Le nettoyage ethnique du nord de la bande de Gaza, dans le cadre du « Generals’ Plan », n’est pas nouveau ; son seul obstacle désormais est la détermination des 200 000 Palestinien·nes resté·es dans le nord, qui refusent d’être déplacé·es.
Par Qassam Muaddi, le 15 octobre 2024
Cela fait 11 jours qu’Israël a commencé sa dernière offensive contre la partie nord de la bande de Gaza, notamment par le siège complet des villes de Jabalia, Beit Lahia et Beit Hanoun, juste au nord de la ville de Gaza. Ces zones ont été les premières dans lesquelles les forces israéliennes avaient pénétré au début de l’invasion terrestre, il y a près d’un an, et ce sont également les premières zones dans lesquelles l’armée israélienne a déclaré « un contrôle opérationnel total » en prétendant avoir détruit toutes les unités de combat des factions de la résistance palestinienne.
L’assaut israélien en cours comprend une invasion terrestre de la ville de Jabalia et de son camp de réfugié-es, pour la troisième fois en un an. Depuis 11 jours, les forces israéliennes ont imposé un siège à Jabalia et l’ont bombardée avec des tirs d’artillerie intensifs et des frappes aériennes, détruisant les derniers immeubles résidentiels encore debout et coupant la population de la ville de Gaza directement au sud. Les forces israéliennes ont également affronté des combattant-es palestinien-nes. La semaine dernière, la branche armée du Hamas, les Brigades al-Qassam, a publié une vidéo montrant une embuscade dans laquelle ses combattant-es prenaient pour cible un groupe de jeeps et de véhicules blindés israéliens à l’aide d’engins explosifs improvisés et de projectiles anti-blindage, démontrant ainsi leur organisation, leur planification et leurs capacités de combat, un an après qu’Israël ait déclaré avoir détruit toute résistance dans la ville.
Selon la défense civile palestinienne, au moins 350 Palestinien-es ont été tué-es dans le nord de Gaza depuis le début de l’offensive en cours. Mais au-delà des victimes directes des bombardements et des tirs d’artillerie, l’offensive israélienne sur le nord étrangle environ 200 000 Palestinien-nes qui restent chez elles et eux dans la région. Des témoignages de survivant-es à Jabalia ont déclaré à Mondoweiss que leur survie dépend des conserves et de ce qui reste des légumes ou de la viande entrés par le biais de l’aide humanitaire avant le début du siège. Le peu de nourriture qui reste, selon les habitants, est maintenant vendu dix fois plus cher que son prix normal.
L’offensive actuelle d’Israël sur le nord de la bande de Gaza est présentée dans les médias comme une apparente mise en œuvre de ce qui est désormais connu sous le nom de « plan des généraux ». Ce plan repose sur une vision exposée dans deux articles distincts par le général israélien à la retraite Giora Eiland au cours des premiers mois de la guerre. La vision d’Eiland est qu’Israël devrait imposer des conditions invivables aux habitants du nord de Gaza en les affamant et en les forçant à quitter le sud. Quiconque resterait, selon Eiland, serait considéré comme un membre ou un sympathisant du Hamas, et donc comme une cible légitime. L’idée serait de vider le nord de la bande de Gaza de sa population et d’isoler ainsi le Hamas de sa base sociale, le forçant à capituler ou à mourir.
Si Israël n’a pas épargné un seul centimètre carré de la bande de Gaza au cours de l’année écoulée, l’attention qu’il porte au nord de la bande de Gaza, et à Jabalia en particulier, est double. Le nord de la bande de Gaza, en particulier la ville de Gaza, est la zone la plus peuplée de la bande de Gaza, abritant plus de 50 % de la population de la bande. Jabalia est traditionnellement un bastion du soutien au Hamas et s’avère être un endroit où la résistance a été en mesure de se rétablir malgré les frappes massives subies depuis le mois d’octobre dernier. En resserrant l’étau autour du nord de la bande de Gaza et en éliminant le peu de vie qu’il reste, Israël pourra poursuivre son objectif de nettoyage ethnique et d’annexion.
En septembre dernier, plusieurs généraux israéliens ont approuvé la vision d’Eiland et l’ont proposée au gouvernement. Netanyahou a alors déclaré aux législateurs israéliens qu’il envisageait le « plan des généraux », ce qui a été récemment rapporté par AP. Deux semaines plus tard, le siège du nord et l’invasion terrestre de Jabalia ont commencé.
Malgré l’attention médiatique dont ce plan a fait l’objet en tant qu’innovation stratégique israélienne dans la guerre, il n’y a rien de nouveau à son sujet. Il s’agit essentiellement d’une version améliorée de la même stratégie anti-insurrectionnelle qu’Israël pratique depuis qu’il a commencé à combattre les groupes de guérilla peu après sa création. Cette stratégie a été formalisée lors de la deuxième guerre du Liban en 2006 dans le cadre de la « doctrine Dahiya », nommée d’après les destructions massives causées par Israël dans la banlieue sud de Beyrouth et formulée par l’ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, Gadi Eizenkott. La doctrine Dahiya est essentiellement une stratégie de punition collective massive, conçue pour causer des dommages « disproportionnés » aux infrastructures civiles en partant du principe que la population se retournera contre la résistance, ou que la résistance abandonnera.
Le projet dissimulé : la colonisation
Cependant, la vision de Giora Eiland comporte une autre composante qui n’est pas incluse dans la doctrine Dahiya : le transfert forcé de la population par des bombardements constants et la famine, pour la forcer à partir ou à mourir.
Ce n’est pas la première fois qu’Israël tente de mettre en œuvre cette vision depuis le début du génocide de Gaza. Depuis octobre de l’année dernière, Israël a forcé environ un million de Gazaouis à quitter le nord de Gaza et la ville de Gaza pour fuir au sud de Wadi Gaza, la rivière qui sépare la ville de Gaza du centre et du sud de Gaza. Israël a également créé une zone militaire autour de Wadi Gaza, appelée corridor de Netzarim, rendant impossible le retour des Palestinien-nes dans leurs maisons au nord. Israël a insisté pour empêcher le retour et cela a été l’un des principaux points de blocage des négociations en vue d’un cessez-le-feu. Israël maintient cette position, ironiquement, alors qu’il mène une deuxième guerre contre le Liban avec l’objectif déclaré de faire retourner les Israélien-nes dans le nord, en grande partie évacué depuis le début de la guerre en raison du « front de soutien » lancé par le Hezbollah le 8 octobre 2023.
Mais la composante tacite du Plan des généraux dans le nord de la bande de Gaza réside dans le désir d’Israël d’implanter une colonie de peuplement à Gaza – en d’autres termes, de remplacer la population palestinienne par une population de colons israéliens, ce qui signifierait à terme l’annexion proprement dite de la partie nord de la bande de Gaza à Israël.
En janvier, un groupe d’organisations de colons israéliens a organisé une conférence à Jérusalem à laquelle ont assisté des milliers de colons pour exprimer leur demande d’être autorisés à s’installer à Gaza. Lors de cette conférence, Daniela Weiss, figure de proue de la ligne dure du mouvement des colons, clamait dans son discours que « ni le Hamas, ni l’OLP, ni l’ONU, ni l’UNRWA, mais seulement les Juifs peuvent gouverner Gaza ». Dans une interview accordée aux médias israéliens, Weiss a appelé à effacer Gaza et à laisser les Israéliens s’y installer « pour qu’ils puissent voir la mer ». La conférence a été suivie par le ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, l’un des principaux alliés du Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui soutient Weiss et les demandes des colons.
L’essence de la démarche israélienne
Même cet aspect implicite du plan des généraux n’est pas particulièrement nouveau. Le dépeuplement des terres palestiniennes dans le but de remplacer la population autochtone par des colons est l’essence même du projet sioniste depuis sa création. La stratégie israélienne à Jabalia et dans le nord de la bande de Gaza s’inscrit dans la continuité de ce que le mouvement sioniste a fait en 1948 et qu’il a continué à faire plus progressivement depuis.
Le plan des généraux est le condensé d’une politique coloniale vieille d’un siècle. Haïfa, Yafa, Askalan, Tyberias et Jérusalem-Ouest faisaient partie du nord de Gaza. Aujourd’hui, les collines du sud d’Hébron et la vallée du Jourdain, où les Palestinien-nes n’ont pas le droit de construire ou de faire paître leurs troupeaux et sont attaqué-es par les colons israéliens, sont une version moins intense du nord de Gaza. Les villages bédouins du Naqab, qui ne sont pas reconnus par l’État d’Israël et qui vivent sous la menace constante d’une démolition, sont une autre version du nord de Gaza.
L’inaction des gouvernements du monde, en particulier des États-Unis, pour empêcher la réalisation du Plan des généraux à Jabalia, Beit Hanoun et Beit Lahia suggère que ces gouvernements approuvent le Plan et sa stratégie plus large de nettoyage ethnique génocidaire.
La seule chose qui fait obstacle au Plan des généraux est la détermination de plus de 200 000 Palestinien-nes à rester dans le nord et à refuser d’être déplacés, malgré les bombes, les attaques de drones, la faim et le siège brutal. L’affrontement de ces deux volontés est l’essence même de la guerre pour la Palestine depuis 1948.
Qassam Muaddi est rédacteur spécialiste de la Palestine pour Mondoweiss. Suivez-le sur Twitter/X : @QassaMMuaddi.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss