Les bombardements israéliens incessants ont rendu les grossesses et les accouchements tout à fait impossibles à Gaza.
Par Noor Yacoubi, à Gaza le 16 juin 2024
Ce n’est vraiment pas la vie qu’Israa avait imaginée pour sa petite fille lorsqu’elle a appris qu’elle était enceinte à la fin du mois de mai de l’année dernière. Comme la plupart des futures mères, elle espérait acheter des couvertures douces et colorées pour son petit ange Rushdi, ainsi que d’autres articles tels que des chaussettes et des jouets d’éveil.
Mais pendant la majeure partie de sa grossesse, Israa, qui n’a donné que son prénom, n’a cessé de se déplacer, contrainte de renoncer aux achats pour bébé et de fuir à pied, de façon précaire, d’un abri à l’autre, pour tenter d’échapper aux frappes aériennes israéliennes et à l’invasion des soldats israéliens.
« Je n’avais jamais imaginé que je donnerais naissance à mon premier enfant loin de chez moi et entourée de frappes aériennes », explique la jeune mère à Middle East Eye. Au milieu de ce qui aurait dû être une cause de joie et de célébration, Israa dit être surtout amenée à penser à la mort.
Le service de néonatalogie où elle a accouché dans le sud de Gaza est rempli de cris des nouveau-nés, dont beaucoup sont de grands prématurés, alors que des explosions dues aux frappes aériennes israéliennes retentissent à proximité, ébranlant les fondations du bâtiment. De nombreuses jeunes mères présentes à l’hôpital Emirates de Rafah paraissent décharnées et inexpressives, la fatigue, la peur et les traumatismes ayant depuis longtemps remplacé les célébrations qui accompagnent habituellement la naissance d’un enfant.
« Les frappes aériennes israéliennes ont touché les environs de l’hôpital des Émirats alors que j’étais à l’intérieur en train d’accoucher », déclare Israa. « L’endroit où j’ai accouché était dépourvu de toute forme d’assainissement et d’hygiène. Pourtant, je ne pouvais pas blâmer l’hôpital car les pressions exercées sur les médecins et les infirmières dépassaient leurs capacités. »
La guerre d’Israël contre Gaza, qui en est à son neuvième mois, a rendu l’enclave presque invivable pour ses 2,3 millions d’habitants palestiniens. Plus de 37 000 personnes ont été tuées, dont une grande majorité de femmes et d’enfants. Des milliers d’autres sont portées disparues ou présumées mortes sous les décombres. Les Palestiniens déplacés sont également entassés dans des zones de plus en plus étroites de la minuscule enclave côtière, ce qui provoque des épidémies et des maladies, auxquelles les enfants mal nourris sont particulièrement vulnérables.
Les pires jours de ma vie
Les conditions de vie des Palestiniens étant de plus en plus difficiles, les gestes les plus élémentaires des nouveaux parents, comme changer la couche d’un enfant, sont devenus un luxe, et de nombreuses mères et personnes s’occupant d’enfants ont recours à des couches en tissu. Aujourd’hui, au lieu de trouver des biberons, du lait maternisé et des aliments pour bébés, ils doivent lutter contre les maladies et le manque croissant de nourriture et d’eau.
« Je pense que les cinq premiers mois de ma grossesse ont peut-être suffi à compenser ce qui allait arriver plus tard », a déclaré Israa. Peu après l’accouchement, sa famille a été forcée de partager une petite pièce avec plus de 17 personnes, entraînant l’infection d’Israa par le coronavirus, qui s’est ensuite transmis à son nouveau-né. « Au lieu de prendre mon petit enfant dans mes bras, j’ai dû le laisser dans la couveuse, le regardant loin de la fenêtre pendant près de deux semaines. Cela a été les pires jours de toute ma vie ».
Les bombardements israéliens incessants ont rendu les grossesses et les accouchement sans danger totalement impossibles à Gaza. En décembre, trois mois seulement après le début du conflit, l’International Rescue Committee a déclaré qu’il y avait au moins 155 000 femmes enceintes ou allaitantes à Gaza qui couraient un risque élevé de malnutrition.
Maha, une autre mère, raconte à MEE : » Ma famille se moquait de moi en disant que chaque enfant que je portais semblait lié à une nouvelle guerre. Son premier enfant, Kinda, est né pendant la guerre israélienne de 2021 contre Gaza. Environ 250 Palestiniens, dont des dizaines de femmes et d’enfants, ont été tués lors de ce conflit.
Depuis le 7 octobre, Maha, qui n’a donné que son prénom, a été déplacée de sa maison dans le quartier Sheikh Radwan de la ville de Gaza et contrainte de se réfugier avec plus de 50 membres de sa famille dans un bloc d’appartements exigus. Maha dit que la cuisine où elle est restée, avec sa petite fenêtre solitaire, est devenue le « coin le plus sûr » de la maison, un témoignage sinistre de l’incertitude de leur situation. « Les nuits se passaient recroquevillés sur le sol, avec la peur constante des frappes aériennes qui dominaient la scène », ajoute-t-elle.
Menace de famine
Malgré les bombardements et les tirs d’artillerie incessants, Maha a dû faire face à une autre menace : la famine. La farine étant absente des marchés et les produits frais rares, elle a lutté pour se nourrir et nourrir son enfant à naître. « Je survivais avec de maigres rations de pain, de riz et de haricots », raconte Maha. « En conséquence, mon enfant ne pesait que 2,6 kg à la naissance ». Selon les Nations unies, un bébé pesant moins de 2,5 kg à la naissance, quel que soit son âge gestationnel, est considéré comme présentant une insuffisance pondérale à la naissance.
Juste avant l’accouchement, Maha raconte qu’elle a dû faire face à la nécessité urgente d’une césarienne en raison de son état de santé, tout en sachant que les chars israéliens se trouvaient à quelques mètres de l’hôpital al-Sahaba, le seul établissement équipé pour les accouchements dans le nord de la bande de Gaza.
« L’hôpital pouvait être encerclé à tout moment », explique Maha. « Un seul jour de retard aurait pu avoir des conséquences désastreuses. « Je n’oublierai jamais ce jour-là. En entrant dans la salle d’opération, je ne savais pas si j’allais mourir de l’accouchement ou d’un missile israélien ».
À son réveil de l’anesthésie, on lui a demandé de quitter l’hôpital, car les médecins craignaient que les chars israéliens ne l’encerclent à tout moment. Au milieu de la peur et avec un nouveau-né, Maha a eu la chance d’avoir accès à la voiture d’un parent, contrairement à d’autres qui ont dû recourir à des moyens de transport primitifs, principalement des charrettes tirées par des animaux.
Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là. Quatre jours seulement après l’accouchement, les forces israéliennes menaçaient d’envahir l’endroit où Maha s’était réfugiée, le quartier d’al-Daraj. Elle et son nouveau-né, Oussama, nommé d’après son oncle tué par une frappe aérienne israélienne en octobre 2023, étaient désormais confrontés à une nouvelle vague de déplacements.
« Au lieu de recevoir des soins médicaux et un suivi de mon état de santé, j’ai dû rassembler mes affaires et porter mes deux enfants pour chercher un abri ailleurs », déclare Maha. « Cette fois-ci, c’était encore plus difficile, car j’ai non seulement enduré les douleurs de l’accouchement, mais aussi le déplacement.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Middle East Eye