De nombreux·ses patient·es pensaient se rendre aux Émirats arabes unis ou en Turquie pour y être soignés, mais les évacuations médicales depuis l’Égypte ont diminué depuis le printemps.
Par Dania Akkad, Sondos Shalaby et Ragip Soylu, le 27 août 2024
Des centaines de Palestinien·nes atteint·es de cancer et évacué·es vers l’Égypte pendant la guerre de Gaza ne reçoivent aucun traitement médical ou reçoivent des soins limités dans les hôpitaux égyptiens, révèle Middle East Eye.
Selon une enquête menée par l’organisation caritative Towards Hope and Peace, basée à Gaza, au moins 361 Palestinien·es atteint·es de cancer affirment ne pas recevoir l’assistance médicale dont ils et elles ont besoin après avoir quitté la bande de Gaza pour l’Égypte.
De nombreux·ses patient·es et membres de leur famille, dont MEE a interrogé une douzaine, ont déclaré qu’on leur avait affirmé avant de quitter Gaza qu’ils et elles seraient emmené·es dans des pays tiers, notamment les Émirats arabes unis et la Turquie, pour y être soigné·es. L’Égypte, qui a accueilli environ 6 000 patients palestiniens de Gaza dans ses hôpitaux depuis octobre dernier, n’était censée être qu’une étape sur le chemin.
Pourtant, les médecins et le personnel des ONG affirment que les évacuations médicales de patient·es palestiniens à partir de l’Égypte ont diminué depuis ce printemps, laissant de nombreux·ses patient·es bloqué·es dans des établissements dépourvus de cancérologues, d’équipements ou de médicaments nécessaires.
« Nous sommes laissées seules et abandonnées ici », a déclaré à MEE Linda Abu Mansi, une photographe de 24 ans qui s’occupe désormais de sa sœur de 19 ans, Hend, atteinte d’un cancer du sein. Quatre jours avant les attaques menées par le Hamas contre Israël en octobre dernier, sa sœur devait être opérée d’une tumeur de 12 cm au sein. Cette opération n’a jamais eu lieu. Après qu’Israël a commencé à attaquer Gaza, la maison familiale située dans le camp de réfugiés de Maghazi, dans le centre de Gaza, a été détruite, tout comme l’université où sa sœur étudiait la médecine.
En mars, les deux sœurs ont quitté leur famille. On leur a déclaré que Hend irait se faire soigner aux Émirats arabes unis, raconte Linda. Six mois plus tard, Hend n’a toujours pas reçu de soins depuis son arrivée à l’hôpital de Suez pour les maladies thoraciques. Elle souffre d’hémorragies utérines graves et constantes et n’est plus capable de parler tant elle est faible. « Une délégation des Émirats arabes unis est venue une fois à l’hôpital. Un médecin a été choqué et lui a déclaré : « Je suis désolé » », raconte Linda.
Latifa Muhanna, 49 ans, atteinte d’un cancer du sein, a compris qu’elle allait se faire soigner en Turquie lorsqu’elle a quitté Gaza sans vêtements ni argent en février. Arrivée en Égypte, Latifa Muhanna a indiqué qu’elle avait subi une chimiothérapie et une intervention chirurgicale pour retirer une tumeur, mais après l’opération à l’hôpital central Deyerb Negm, au nord du Caire, tous les soins ont été interrompus.
Les médecins se sont appuyés sur les anciens scanners qu’elle avait apportés de Gaza au lieu d’en prendre de nouveaux après l’opération. « Cela fait trois mois que je n’ai pas pris de chimiothérapie. J’ai peur que le cancer se propage à nouveau », a déclaré Muhanna.
« Les chanceux·ses »
Malgré leur situation désastreuse, les médecins affirment que ces patient·es peuvent être considérés comme des chanceux·ses. Sobhi Skeik, médecin et directeur général du seul centre anticancéreux de Gaza, l’hôpital de l’amitié turco-palestinienne, affirme qu’il reste au moins 10 000 Palestinien·nes atteint·es de cancer dans l’enclave, où les attaques israéliennes ont détruit le système de santé.
Skeik, dont l’hôpital a été bombardé en octobre, se trouve actuellement en Égypte. Selon lui, parmi les 6 000 patient·es palestinien·nes de Gaza que l’Égypte a accueillis, au moins 1 500 souffrent de maladies graves, dont le cancer.
Le système de santé égyptien, en particulier les établissements publics, était déjà en difficulté avant que des milliers de patient·es palestinien·nes ne soient accueilli·es pour être soigné·es. « Les Égyptiens essaient de faire de leur mieux pour les patient·es de Gaza, mais ce n’est pas l’idéal en regard de leurs capacités », a-t-il déclaré.
