L’aide humanitaire bloquée et les magasins vidés de leurs produits de base, des dizaines d’enfants palestiniens sont hospitalisés pour malnutrition et anémie aiguë.
Par Ibrahim Mohammad, 18 juin 2024
Lorsque Saeed Darwish, 10 mois, essaie de pleurer, il n’est plus capable d’émettre un son. Ses yeux enfoncés et sa peau pâle témoignent de son estomac douloureusement vide : il n’a pratiquement pas mangé depuis des semaines. Le nord de la bande de Gaza étant à nouveau confronté à de graves pénuries de nourriture, d’eau et de lait maternisé en raison du siège israélien et des bombardements militaires en cours, Saeed est l’un des nombreux enfants palestiniens dont le corps dépérit sous l’effet de la famine.
Les médecins de l’hôpital Kamal Adwan, dans la ville de Beit Lahia, affirment que Saeed souffre de fatigue sévère, d’émaciation et d’anémie. Son père, Khalil, est assis à son chevet, attendant avec angoisse que l’état de Saeed s’améliore ; son cœur est déchiré par la douleur et l’impuissance d’être incapable de soulager l’affliction de son fils.
» Mon enfant se réveille en pleurant toutes les nuits à cause d’une faim extrême, mais je ne trouve rien à lui donner à manger « , a raconté Khalil à +972. « Tout ce que je peux lui apporter, ce sont des morceaux de pain – et même cela se raréfie.
Khalil craint que Saeed ne vienne s’ajouter à la liste de plus de 30 enfants palestiniens de Gaza morts de malnutrition et de déshydratation au cours des derniers mois. En mars, le nord de la bande de Gaza a été déclaré en proie à une famine imminente. Aujourd’hui, selon l’Organisation mondiale de la santé, « une proportion significative » de l’ensemble de la population de Gaza connaît « une faim catastrophique et des conditions proches de la famine ». Rien qu’à l’hôpital Kamal Adwan, 50 enfants sont actuellement traités pour malnutrition sévère.
La rareté de l’aide humanitaire entrant dans la bande de Gaza implique la perte d’accès aux produits de première nécessité pour de nombreuses familles. Dans le nord, « il n’y a ni riz, ni légumes, ni farine », explique Khalil. « Si l’un de ces produits est disponible [sur le marché], son prix est insensé. La majorité de la population n’a pas les moyens de se les procurer. Pour ne rien arranger, la mère de Saeed a été blessée lors de la dernière invasion israélienne de Jabalia et ne peut pas allaiter.
Sur un autre lit, près de Saeed, se trouve Mahmoud Safi, 18 mois, qui souffre d’anémie due à la malnutrition. « La maladie ravage impitoyablement le corps de mon petit enfant », a déclaré Mustafa, le père de Mahmoud, « je ne sais pas comment faire face à ses cris. »
Mahmoud n’est pas le seul enfant de sa famille à être malade : deux de ses trois frères et sœurs ont contracté l’hépatite A après avoir bu de l’eau contaminée. » Où est la faute des enfants dans cette guerre, pour qu’ils se couchent et se réveillent affamés ? » demande Mustafa.
« Cela fait des mois que nous n’avons pas eu de légumes, d’eau potable ou de farine », poursuit-il. « En février, nous avons été contraints de manger de la nourriture pour animaux et des feuilles. Nous espérons que nous ne reviendrons pas à ce stade. »
La faim nous détruit, moi et mes enfants.
La famille d’Ahmad Obaid, originaire du quartier Tal al-Zaatar de Jabalia, fait partie de celles qui ont été contraintes de manger de l’herbe et des feuilles au cours des derniers mois pour survivre. Cela fait maintenant quatre jours qu’ils sont à nouveau privés de nourriture et leurs visages commencent à montrer des signes d’épuisement.
« Ma famille et moi sommes en vie, mais nous ne sommes pas bien », raconte Obaid à +972. Il emmène actuellement ses deux enfants, Khalil, 3 ans, et Jihad, 5 ans, à l’hôpital Kamal Adwan tous les jours afin de recevoir un traitement contre l’anémie aiguë. « La faim nous détruit, moi et mes enfants, et la situation empire de jour en jour », a-t-il déclaré.
En mai, Israël a rouvert le point de passage Erez/Beit Hanoun et a ouvert un autre point de passage dans le nord, ce qui a permis à une partie de l’aide d’atteindre les zones les plus touchées par la famine. « Les marchés se sont rétablis pendant quelques jours et divers biens et produits ont été acheminés », se souvient M. Obaid. Mais aujourd’hui, après la dernière offensive brutale d’Israël dans le nord de la bande de Gaza, M. Obaida prévient que « la crise est de retour ».
Dans le camp de réfugiés de Jabalia, les marchés sont pratiquement vides de nourriture et d’autres produits. Ismail Al-Hassi, un homme de 37 ans vivant dans le camp, a raconté à +972 qu’il se rend au marché tous les jours à la recherche de provisions pour sa famille, mais rien n’est arrivé depuis environ un mois.
La fille de M. Al-Hassi, Nour, âgée d’un an, souffre de problèmes digestifs depuis sa naissance et a besoin d’un type spécifique de lait maternisé pour gérer son état – qui est désormais introuvable sur les marchés locaux. Au fur et à mesure que son état se détériore, son corps s’émacie.
« Nous ne mangeons qu’un repas par jour », explique M. Al-Hassi. « Parfois, nous nous privons de pain afin de l’économiser pour les jours à venir ». Lorsqu’ils sont disponibles, les légumes sont de plus en plus inaccessibles : selon M. Al-Hassi, un kilogramme d’oignons coûte désormais 350 shekels (plus de 90 dollars), tandis que les poivrons se vendent 560 shekels (150 dollars). « D’autres légumes ont complètement disparu des marchés. Les conserves sont vendues près de 20 fois leur prix d’origine, ce qui est inabordable pour la majorité de la population ».
Selon le ministère de la santé de Gaza, 3 500 enfants risquent actuellement de mourir de faim. Le système de santé de la bande de Gaza étant décimé, et en l’absence d’un cessez-le-feu immédiat et d’un afflux d’aide humanitaire dans la bande, la situation des enfants de Gaza est de plus en plus critique.
Traduction : JB pour l’agence Media Palestine
Source : + 972 magazine