Le siège de plus en plus violent du nord du pays suscite des soupçons quant aux objectifs de guerre de Netanyahou.
Par Malak A. Tantesh et Julian Borger, le 2 novembre 2024
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Malgré les avertissements de l’ONU et d’autres organisations humanitaires, Israël continue de renforcer son siège dans le nord de la bande de Gaza, mettant en péril la vie de centaines de milliers de Palestinien-nes et soulevant des interrogations quant à l’expansion territoriale du gouvernement Netanyahou comme ultime objectif de guerre.
Les forces de défense israéliennes affirment qu’elles traquent les militant-es du Hamas, mais on soupçonne de plus en plus qu’Israël met en pratique un plan dont il s’était officiellement distancié, connu sous le nom de « plan des généraux ».
Ce plan, nommé d’après les officiers supérieurs à la retraite qui l’ont préconisé, visait à dépeupler le nord de la bande de Gaza en donnant aux Palestiniens-nes qui y sont piégé-es la possibilité d’évacuer les lieux, puis en traitant celles et ceux qui restent comme des combattant-es, en imposant un siège total.
Le gouvernement a insisté sur le fait que le plan n’avait pas été adopté, mais certains soldats des FDI à Gaza, ainsi que des groupes israéliens et palestiniens de défense des droits de l’homme, affirment qu’il est mis en œuvre quotidiennement, mais avec une différence majeure : les Palestinien-nes du nord de la bande de Gaza n’ont pas eu une chance réaliste d’évacuer. Elles et ils sont pris-es au piège.
» Il m’est impossible de quitter ma maison parce que je ne veux pas mourir au dehors. De nombreuses personnes ont perdu la vie loin de leur maison, même dans le sud. La mort est partout », a déclaré Ramadan, un jeune homme de 19 ans vivant à Beit Lahiya et dont la famille a été déplacée sept fois au cours des 13 mois de guerre. « Il y a beaucoup de tirs et toutes sortes de bombardements. Les regroupements sont bombardés, les abris sont bombardés et les écoles sont bombardées. La région est surpeuplée, de sorte que même une petite bombe tue et blesse beaucoup de gens. »
« Même si des gens veulent aller vers le sud, ils ne peuvent pas le faire parce qu’il n’y a pas de route sûre », a ajouté Ramadan.
Les troupes israéliennes au sol ont assiégé trois zones – Beit Lahia, Beit Hanoun et le camp de réfugiés de Jabalia – dans le nord du gouvernorat de Gaza, où l’on estime qu’il y a environ 75 000 personnes. Mais pour la quasi-totalité des 400 000 personnes piégées dans la moitié nord de Gaza, la réalité est qu’il n’y a pas d’échappatoire.
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Philippe Lazzarini, directeur de l’agence de secours des Nations unies Unrwa, a lancé un appel d’urgence le 22 octobre, demandant « une trêve immédiate, même pour quelques heures, afin de permettre un passage humanitaire sûr pour les familles qui souhaitent quitter la zone et atteindre des endroits plus sûrs ».
Les autorités israéliennes, dont la position officielle est de ne pas traiter avec l’Unrwa, de loin la plus importante agence d’aide à Gaza, n’ont pas réagi. « Il ne s’est rien passé lorsque nous avons lancé ce SOS », a déclaré Juliette Touma, porte-parole de l’Unrwa. Lundi, la Knesset a voté l’interdiction totale de l’Unrwa dans les 90 prochains jours.
Le volume d’aide parvenant au nord de Gaza a été fortement limité depuis le début de la guerre le 7 octobre de l’année dernière. Aujourd’hui, les quantités d’aide entrant dans l’ensemble de la bande ont atteint un nouveau seuil, et presque rien n’arrive dans le nord.
L’agence de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, OCHA, a rapporté que, depuis jeudi, « aucune boulangerie ou cuisine publique n’est opérationnelle dans le nord de Gaza, et seuls deux des 20 services de santé et deux hôpitaux restent opérationnels, encore que partiellement ».
« En l’absence d’électricité et de carburant depuis le 1er octobre, seuls deux des huit puits d’eau du camp de réfugiés de Jabalia sont encore fonctionnels, tous deux partiellement », a indiqué l’OCHA.
Dans une déclaration d’urgence vendredi, les responsables de l’OCHA et de 14 autres agences humanitaires des Nations unies et indépendantes ont tiré la sonnette d’alarme, affirmant que la région était au bord du gouffre.
« La situation qui se déroule dans le nord de Gaza est apocalyptique », indique l’appel. « L’ensemble de la population palestinienne du nord de Gaza court le risque imminent de mourir de maladie, de famine et de violence. «
Les derniers établissements de santé à l’intérieur de la zone assiégée, les hôpitaux Kamal Adwan, al-Awda et indonésien, ont été pris pour cible. La troisième vague de la campagne de vaccination contre la polio a débuté samedi, mais pas pour les enfants piégé-es dans cette zone.
La semaine dernière, l’hôpital Kamal Adwan a été pris d’assaut par les forces de défense israéliennes, ses médecins ont été arrêtés, puis, après le retrait des soldat-es, l’hôpital a été bombardé, détruisant les fournitures récemment livrées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
« L’hôpital Kamal Adwan, qui accueillait des centaines de patients et comptait des dizaines de professionnel-les de la santé, n’est plus qu’une coquille vide », a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’OMS.
La situation n’est guère meilleure à l’hôpital al-Awda. Mohammad Salha, son directeur par intérim, a déclaré : « Il y a une pénurie de carburant : « Il y a une pénurie de carburant, de médicaments, de fournitures médicales et de nourriture. Il n’y a pas d’eau potable dans le nord ».
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Salha ajoute : « Il n’y a pas d’ambulances. Les gens ramènent les blessé-es du terrain à dos d’âne et sur leurs épaules. Certain-es meurent dans la rue parce que personne ne peut s’occuper d’elles ou eux, ou parce qu’elles ou ils ont été déplacé·es de la mauvaise manière ».
Les lits des services d’hospitalisation, de maternité et autres sont tous remplis de patient-es blessé-es par les bombardements, et il ne reste plus qu’un seul chirurgien. Al-Awda n’a plus d’unités de sang O-positif, O-négatif, B-positif ou B-négatif, a déclaré Salha, « donc si des cas arrivent et ont besoin de ces groupes sanguins, ils mourront ».
« Nous lançons de nombreux appels à l’OMS et nous avons reçu une promesse [de livraisons], mais les Israélien-nes refusent d’autoriser une mission à se rendre à l’hôpital », a-t-il déclaré, ajoutant : « Nous ne savons pas comment faire face à cette situation ».
Le « plan des généraux » a été présenté comme un moyen d’utiliser la guerre de siège pour faire pression sur le Hamas afin qu’il libère ses otages israélien-nes. Dans un article paru vendredi dans Haaretz, son principal auteur, le général de division à la retraite Giora Eiland, a défendu ce plan en affirmant que le siège n’était pas un crime de guerre si les civil-es étaient d’abord évacué-es, et que l’occupation serait temporaire, afin d’exercer une réelle pression sur le Hamas.
« Si le Hamas avait compris que ne pas rendre les otages signifiait perdre 35 % du territoire de la bande de Gaza, il aurait fait un compromis depuis longtemps », a écrit M. Eiland.
D’autres analystes ont fait valoir que ce plan n’avait guère de sens sur le plan militaire, le Hamas pouvant se reconstituer n’importe où et revenir plus tard.
Pour ceux qui sont sous le feu de l’ennemi dans le nord de la bande de Gaza, il ne s’agit pas d’une mesure anti-insurrectionnelle. » Tous les gens sont tués sans distinction entre les civil-es et les combattant-es », a déclaré Ahlam al-Tlouli, un homme de 33 ans du camp de Jabalia.
Il a expliqué que son père, sa belle-mère et sa sœur avaient été tué-es par des tireur-ses embusqué-es et que son frère avait disparu depuis le mois de ramadan. « Nous avons eu l’occasion de nous diriger vers le sud, mais nous avons refusé parce que nous savons que les bombardements sont omniprésents et qu’il n’y a pas d’endroit sûr. »
La férocité de ce qui se passe dans le nord de la bande de Gaza a renforcé les soupçons selon lesquels des objectifs plus vastes sont en jeu. Idan Landau, professeur de linguistique à l’université de Tel-Aviv et commentateur politique, a écrit sur son blog, Don’t Die Stupid, que « le but ultime du plan n’est pas militaire mais politique – coloniser Gaza ».
C’est ausi comme ça que Ramadan analyse la situation à Beit Lahiya. Il a déclaré : « J’ai peur que si nous partons, elles et ils ne nous laisseront pas revenir. Elles et ils prendront nos terres et nos maisons et les annexeront à Israël ou les transformeront en colonies ».
Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a appelé mercredi la communauté internationale à faire preuve de fermeté pour empêcher le « nettoyage ethnique » à Gaza, mais les États-Unis et d’autres alliés occidentaux d’Israël se sont jusqu’à présent montrés réticents à utiliser l’effet de levier de leurs livraisons d’armes pour influer sur la politique.
Le 21 octobre, le mouvement radical Nachala a organisé, à l’occasion de la fête de Souccot, un festival intitulé « Préparer la colonisation de Gaza ». Des membres éminent-es du cabinet de Benjamin Netanyahou ainsi que des représentant-es de son parti, le Likoud, y ont assisté. Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a déclaré en se rendant à l’événement que la bande de Gaza faisait « partie de la terre d’Israël », ajoutant que les colonies étaient la seule véritable forme de sécurité.
« Tous les signes indiquent qu’Israël n’a pas l’intention de laisser revenir les personnes déplacées », a écrit M. Landau sur son blog, traduit et republié par le magazine +972. « En ce sens, la destruction du nord de la bande de Gaza ne ressemble à rien de ce que nous avons vu auparavant. »
Malak A Tantesh est une journaliste basée à Gaza.
Julian Borger est le principal correspondant international du Guardian, basé à Londres.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : The Guardian