le droit d’expression de Facebook et d’Instagram discriminent contre les Palestinien-ne-s. Ces pratiques de longue date de censure flagrante des propos palestiniens en ligne se poursuivent encore aujourd’hui.

En décembre, Human Rights Watch a rapporté que Meta continue de réprimer les publications pro-palestiniennes sur Facebook et Instagram. Sur les 1 050 cas examinés, 1 049 concernaient des contenus pourtant pacifiques mais favorables à la Palestine qui ont été censurés ou supprimés – et un retrait de contenu pro-israélien. L’entreprise envisage même de censurer le mot « sioniste ».

D’autres organisations sont accusées de censurer les voix pro-palestiniennes, notamment X (anciennement Twitter), YouTube et même TikTok, pourtant une propriété chinoise. Les gouvernements occidentaux, notamment les États-Unis et l’Union européenne, ont fait pression sur les grandes sociétés propriétaires de réseaux sociaux pour qu’elles examinent et censurent les contenus jugés « terroristes » ou favorables à la Palestine.

La censure provenant de la « Big Tech » s’étend bien au-delà de l’utilisateur quotidien des réseaux sociaux. Les organisations politiques comme le Hamas sont interdites par les géants des médias sociaux. Pendant ce temps, l’armée israélienne, le gouvernement et d’autres organes du terrorisme d’État israélien, postent librement et jouissent d’un large soutien.

Colonialisme numérique

Il n’est pas surprenant que les grandes entreprises technologiques basées aux États-Unis se portent partenaires avec et investissent en Israël, soutenant ainsi ses activités génocidaires et d’apartheid.

Les grandes sociétés technologiques sont l’équivalent moderne de la Compagnie anglaise des Indes orientales qui a sévi du 17è jusqu’à la fin du 19è siècle; elles représentent une extension de la puissance impériale américaine. Elles colonisent l’économie numérique mondiale et renforcent le fossé entre le Nord et le Sud. Ce faisant, les États-Unis profitent de leur hégémonie sur des infrastructures et des savoirs numériques comme ils profitent de l’extraction des ressources du Sud.

Le colonialisme numérique est ancré dans l’ADN des grandes technologies. Ses relations étroites avec l’armée israélienne sont non seulement lucratives, mais servent également les intérêts géopolitiques plus larges de l’Empire américain, dont Israël aussi bénéficie.

Le soutien apporté à Israël par la « Big Tech » démasque ces entreprises et démolit leur image de sociétés prônant l’antiracisme et les droits de l’homme. En réalité, elles sont complices des crimes israéliens, tout comme les autres organes servant l’impérialisme américain. Nous assistons alors, en fait, à un apartheid américano-israélien, une conquête coloniale et un génocide, le tout alimenté par les géants américains de la technologie.

Mais de la même façon que les États-Unis et d’autres gouvernements occidentaux ressentent la pression des poursuites judiciaires engagées contre eux pour le rôle qu’ils jouent dans le génocide à Gaza, les entreprises occidentales ne sont pas en reste et la ressentent aussi. Les géants américains de la technologie portent clairement la responsabilité de ce qui se passe en Palestine. Ils sont du mauvais côté de l’histoire, tout comme ils l’étaient lors de l’apartheid en Afrique du Sud. Avec suffisamment de pression populaire, les collaborateurs de la « Big Tech » trouveront bientôt leur place devant les tribunaux.

Michael Kwet est chercheur invité du Projet sur la société de l’information à la faculté de droit de Yale et chercheur postdoctoral à l’université de Johannesburg en Afrique du Sud. Il est l’auteur de « Digital colonialism: US empire and the new impérialism in the Global South », et anime le podcast Tech Empire. Son travail a été publié sur Motherboard, Wired, BBC World News Radio et Counterpunch. Il a obtenu son doctorat en sociologie à l’Université de Rhodes, en Afrique du Sud.

Source : Al Jazeera

Traduction BM pour l’Agence Média Palestine

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