« Nous dispersons nos patient·es dans différents hôpitaux en fonction de la capacité d’accueil de ces derniers. Leurs hôpitaux sont débordés par ces patient·es ». Mais le principal problème, selon Skeik et d’autres personnes impliquées, est une approche décousue qui voit Israël décider quels patients obtiennent des autorisations de sécurité pour quitter Gaza. Il n’y a pas non plus de coordination internationale, ou très peu, pour mettre en relation les patients qui quittent Gaza avec les pays les mieux placés pour leur fournir des soins.
Belkis Wille, directrice associée de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch, a passé les derniers mois à faire des recherches et à écrire sur les évacuations médicales des Palestiniens de Gaza. Elle déclare à MEE que les Palestiniens viennent en Égypte parce qu’ils ont reçu « le feu vert de la sécurité, et non parce que l’Égypte a un lit et le traitement pour vous en fonction de ce que vous avez. »
« Si l’Égypte n’est pas en mesure de traiter leur cancer, il y a vraisemblablement de nombreux pays capables de le traiter, et ils devraient donc se rendre dans les pays qui peuvent les traiter au lieu de rester en Égypte », explique-t-elle.
Au début de la guerre, des missions médicales ont permis à des centaines de patient·es palestinien·nes de quitter Gaza pour l’Égypte avant de poursuivre leur voyage vers les Émirats arabes unis, la Turquie et le Qatar pour y être soigné·es. Mais ces vols ont été interrompus. Si d’autres pays, dont l’Italie, la Belgique et, plus récemment, la Malaisie, ont accueilli quelques personnes évacuées, il s’agissait en général d’un nombre relativement restreint de personnes. De nombreux autres États, arabes et occidentaux, n’ont pas pris le relais. En outre, la priorité a souvent été accordée aux blessé·es de guerre plutôt qu’aux Palestinien·nes atteint·nes d’un cancer ou d’une maladie chronique et nécessitant des soins à plus long terme.
« Nous remercions vraiment l’Égypte qui accepte de traiter nos patient·es », déclare Skeik. « Nous n’avons pas d’installations pour les traiter à Gaza. Merci à l’Italie. Merci à la Belgique. Merci à de nombreux pays. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de système du tout. Les patient·es restent en Égypte. Aucun pays ne les prend en charge. Mon message au monde entier est le suivant : que faites vous ? »
« Un véritable désastre »
Plusieurs mois après le début de la guerre, Isam Hammad, trésorier de l’association Towards Hope and Peace, raconte que lui et d’autres directeur·ices de l’association ont été contacté·es par des patient·es palestinien·nes atteint·es d’un cancer et se trouvant en Égypte, qui avaient du mal à se faire soigner.
Pour tenter de mesurer l’ampleur du problème, ils et elles ont demandé à plus de 600 patient·es palestinien·nes en Égypte avec lesquels ils et elles étaient en contact de remplir un formulaire Google détaillé s’ils et elles estimaient ne pas recevoir de traitement ou un traitement insuffisant pour leur cancer.
En trois jours seulement, ils ont reçu des réponses de 361 personnes concernant plus de 50 établissements différents. « Ce que j’ai vu avec mes collègues est un véritable désastre », raconte Hammad. « Le cancer a un protocole. On ne peut pas simplement donner au patient·e certains médicaments et ne pas lui en donner d’autres. Cela ne fonctionne pas comme ça. »
De nombreux·ses patient·es ont indiqué qu’ils et elles se trouvaient dans des établissements dépourvus d’unités d’oncologie ou de médecins spécialistes capables de poser un diagnostic ou de prescrire le traitement adéquat. D’autres ont déclaré qu’il y avait des pénuries de médicaments nécessaires ou que l’équipement était défectueux.
MEE ne cite pas les noms des patient·es, ni les établissements où ils séjournent, afin de protéger leur vie privée.
« Au début, le traitement était disponible », note une patiente d’une quarantaine d’années atteinte d’un cancer du sein dans l’enquête. « Mais depuis le mois dernier, l’Égypte souffre d’une grave pénurie de médicaments et mon traitement n’est plus disponible. »
Six patient·es de cinq établissements différents ont déclaré qu’on leur avait déclaré qu’ils et elles avaient besoin d’un scanner, mais qu’ils et elles n’avaient pas pu le passer en raison d’une pénurie de colorant de contraste.
Une femme d’une cinquantaine d’années atteinte d’un cancer du côlon a dû attendre trois mois pour passer un scanner, a rapporté son fils. « Après l’examen, on a découvert qu’il y avait une tumeur dans le foie à cause du retard dans le traitement », a-t-il écrit.
D’autres ont déclaré avoir subi un test ou un dépistage, mais avoir attendu les résultats pendant des semaines ou des mois.
