Le « Handala » et son petit équipage sont partis d’Oslo, en Norvège, avec un grand objectif : défier, et même briser le siège de Gaza. Si nous n’y sommes pas encore parvenus, nous avons néanmoins participé à faire connaître l’histoire de la Palestine.
Par John Soos, le 22 septembre 2024
En avril de cette année, j’ai rejoint l’équipage du Handala pour la première étape de son voyage au départ d’Oslo, en Norvège. Le Handala est un ancien navire de pêche norvégien de 18 mètres. Il fait partie de la Coalition internationale de la flottille de la liberté (FFC) qui, depuis 2010, fait naviguer des navires pour contester le blocus illégal et inhumain d’Israël sur Gaza. Comme Handala a commencé à naviguer pour les enfants de Gaza en avril 2023, il s’agit de la deuxième année de cette campagne. Les objectifs de notre voyage actuel étaient doubles. La destination finale prévue était la bande de Gaza assiégée et occupée — actuellement soumise à des bombardements quasi constants, Israël poursuivant ses atrocités barbares et génocidaires à l’encontre d’une population civile captive. Le petit bateau et son petit équipage visaient haut : défier et même briser le siège de Gaza. Les Palestinien·nes qui y résident sont privé·es de tous leurs droits fondamentaux et sont contraint·es de vivre dans des conditions dangereuses et inhumaines par un régime colonial raciste et dominateur, depuis bien trop longtemps. Il est temps de mettre fin à ces conditions odieuses, illégales et déshumanisantes. Ce que nos gouvernements ont refusé de faire, l’équipage de notre navire pour Gaza avait l’intention de l’accomplir.
Tout au long de notre voyage, qui nous a conduit·es dans de nombreux ports européens, notre deuxième objectif principal était de faire passer le message que la justice et les droits de l’homme devaient être respectés pour le peuple palestinien, en particulier en cette période de grande douleur, de chagrin et de traumatisme. Nous avons exigé un cessez-le-feu immédiat et permanent et avons exprimé haut et fort l’impératif évident d’arrêter le génocide. Avec ces objectifs en tête, nous avons pris part à des conférences de presse, fait des présentations et participé à des manifestations de grande ampleur dans toutes les villes que nous avons visitées.
Comme les enfants représentent près de la moitié de la population de Gaza et qu’en raison de la fragilité de leur esprit et de leur corps en développement, elles et ils sont particulièrement susceptibles de souffrir de séquelles physiques et psychologiques irréversibles dues à la violence politique massive à laquelle ils sont sans cesse soumis, le Handala s’est concentré sur la nécessité urgente de protéger les enfants palestinien·nes. C’est pourquoi la mission du Handala a été baptisé « Pour les enfants de Gaza ». Nos objectifs, d’une manière générale, étaient donc de faciliter les changements sociaux et politiques indispensables en sensibilisant le public au sort des enfants de Gaza et en insistant auprès de nos gouvernements pour qu’ils respectent leurs obligations en vertu du droit international et exigent qu’Israël mette fin à son siège à Gaza.
L’année 2024 a été marquée par deux missions internationales de la coalition de la flottille de la liberté (FCC). Le premier projet, le plus important, s’intitulait « Briser le siège » et il s’agissait d’une mission d’aide humanitaire d’urgence. Plusieurs navires d’aide avec des centaines d’observateurs des droits de l’homme transportant 5 000 tonnes d’aide humanitaire devaient partir d’Istanbul en avril 2024. Malheureusement, dans le contexte du siège meurtrier et du génocide en cours à Gaza, les forces soutenant Israël ont prévalu et, simultanément, le mépris total des Palestinien·nes assiégé·es, bombardé·es et affamé·es ; le navire n’a pas été autorisé à naviguer de la Turquie à Gaza. C’est une honte !
La deuxième mission de la FCC était celle du Handala. Sa mission, telle que décrite ci-dessus, consistait à mettre en lumière les effets catastrophiques du siège, de l’occupation et du génocide sur la vie des enfants palestinien·nes. Ces deux missions s’inscrivent dans le cadre d’une campagne maritime internationale de longue date dont l’objectif est de fournir de l’aide et de s’opposer au blocus illégal, inhumain et mortel imposé par Israël depuis 17 ans.
Le navire sur lequel j’ai navigué porte le nom du célèbre personnage de bande dessinée politique de Naji Al-Ali, Handala. Handala est un enfant réfugié palestinien de dix ans qui se tient toujours dos au spectateur. Cet enfant résilient et plein de ressources représente tou·tes les Palestinien·nes qui ont été déplacé·es de force par le projet colonial israélien. Cet enfant dépossédé, mais déterminé et courageux, ne se retournera pour nous faire face que lorsqu’il pourra enfin retourner dans le pays dont il a été chassé. Aujourd’hui encore, les réfugié·es palestinien·nes et leurs descendant·es ne sont pas autorisé·es par les forces israéliennes à retourner dans les maisons dont elles et ils ont été expulsé·es par la force. En revanche, des colonisateur·ices juifs israéliens du monde entier sont non seulement autorisé·es à accéder librement à la Palestine historique, mais ces « colons » autoproclamés sont encore encouragés par des incitations financières à s’installer dans des colonies illégales, réservées aux juifs et protégées militairement sur des terres palestiniennes volées. C’est une honte !
Pour moi, l’aspect le plus gratifiant et le plus significatif de notre voyage de solidarité a sans doute été les petites interactions que j’ai eues avec les personnes qui nous ont accueilli·es dans les différents ports d’escale. Je n’oublierai jamais la joie et l’appréciation qu’ils ont exprimées en réponse à leur acceptation inconditionnelle en tant qu’êtres humains précieux dont la dignité inhérente a été défendue et embrassée. Par exemple, cet épisode m’a suffisamment conforté dans l’idée que notre voyage était vraiment important. Un groupe d’enfants s’est approché de moi à Bremerhaven, en Allemagne, avec une bouteille remplie de messages et de dessins qu’elles et ils avaient faits et nous a demandé de la jeter à la mer alors que nous approchions de Gaza. Elles et ils m’ont dit leur espoir que les enfants de cette région comprendraient qu’elles et eux aussi sont aimé·es et ne sont pas abandonné·es par le monde extérieur ! L’innocence et la gentillesse de cette belle action de solidarité sont inspirantes et inoubliables.
Après des adieux énergiques à l’embarcadère d’Oslo, nous avons navigué vers Göteborg, Helsinborg et Malmö, en Suède. Notre arrivée à Malmö a été particulièrement fructueuse car elle a coïncidé avec le tollé général suscité par les organisateurs de l’Eurovision pour avoir permis à Israël de participer au concours musical et au festival de cette année, alors même qu’Israël massacrait des dizaines de milliers d’innocent·es dans la bande de Gaza. Comment un événement célébrant la danse, la musique et la gaieté peut-il inclure des membres d’un État d’apartheid perpétrant des crimes de guerre brutaux ? Nous nous sommes joint·es à des milliers de militant·es et avons défilé dans les rues avec nos drapeaux « Ship to Gaza » pour joindre nos voix à l’indignation collective. Notre célébration énergique de la vie et de la liberté a vigoureusement protesté contre l’obscénité d’associer la musique à la violence politique et au meurtre de masse.
Un spectacle saisissant a accueilli notre équipage sur le quai de Malmö alors que nous étions en train de nous amarrer. Une jeune troupe d’acteur·ices palestinien·nes a donné vie à certains des événements horribles qui se déroulent à Gaza, y compris l’enregistrement d’un reportage par la voix désormais familière de la jeune vidéaste et journaliste palestinienne Bisan Owda, dont les reportages personnels sur Instagram documentent avec force la vie quotidienne à Gaza. Elle a récemment été nominée pour un Emmy Award — malgré les efforts d’une campagne sioniste visant à l’exclure de la compétition pour l’allégation habituelle et totalement absurde selon laquelle rapporter des crimes contre l’humanité est en quelque sorte antisémite. Une scène étonnante de leur performance m’a fait fondre en larmes, tout en renforçant la conviction que notre mission est d’une telle importance, en particulier en cette période d’urgence inégalée. Après la mise en scène troublante d’un bombardement aérien, nous voyons une petite fille tuée par une bombe israélienne ayant détruit sa maison. Son père, assommé par un chagrin inconsolable, porte le petit corps enveloppé dans un linceul blanc. L’esprit de la fillette martyre apparaît inopinément au père en pleurs et le réconforte en lui disant qu’ici, au ciel, tout est paisible et beau, qu’elle ne souffre pas et qu’elle n’a pas peur. « S’il te plaît, Papa, ne sois pas triste. »
De Malmö, nous avons navigué jusqu’à Copenhague, au Danemark, où l’équipage du Handala a de nouveau été accueilli par des foules massives et solidaires. De Copenhague à Strande, en Allemagne, nous avons navigué pendant 23 heures sans escale. Ce segment comprenait le passage par le canal de Kiel de 98 km de Strande à Bremerhaven, en Allemagne. C’est au cours de cette partie de notre voyage solidaire que j’ai eu un aperçu des complexités techniques de la navigation de notre navire, puisqu’on m’a confié le rôle de veille sur le pont de minuit à 3 heures du matin. Heureusement, il y avait peu d’autres bateaux à surveiller, le pilote automatique fonctionnait parfaitement et je n’ai donc pas eu à réveiller le capitaine pour obtenir des conseils d’urgence.
Ce n’est que lorsque nous sommes entré·es en Allemagne que nous avons été confronté·es à l’hostilité et à la négativité des autorités. Le contraste entre l’accueil joyeux et l’étreinte collective et affectueuse que nous avons ressenti de la part des habitants de Bremerhaven, en Allemagne, et la réaction rigide de la police à notre égard était saisissant et troublant. Le gouvernement allemand a fait du soutien inconditionnel à Israël une question de « Staatsräson » ou « raison d’État ». Cette attitude rigide et fasciste est au cœur de l’identité du pays, en raison de la culpabilité collective non résolue qui découle des actes génocidaires commis par le pays à l’encontre des Juif·ves pendant la Seconde Guerre mondiale. Le fait que ce même État apporte aujourd’hui, paradoxalement, un soutien diplomatique et matériel à un autre génocide, commis cette fois par Israël, ne semble pas avoir d’importance pour celles et ceux qui sont au pouvoir. On nous a déclaré que la phrase « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre » incorporée dans une peinture murale sur le côté tribord du Handala était strictement illégale en Allemagne. On nous a ordonné de l’enlever sous peine d’être arrêté·es. Expliquant que nous ne pouvions tout simplement pas peindre tout le côté de notre navire pour un séjour de deux jours dans le port, nous avons accepté un compromis : recouvrir le slogan de libération criminalisé. Finalement, nous avons remporté une petite victoire en recouvrant la phrase d’un grand drapeau palestinien !
La joie que nous avons apportée à la communauté palestinienne locale nous a fait chaud au cœur et a été réciproque. On peut facilement imaginer à quel point les Palestinien·nes vivant dans ce cadre politique incroyablement unilatéral, déshumanisant et pro-sioniste, étaient heureuses·eux de nous voir naviguer dans leur port en véhiculant de l’amour, de l’acceptation compatissante et de la solidarité politique. Un soir, l’équipage a quitté le bateau pour aller dîner en ville et j’étais seul à bord à m’occuper d’Handala. Très vite, une cinquantaine d’habitant·es sont venus visiter le bateau pour une fête improvisée. Les gens avaient apporté des instruments de musique et de la nourriture délicieuse. Nous avons dansé. Les enfants ont chanté. Nous avons scandé des slogans de libération. Cet élan spontané de fierté culturelle et communautaire m’a rappelé une fois de plus que le « petit bateau qui pouvait » remplissait sa mission d’innombrables façons, parfois totalement imprévisibles et heureuses.
J’ai quitté le navire en Allemagne après deux semaines de navigation en Norvège, en Suède, au Danemark et en Allemagne. Un nouvel équipage de militan-ets des droits de l’homme, dévoué-es, compatissant-es, épris de paix et de justice, solidaires de la Palestine et originaires de pays du monde entier, est remonté à bord du Handala, qui a continué à naviguer vers plus de vingt-cinq ports d’Europe avant d’atteindre Malte.
Malheureusement, le Handala a dû temporairement mettre fin à son voyage à Malte à la fin du mois d’août 2024. On a estimé que le vieux navire de pêche n’était plus en mesure de naviguer en toute sécurité dans les eaux dangereuses entre Malte et Gaza. Les deux missions 2024 de la coalition internationale de la flottille de la liberté, « Pour les enfants de Gaza » et « Brisez le siège », ont donc été temporairement retardées avant d’achever leurs missions respectives. Cela ne signifie pas du tout que le « petit navire qui pouvait » n’a pas pu le faire, mais seulement que, pour des raisons de sécurité et de logistique, lui et ses grand·es frères et sœurs ont dû se consolider avant de repartir.
L’objectif reste le même : mettre fin au siège de Gaza ! Arrêter le génocide ! Libérer la Palestine ! Quand le moment sera venu, je serai prêt à reprendre la mer.
John Soos est psychologue clinicien et militant de la solidarité avec la Palestine à Vancouver, au Canada.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss