Gaza : Les Palestiniens hantés par les profanations de tombes et les vols de corps perpétrés par les Israéliens

Beaucoup de Palestiniens en deuil de leurs proches doivent endurer le traumatisme supplémentaire de voir leurs tombes profanées par les soldats israéliens.

Par Maha Hussaini, le 25 novembre 2024

Des Palestiniens se rendent sur les tombes des personnes tuées par les forces israéliennes le 10 avril 2024 dans la bande de Gaza (Reuters/Mahmoud Issa)

Après qu’une frappe aérienne israélienne a tué Alaa al-Sheikh l’année dernière, sa famille l’a enterrée dans un cimetière de fortune près de l’hôpital indonésien dans le nord de Gaza.

L’accès au cimetière principal était devenu impossible en raison de l’intensification des attaques terrestres et aériennes dans la zone.

Les troupes israéliennes ont finalement pris d’assaut les environs de l’hôpital indonésien, où le cimetière temporaire avait été aménagé.

Lorsque la famille est retournée sur le site quelques semaines plus tard, après le retrait israélien, le corps avait disparu.

« Nous voulions déplacer son corps vers le cimetière de Falouja, mais nous avons été choqués de ne trouver ni sa tombe ni son corps », a déclaré Yahya al-Sheikh, le frère d’Alaa, à Middle East Eye.

« L’endroit où son corps avait été enterré était vide, et elle n’était pas la seule », a ajouté cet habitant de Jabalia âgé de 45 ans.

« Il y avait plusieurs corps manquants dans le cimetière, des tombes béantes, et tout le site était en désordre ».

La famille a cherché pendant des jours le corps d’Alaa, en demandant aux habitants des quartiers environnants ce qui s’était passé.

Certains ont confirmé que des troupes israéliennes avaient pénétré dans le cimetière, mais ils n’ont pas pu voir ce que les soldats avaient fait, car toute personne regardant par une fenêtre risquait d’être abattue.

« Nous avons commencé à pleurer, c’était un sentiment déchirant, de douleur et de tristesse », déclare M. al-Sheikh.

« Nous avons interrogé de nombreuses personnes, mais personne ne savait. Certains nous ont dit que les soldats avaient peut-être pris les corps parce qu’il y avait des rumeurs selon lesquelles ils s’étaient emparés de certains d’entre eux. D’autres ont suggéré que les corps étaient peut-être enfouis profondément dans le sol à cause du bulldozer. Mais nous ne savons rien.

« À ce jour, nous n’avons aucune information sur les restes de ma sœur. »

Depuis l’invasion terrestre de Gaza par Israël en octobre de l’année dernière, des preuves de plus en plus nombreuses indiquent que l’armée israélienne a profané systématiquement les cimetières, détruit des tombes au bulldozer, bombardé des lieux de sépulture et exhumé les corps qui s’y trouvaient.

Selon le bureau des médias du gouvernement palestinien basé à Gaza, les troupes israéliennes ont saisi au moins 2 300 corps de Palestiniens décédés dans les cimetières de Gaza depuis le 7 octobre 2023.

Les attaques israéliennes en cours ont également entraîné la destruction totale ou partielle de 19 des 60 cimetières de la bande de Gaza dévastée par la guerre.

La saisie des corps est devenue une nouvelle crainte obsédante pour de nombreux habitants de Gaza, qui n’ont pas encore digéré la perte de leurs proches dans les bombardements israéliens incessants.

Enterrés mais pas en paix

Anhar Ramadan, dont la sœur a été tuée lors d’une frappe aérienne israélienne en novembre dernier, affirme que le corps de sa sœur n’a pas été perdu, mais qu’il a été retrouvé dans une « scène horrible ».

« Ma maison a été bombardée le 5 novembre 2023. Je suis restée sous les décombres pendant quatre heures. Lorsque j’en suis sortie, mon corps était brûlé, ma main gauche était disloquée et le reste de mon corps était brûlé », a déclaré à MEE cette habitante de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, âgée de 41 ans.

« Ils ne m’ont pas immédiatement dit qui avait été tué dans le bombardement. Une semaine plus tard, après leur enterrement, j’ai appris que ma sœur Rabab, ma fille, le mari de ma sœur et son fils avaient été assassinés. »

Quelques semaines plus tard, après avoir commencé à se rétablir, Ramadan a insisté pour se rendre sur les tombes de sa fille et de sa sœur au cimetière al-Qassam de Nuseirat.

« Je suis allée au cimetière et tout allait bien. Et je leur ai rendu visite chaque fois qu’ils et elles me manquaient. J’ai fait cela pendant des mois », a-t-elle déclaré.

Cependant, une incursion israélienne dans la région il y a environ deux mois a changé la situation.

« J’ai décidé de leur rendre visite [après l’incursion] et j’ai découvert une scène horrible. La tombe de ma sœur avait été profanée, elle était ouverte près de sa tête, et sa tête était visible », a-t-elle expliqué.

« J’ai eu l’impression qu’un feu s’était allumé en moi et j’ai pleuré abondamment pendant des jours. Je ne sais pas qui a déterré sa tombe. Son corps était exposé au niveau de la tête, et c’était un spectacle horrible. J’ai appelé mes frères et ils sont immédiatement venus réparer la tombe ».

Une enquête de CNN a révélé qu’en janvier, l’armée israélienne avait profané au moins 16 cimetières lors de son offensive terrestre à Gaza, notamment en ouvrant des tombes et en enlevant des corps, dans le cadre d’une « recherche des restes d’otages saisis par le Hamas ».

Le 25 septembre, Israël a envoyé à Gaza un camion transportant les corps décomposés de près de 90 Palestiniens, sans divulguer de détails sur leur identité ni préciser si certains d’entre eux avaient été saisis dans des tombes.

« Lorsque mon père a été tué, les gens ont essayé de me réconforter en me disant que je n’avais plus à m’inquiéter qu’il meure de faim, qu’il soit blessé ou qu’il soit détenu », a déclaré à MEE Habiba Salama, une femme déplacée de 35 ans qui vit actuellement à Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza.

Son père avait refusé d’être déplacé et avait choisi de rester dans le nord de la bande de Gaza.

« Mais ce n’est pas vrai que je me sens moins inquiète maintenant », a-t-elle ajouté.

« Étant loin de l’endroit où il a été enterré, et ayant constamment entendu et lu que les forces d’occupation israéliennes ouvraient les tombes et enlevaient les corps, je suis terrifiée à l’idée qu’elles puissent s’emparer de son corps. »

Mme Salama affirme que la première chose qu’elle ferait à son retour dans le nord de la bande de Gaza serait de se rendre sur la tombe de son père. Mais elle doute de pouvoir la trouver.

« J’ai peur de ne jamais pouvoir aller le voir. Il est enterré dans un cimetière que personne ne peut atteindre actuellement », dit-elle.

« Pouvez-vous imaginer ? Mon rêve n’est plus de revoir mon père, mais simplement de retrouver son corps dans sa tombe. »

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Middle East Eye

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