Une équipe de la Défense Civile et des membres du Croissant-Rouge palestinien à Gaza ont disparu alors qu’ils se rendaient à Rafah pour une mission de sauvetage. Une semaine plus tard, les corps de 14 secouristes ont été retrouvés enterrés dans le sable par l’armée israélienne.
Tareq S. Hajjaj, le 31 mars 2025

Des Palestiniens membres de la Défense Civile pleurent leur collègue Anwar al-Attar lors de ses funérailles au centre médical Nasser à Khan Yunis, dans le sud de Gaza, le 28 mars 2025. (Photo : Doaa el-Baz/APA Images)
À l’hôpital Nasser de Khan Younis, Taghreed al-Attar est assise à côté du corps de son mari, qui a été découvert sans vie vendredi dernier à Rafah. Son mari, Anwar al-Attar, était parti à Rafah la semaine précédente avec d’autres secouristes, mais aucun d’entre eux n’est jamais rentré.
Sa femme dit que lorsqu’il n’a plus donné de nouvelle, les gens lui ont dit qu’il avait dû être arrêté par l’armée israélienne. Mais elle raconte qu’il est venu à elle dans un rêve, elle l’a vu au paradis, entouré de rivières et de fruits. Elle ne pouvait alors croire qu’il avait été fait prisonnier.
“ Il n’a jamais manqué un jour de travail depuis le début de la guerre. Il a été blessé trois fois, et tout le monde lui disait d’arrêter de travailler et de se reposer”, explique Taghreed dans une vidéo de Mondoweiss. “ Il disait toujours qu’il devait être un modèle pour ses collègues et qu’il n’arrêterait jamais de travailler et d’apporter du soutien à son peuple. Il a risqué sa vie, en marchant dans les décombres et en extrayant des martyrs. Je suis fière de lui et j’espère que nos enfants seront comme lui.”
Elle raconte qu’il lui parlait souvent des dangers auxquels il était confronté, lui disant que les drones quadricoptères les poursuivaient toujours et parfois leur tiraient dessus. Elle lui demandait s’il avait peur, et lui répondait que Dieu était à ses côtés.
« Anwar a trois filles, dont la plus jeune a quatre ans », dit sa femme.
La semaine dernière, Al-Attar avait été envoyé avec ses collègues de la Défense Civile en mission pour sauver une équipe d’ambulanciers du Société du Croissant-Rouge palestinien (SCRP) qui avait disparue. L’équipe de secours a elle aussi disparu.
Le corps d’Anwar a été retrouvé enterré dans le sable quelques jours plus tard. Ce fut le premier signe que l’armée israélienne avait pris pour cible les équipes de la Défense Civile et de la SCRP à Rafah, a déclaré un porte-parole de la Défense Civile à Mondoweiss.
Quelques jours après avoir trouvé le corps d’al-Attar, des équipes de la Défense Civile ont obtenu l’autorisation de l’armée israélienne de fouiller la zone et ont trouvé 14 cadavres.
Le Ministère de la santé à Gaza a déclaré le 30 mars dans un communiqué que les corps appartenaient à 8 ambulanciers de la SCRP, à 5 membres de la Défense Civile et à une personne dont l’identité reste inconnue. La déclaration indique que les secouristes ont été «exécutés» et «certains d’entre eux ont été retrouvés avec les mains attachées».
Le Ministère a ajouté que certains éléments sur les corps des secouristes montrent qu’ils ont été délibérément pris pour cible. « Certains d’entre eux ont reçu une balle dans la tête et dans la poitrine, et ils ont été enterrés dans des trous profonds pour éviter qu’ils ne soient retrouvés », a déclaré le Ministère.
Lors des funérailles d’al-Attar la semaine dernière, des membres de la Défense Civile, qui ont fait leurs adieux à leurs collègues martyrs avec des larmes dans les yeux, ont témoigné, dans une vidéo de Mondoweiss, du dévouement d’al-Attar à son travail. « Il a effectué son travail de secouriste tout au long de la guerre. Sa mission était de sortir les blessé.es et les martyrs des décombres », déclare Abdul Rahman Ashour, l’un des membres de la Défense Civile qui a retrouvé le corps d’al-Attar de Rafah.
« Le gilet et le casque d’Anwar, qui l’identifiaient comme travailleur de la Défense Civile, ont été perforés par plus de 20 balles », a déclaré Ashour à Mondoweiss. Il a reçu des balles dans la tête et la poitrine, ainsi que dans le bas du corps. Il a été brutalement assassiné. »
L’ambulance de la SCRP qui avait été envoyée à Rafah pour répondre à des appels de détresse a pris feu après avoir été ciblé par l’armée israélienne, explique Ashour. C’est alors qu’al-Attar et son équipe ont été envoyés, avec un véhicule incendie et une ambulance.
« Les équipes d’ambulanciers et de pompiers ont été directement ciblées », raconte Ashour, ajoutant qu’al-Attar et ses collègues avaient été « exécutés sur le terrain ».

Les membres palestiniens de la Défense Civile pleurent leur collègue Anwar al-Attar lors de ses funérailles au centre médical Nasser à Khan Younis, dans le sud de Gaza, le 28 mars 2025. (Photo : Doaa el-Baz/APA Images)
Comment s’est déroulé le massacre des secouristes
Au cours de la semaine précédente, l’armée israélienne avait fait irruption dans diverses zones de la Bande de Gaza, y compris dans le quartier de Tal al-Sultan à Rafah, et plus précisément dans une zone située à l’ouest, communément appelée « al-Baraksat ». Pendant les premiers jours du raid, les résident.es ont témoigné d’horribles exécutions de masse, de jeunes hommes rassemblés dans des fossés et abattus à bout portant, ainsi que des enfants tué.es devant leur mère.
Plusieurs survivant.es qui ont réussi à quitter la région ont corroboré ces témoignages sur Mondoweiss. Cependant Mondoweiss n’avait pas été en mesure de les vérifier, étant donné qu’aucun secouriste n’avait été autorisé à se rendre dans la région. Cela en raison du blocus strict imposé par l’armée israélienne. Depuis, de plus en plus de témoignages de survivant.es et de secouristes ont émergé.
Marwan al-Hams, directeur des hôpitaux mobiles à Gaza, a déclaré par vidéo à Mondoweiss qu’ils avaient reçu des informations selon lesquelles « de nombreux corps et morceaux de corps » se trouvaient à Rafah. « Ce sont les restes d’un groupe de martyr.es », a-t-il déclaré. « Les gens ont essayé de les récupérer mais n’ont pas été en mesure de le faire. Ils les ont simplement couvert.es de sable pour les empêcher d’être mangé.es par des chiens errants.
C’est dans ce contexte que des civil.es pris.es au piège de Tal al-Sultan ont envoyé des appels de détresse à la SCRP et à la Défense Civile dans la zone de Rafah la semaine dernière. Deux véhicules avaient alors été envoyés, et après leur disparition, les deux véhicules conduits par Anwar al-Attar sont partis à leur recherche.
Le sort de toutes les équipes est resté inconnu pendant plus d’une semaine. Au cours de cette période, la SCRP et la Défense Civile ont tenté d’obtenir l’autorisation de l’armée israélienne d’entrer à Rafah afin de rechercher leurs collègues disparus.
Mahmoud Basal, un porte-parole de la Défense Civile dans la Bande de Gaza, raconte que dès que l’équipe d’Attar est entrée dans Rafah, l’armée israélienne a fermé les entrées et les sorties de la ville, assiégeant ainsi les secouristes. C’est à ce moment-là que la communication a été perdue, explique Basal.
« Nous avons exigé que la communauté et les organisations internationales nous aident à obtenir l’autorisation de l’occupation d’entrer dans la région, afin que nous puissions connaître le sort de nos équipes », déclare Basal à Mondoweiss. « Pendant plusieurs jours, nous avons tenté de négocier, mais l’occupation a catégoriquement refusé. »
À la suite de nombreuses demandes, la Défense Civile, le Croissant-Rouge et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) ont obtenu le 27 mars l’autorisation de l’occupation.
« Nous avons enfin pu entrer dans Rafah après de nombreuses souffrances. Et cela pour nous retrouver saisis par l’ampleur du massacre qui s’y était déroulé », raconte Basal. « Les forces d’occupation ont tiré des rafales de balles sur les véhicules du Croissant-Rouge et de la Défense Civile. Les bulldozers israéliens ont même placé des barrières de sable sur la zone [où ils ont été enterrés], ce qui a complètement modifié ses caractéristiques. »
« Sur les lieux tout indique que les forces d’occupation israéliennes ont exécuté les équipes médicales », poursuit Basal, ajoutant que lors des travaux de recherche du 27 mars, les équipes ont identifié le corps d’Anwar al-Attar. « Nous avons essayé de localiser les autres, mais la nuit est tombée et nous a empêché de mener à bien les recherches. »
Trois jours plus tard, les équipes de la Défense Civile ont trouvé le reste des équipes disparues – 14 personnes ont été trouvées enterrées, certaines avec les mains attachées et montrant des impacts de balles dans la tête et la poitrine.
Les équipes de la Défense Civile et du Croissant-Rouge jouissent de l’immunité internationale et sont protégées par le droit international humanitaire, souligne Basal.
«Mais malheureusement, l’occupation a une expérience évidente des massacres. Nous parlons de 105 martyrs de la Défense Civile, qui bénéficiaient tous de l’immunité, mais l’occupation les a tués », explique Basal. « Cela montre que l’occupation n’a pas de ligne rouge et ne respecte pas le droit international ou humanitaire. »
Un communiqué de l’armée israélienne à l’AFP déclare que « quelques minutes » après que les soldats eurent « éliminé plusieurs terroristes du Hamas » en ouvrant le feu sur leurs véhicules, « des véhicules supplémentaires ont avancé de manière suspecte vers les troupes ». La déclaration ajoute que l’armée a tiré « vers les véhicules suspects, éliminant un certain nombre de terroristes du Hamas et du Jihad islamique ».
L’armée a reconnu qu’une enquête initiale avait révélé que « certains » des véhicules étaient des ambulances et des camions de pompiers, ajoutant que l’armée condamne l’utilisation de ces véhicules par des « organisations terroristes » ou à des « fins terroristes ».
Mahmoud Basal nie ces allégations, affirmant que l’occupation cherche à dissimuler le crime en prétendant qu’il s’agissait de combattants du Hamas et du Jihad islamique. Il déclare que la Défense Civile tient l’occupation israélienne pour pleinement responsable du meurtre des secouristes, de la violation du droit international humanitaire et de la perpétration d’un massacre contre du personnel médical et des secouristes, identifiables grâce à leurs gilets oranges.
« L’occupation israélienne a connaissance de ce que représente ce gilet », explique Basal. « L’entrée [des équipes de secours à Rafah] était claire et autorisée, mais l’occupation a commis ce massacre et veut maintenant échapper à l’embarras. »
« Ce qui est arrivé à nos équipes est un massacre à part entière et un crime dont l’occupation doit être tenue responsable par le monde libre et les organisations humanitaires », a ajouté Basal. « Cela aura de graves répercussions, et le monde doit comprendre que ce qui s’est passé à Gaza est une violation flagrante du droit international humanitaire. »
Tareq S. Hajjaj est correspondant Mondoweiss à Gaza, et membre du Syndicat des Écrivain.es Palestinien.nes. Il a étudié la littérature anglaise à l’Université Al-Azhar à Gaza. Il a commencé sa carrière de journaliste en 2015 en tant que rédacteur et traducteur pour le journal local, Donia al-Watan. Il écrit pour Elbadi, Middle East Eye, et Al Monitor. Suivez le sur Twitter : @Tareqshajjaj.
Traduction: LG pour l’Agence Média Palestine
Source: Mondoweiss