Un adolescent devait se rendre dans un hôpital spécialisé de Ramallah le 8 octobre 2023 pour y être soigné d’un faible taux de plaquettes sanguines et d’une hypertrophie du foie et de la rate qui avait déjà déconcerté les médecins de trois autres hôpitaux. Mais, comme pour tant d’autres cas documentés dans l’enquête de l’organisation caritative, son traitement a été retardé par les attaques contre Israël le 7 octobre et la guerre qui a suivi. En février, il est arrivé dans un hôpital du Caire avec cinq autres membres de sa famille, qui vivent désormais tous dans l’établissement. « Nous ne connaissons pas encore le diagnostic ni le traitement approprié », ont-ils écrit au début du mois.
D’autres ont indiqué qu’ils et elles étaient sortis de l’hôpital, mais qu’ils et elles avaient besoin d’un traitement plus poussé.
Une femme âgée atteinte d’un cancer du sein a déclaré qu’elle avait été orientée vers une radiothérapie. « J’ai été confinée à l’hôpital sans avoir rencontré le médecin une seule fois », a-t-elle écrit. « Il a ensuite décidé que ce traitement n’était pas nécessaire et j’ai quitté l’hôpital. »
Une autre patiente atteinte d’un cancer du sein a déclaré qu’à Gaza, elle recevait une dose mensuelle de Zoladex, un médicament d’hormonothérapie. En Égypte, elle n’a reçu qu’une dose au cours d’un séjour de trois mois à l’hôpital. « Je n’ai pas demandé à partir, mais après avoir administré une dose de Zoladex, les médecins ont décidé de stabiliser mon état et de me faire sortir de l’hôpital », écrit-elle. Lorsqu’elle est retournée à l’hôpital pour essayer d’obtenir une autre dose, elle a été refoulée.
La femme a déclaré qu’elle essayait maintenant de payer ses traitements à titre privé, mais qu’elle avait du mal à payer les médicaments ainsi que le loyer et la nourriture pour elle et sa nièce, ajoutant qu’elle vivait dans une douleur constante.
Hammad a déclaré que de nombreux autres patient·es qui disent ne pas recevoir de traitement l’ont contacté dans les semaines qui ont suivi la date limite fixée pour remplir le formulaire. « Jusqu’à aujourd’hui, je reçois encore des personnes qui veulent soumettre leur nom », a-t-il déclaré. « Tout ce que je veux, c’est mettre fin aux souffrances de ces patients sans défense. »
Arrêt des évacuations
En novembre, quelques semaines seulement après le début de la guerre, les Émirats arabes unis se sont engagés à accueillir et à soigner 1 000 patient·es palestinien·nes atteint·es de cancer à Gaza. Le même mois, le ministre turc de la santé de l’époque, Fahrettin Koca, a déclaré que la Turquie accueillerait elle aussi 1 000 patient·es, « en particulier des cancéreux traités à l’hôpital de l’amitié turco-palestinienne à Gaza ».
Bien que les deux pays aient accueilli des centaines de patient·es, les travailleur·euses humanitaires et les médecins ont déclaré à MEE qu’aucun des deux pays n’avait évacué le nombre de patient·es qu’ils souhaitaient avant que les évacuations ne cessent au départ de l’Égypte il y a plusieurs mois. Les Émirats arabes unis évacuent désormais les patient·es directement depuis Gaza.
Le Qatar, le troisième pays a accueillir le plus grand nombre de patients palestiniens avec les Émirats arabes unis et la Turquie, a également cessé les évacuations depuis l’Égypte. MEE croit savoir que le Qatar s’est principalement concentré sur les patient·es souffrant de brûlures et de problèmes orthopédiques, et non sur les patient·es atteints de cancer, afin d’utiliser au mieux ses ressources en matière de soins de santé.
La raison pour laquelle les évacuations depuis l’Égypte ont cessé n’est pas claire. Les ministères des affaires étrangères émirati et qatari et l’Organisation mondiale de la santé n’ont pas répondu aux demandes de commentaires. Les ministères de la santé turc et égyptien se sont refusés à tout commentaire.
Mme Wille a indiqué qu’elle avait demandé aux autorités égyptiennes, lors d’une visite en avril, pourquoi les évacuations émiraties avaient cessé et qu’elles avaient répondu qu’elles ne le savaient pas.
« Nous leur avons demandé quand une nouvelle délégation des Émirats arabes unis et d’autres pays d’accueil pourrait venir identifier les patients à prendre en charge, mais ils ne l’ont pas su », déclare-t-elle.
Le sort de centaines de malades du cancer en Égypte, comme Hend, qui sont désormais à l’abri des bombes mais dont l’avenir est incertain, est en suspens. Depuis une chambre d’hôpital à Suez, où elle est restée sans interruption pendant six mois, sa sœur Linda dit qu’elles espèrent que les Émirats arabes unis les contacteront bientôt.
Mais elle n’est pas sûre que cela se produise. « Seuls ceux qui ont des contacts peuvent sortir », dit-elle. « Nous n’avons aucun contact. Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’emmener ma sœur à l’étranger. Elle est jeune et a besoin de poursuivre son éducation et sa vie. »
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Middle East Eye