Le « Groupe de La Haye » doit devenir une initiative mondiale

La création du Groupe de La Haye est une étape cruciale pour sauver l’ordre juridique international. Davantage d’États doivent suivre pour mettre fin à l’impunité systémique.

Par Francesca Albanese, le 12 février 2025

Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens, assiste à un événement parallèle lors du Conseil des droits de l’homme aux Nations unies à Genève, le 26 mars 2024 [Denis Balibouse/Reuters]



En Palestine, c’est un fait que les abus et les violations du droit international sont devenus la norme. C’est également un fait que l’impunité a été la règle plutôt que l’exception au cours des 76 années qui se sont écoulées depuis la fondation d’Israël. Et pourtant, après 15 mois d’assaut brutal d’Israël contre Gaza et ses plus de 2 millions d’habitants pris au piège, la Palestine est à une étape cruciale. La destruction catastrophique de tout le paysage, la création de conditions de vie destinées à mener à la destruction de la vie, la tentative d’écrasement de la dignité humaine ont inauguré une nouvelle ère : celle du génocide, télévisé et diffusé en direct pour que le monde entier puisse le voir.

Pourtant, ce que nous avons vu à Gaza, et ce à quoi nous sommes de plus en plus confrontés en Cisjordanie, n’est pas seulement une attaque criminelle contre les Palestiniens en tant que peuple, c’est l’érosion de la fonction même de protection du droit international et une dangereuse régression du système multilatéral, créé pour prévenir les conflits et protéger la vie des civils. C’est la création d’un monde sans civils, où tout le monde et tout est soit une cible, soit un dommage collatéral, et donc tuable ou destructible.

Ainsi, après le génocide de Gaza, le droit international se trouve au bord du précipice : si les lois qui ont été écrites comme universelles, pour être appliquées de manière égale aux forts et aux faibles, sont systématiquement violées pour défendre des intérêts géopolitiques particuliers, alors l’ensemble du système juridique international, fondé sur l’égalité de toutes les nations, est menacé, pour tous les peuples.

À la lumière de ces développements, l’initiative tri-continentale lancée à La Haye par neuf États déterminés à tenir Israël responsable de son agression contre l’existence collective des Palestiniens ne pouvait pas être plus opportune. Les engagements pris par le groupe dans le cadre de cet effort collectif (respecter les mécanismes juridiques nationaux suite aux mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale, refuser l’asile et imposer un embargo sur les armes) font partie des obligations les plus fondamentales que tous les États ont en vertu du droit international, compte tenu des crimes commis de longue date par Israël dans les territoires palestiniens occupés. Ces mesures constituent une première étape essentielle vers la résolution de la question palestinienne, ou « conflit israélo-palestinien », conformément au droit international.

Pourtant, une solution ne sera jamais à portée de main tant que l’impunité d’Israël ne prendra pas fin. Malgré les efforts du peuple palestinien et de certains Israéliens engagés, la situation ne peut être changée de l’intérieur d’Israël. Une action internationale est nécessaire.

C’est la tâche qui incombe désormais à tous les États. Ceux-ci ont des responsabilités juridiques contraignantes face aux violations prolongées du droit international, comme c’est le cas de l’occupation et de l’annexion illégales par Israël du territoire palestinien occupé, du régime d’apartheid qu’il a imposé aux Palestiniens et, plus récemment, du génocide à Gaza. Compte tenu de la gravité des actions d’Israël, les États sont appelés à mettre fin à toutes leurs relations économiques, accords commerciaux et relations universitaires avec Israël. De telles relations constitueraient sinon une aide et une assistance à un acte internationalement illicite. En vertu du droit de la responsabilité des États, les États sont tenus de coopérer pour mettre fin par des moyens légaux à la violation en question. En pratique, cela signifie que tous les États membres des Nations unies doivent rompre toutes relations avec Israël tant qu’il continue à opprimer le peuple palestinien. C’est une obligation d’autant plus urgente avec le sursis d’un cessez-le-feu négocié de justesse.

En ce moment crucial, le Groupe de La Haye donne un excellent exemple aux autres États sur la manière dont ils peuvent respecter leurs obligations en vertu du droit international. Les États qui ont adhéré à l’initiative (le Belize, la Bolivie, la Colombie, Cuba, le Honduras, la Malaisie, la Namibie, le Sénégal et l’Afrique du Sud) ont toujours fait preuve d’un engagement constant et fondé sur des principes vis-à-vis de la question palestinienne. Ce sont également des États qui portent les blessures d’un passé colonial douloureux ainsi que de la lutte pour les droits de l’homme qui s’en est suivie. Leur décision crée un précédent important et j’applaudis personnellement ces pays pour leur courage.

Les États qui ont fondé le Groupe de La Haye ouvrent la voie à ce qui doit devenir une mobilisation mondiale en faveur d’une action collective par le biais du droit international : pas d’armes pour le génocide, pas d’aide pour l’occupation et pas de tolérance pour l’apartheid.

Je suis convaincu que d’autres États rejoindront bientôt ce groupe. L’objectif du Groupe de La Haye est de mettre fin à l’exceptionnalisme d’Israël et de veiller à ce que les actions menées par Israël au cours des 15 derniers mois ne deviennent pas la nouvelle norme pour les États dans les années à venir.

De la même manière que les États du monde entier se sont unis pour mettre fin à l’apartheid en Afrique australe, la communauté internationale doit maintenant s’unir pour mettre fin à l’un des régimes d’apartheid les plus brutaux de l’histoire. Si nous voulons sauver l’ordre juridique international et évoluer vers un ordre dans lequel l’impérialisme et la colonisation ne continuent pas à en dicter l’application, la communauté internationale, et les Palestiniens avant tout, doivent voir cette initiative se développer.



Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : The Nation

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