Israël a porté l’usage de boucliers humains à un niveau de criminalité inédit

L’utilisation de civils palestiniens comme « appâts humains » à Gaza montre à quel point les pratiques guerrières d’Israël sont empreintes de racisme.

Par Neve Gordon, le 20 octobre 2024

capture d’écran d’une vidéo obtenue par Al Jazeera, qui montre un Palestinien habillé en militaire israélien contraint de marcher dans les décombres d’un bâtiment à Gaza [Capture d’écran/Al Jazeera].

L’utilisation de boucliers humains en temps de guerre n’est pas un phénomène nouveau. Depuis des siècles, les armées forcent les civil-es à servir de boucliers humains. Pourtant, malgré cette longue histoire douteuse, Israël a réussi à introduire une nouvelle forme de couverture à Gaza, qui semble sans précédent dans l’histoire de la guerre.

Cette pratique a d’abord été révélée par Al Jazeera mais, par la suite, Haaretz a publié un article complet sur la manière dont les troupes israéliennes ont enlevé des civils palestiniens, les ont revêtus d’uniformes militaires, ont fixé des caméras sur leur corps et les ont envoyés dans des tunnels souterrains ainsi que dans des bâtiments afin de servir de bouclier aux troupes israéliennes.

« Il est difficile de les reconnaître. Ils portent généralement des uniformes de l’armée israélienne, beaucoup d’entre eux ont une vingtaine d’années, et ils sont toujours en compagnie de soldats israéliens de différents grades », note l’article de Haaretz. Mais en y regardant de plus près, « on s’aperçoit que la plupart d’entre eux portent des baskets, et non des bottes de l’armée. Leurs mains sont menottées dans le dos et leurs visages sont empreints de peur ».

Par le passé, les troupes israéliennes ont utilisé des robots et des chiens dressés munis de caméras sur leur collier, ainsi que des civils palestiniens pour servir de boucliers. Cependant, les Palestiniens utilisés comme boucliers portaient toujours des vêtements civils et pouvaient donc être identifiés comme tels. En habillant les civils palestiniens de vêtements militaires et en les envoyant dans les tunnels, l’armée israélienne a, en fait, modifié la logique même du bouclier humain.

En effet, le bouclier humain a toujours été fondé sur la reconnaissance du fait que la personne qui protège une cible militaire est un civil vulnérable (ou un prisonnier de guerre). Cette identification est censée dissuader le belligérant d’attaquer la cible, car la vulnérabilité du bouclier humain invoque ostensiblement des restrictions morales à l’usage de la violence meurtrière. C’est précisément la reconnaissance de la vulnérabilité qui est la clé de l’efficacité supposée du bouclier humain et qui permet à la dissuasion d’avoir une chance de fonctionner.

En habillant les civils palestiniens d’uniformes militaires israéliens et en les faisant passer pour des combattants, l’armée israélienne dissimule délibérément leur vulnérabilité. Elle les déploie comme boucliers non pas pour dissuader les combattant-es palestinien-nes de frapper les soldat-es israélien-nes, mais plutôt pour attirer leurs tirs et révéler ainsi leur position, ce qui permet aux troupes israéliennes de lancer une contre-attaque et de tuer les combattant-es. Dès que ces boucliers humains, masqués en soldats, sont envoyés dans les tunnels, ils passent du statut de civils vulnérables à celui de chair à canon.

Le fait que l’armée israélienne considère les civil-es palestinien-nes comme sacrifiables n’a rien de surprenant compte tenu de la forme raciale de gouvernance coloniale à laquelle elles et ils sont soumis depuis des décennies. Ce racisme profondément ancré explique la facilité avec laquelle le président israélien Isaac Herzog a publiquement affirmé qu’il n’y avait « pas de civil-es innocent-es » dans la bande de Gaza, ainsi que l’indifférence prédominante du public juif israélien à l’égard des dizaines de milliers de civil-es palestinien-nes qui ont été tué-es.

En effet, les Israélien-nes n’ont pas été choqué-es lorsque leurs dirigeant-es politiques ont appelé à plusieurs reprises à « effacer » Gaza, à « l’aplatir » et à en faire « la ville de Dresde ». Elles et ils ont soutenu les dommages et la destruction de 60 % de l’ensemble des structures et sites civils de Gaza, ou sont restés apathiques à cet égard.

Dans ce contexte, le fait d’habiller des civils palestiniens en tenue militaire et de les envoyer dans des tunnels sera probablement perçu par la plupart des soldat-es israélien-nes – et par une grande partie de l’opinion publique israélienne – comme un simple détail.

Néanmoins, cette nouvelle pratique du bouclier humain jette un éclairage important sur la manière dont le racisme se manifeste sur le champ de bataille. Elle révèle que l’armée a pris à cœur et mis en pratique les directives racistes du ministre de la défense Yoav Gallant selon lesquelles « nous combattons des animaux humains », exposant ainsi la manière dont les militaires israélien-nes considèrent les Palestinien-nes soit comme des appâts, soit comme des proies. Comme les chasseur-euses qui utilisent de la viande crue pour attirer les animaux à capturer ou à tuer, les troupes israéliennes utilisent les civil-es palestinien-nes comme s’il s’agissait de chair nue dont la fonction est d’attirer leur proie.

Le racisme est également à l’origine du mépris d’Israël pour le droit international. En détenant au hasard des civil-es palestinien-nes – y compris des adolescent-es et des personnes âgées – puis en les habillant de vêtements militaires avant de les forcer à marcher devant les soldat-es, les troupes israéliennes violent non seulement le dispositif juridique interdisant l’utilisation de boucliers humains, mais aussi la clause relative à la perfidie, qui interdit aux parties belligérantes d’utiliser « les uniformes militaires des parties adverses lorsqu’elles se livrent à des attaques ou afin de couvrir, favoriser, protéger ou entraver des opérations militaires ». Deux crimes de guerre en une seule action.

L’horrible vérité, cependant, c’est que peu importe le nombre de preuves qui émergent sur l’utilisation par Israël de cette nouvelle pratique de bouclier humain ou de toute autre violation du droit international, la probabilité que cela change les actions sur le terrain est faible.

L’espoir que le droit international protège le peuple palestinien et lui rende justice a toujours été déplacé, car le racisme colonial – comme l’ont souligné plusieurs juristes critiques, d’Antony Anghie à Noura Erekat – influence non seulement les actions d’Israël, mais aussi l’ordre juridique international, y compris la façon dont la Cour pénale internationale (CPI) rend la justice. Pour avoir un aperçu de ce racisme, il suffit de parcourir le site web de la Cour pénale internationale et de voir qui elle a accepté d’inculper.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position éditoriale d’Al Jazeera.

Neve Gordon est professeur de droit international à l’université Queen Mary de Londres.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Al Jazeera

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