Partie 2 – Université de Strasbourg
Les luttes étudiantes sont celles qui ont su, historiquement, inverser les rapports de force au sein d’un mouvement social. Cela explique peut-être pourquoi elles subissent souvent une répression tout aussi spectaculaire. Depuis octobre 2023, les étudiant·es se sont massivement positionné·es en soutien avec la lutte du peuple Palestinien, mais le mouvement peine à trouver un écho, subissant une répression en interne par les directions d’établissement mais également policière et juridique, tout en étant largement silencié par les médias.
L’Agence Média Palestine propose, tout au long du printemps, un vaste dossier qui viendra décrire les luttes spécifiques aux différents campus universitaires et leurs fronts communs, leurs perspectives et leurs obstacles. Pour ce deuxième article, nous avons rencontré une étudiante de l’Université de Strasbourg qui nous fait le récit de 18 mois de mobilisation à toute épreuve.
Par l’Agence Média Palestine, le 25 avril 2025

En raison des graves pressions imposées par la direction de l’établissement sur les militant·es, les étudiant·es rencontré·es ont souhaité nous parler sous le couvert de l’anonymat, nous avons donc modifié les prénoms.
Le Comité Palestine Unistras, dont fait partie Naïma, s’est créé en réaction à la campagne génocidaire d’Israël à Gaza, en novembre 2023. Autonome et porté par les étudiant·es de toutes filières, il a pour vocation de porter la voix de la Palestine au sein du monde académique et porter les revendications propres aux universités.
« L’université de Strasbourg a plusieurs partenariats avec des entités israéliennes, que ce soit des universités ou des laboratoires de recherche. Il y a aussi un Comité Sciences Po Strasbourg qui s’est créé un peu plus tardivement pour dénoncer la question spécifique du partenariat avec l’université de Reichman. » Cette dernière, affirme le Comité, participe à la propagande sioniste et à l’apologie du génocide, autant par le contenu de ses programmes académiques que par les déclarations de son directeur Boaz Ganor, qui s’est dit favorable à la violation des droits humains des Palestiniens.
« Mais tous ces partenariats-là sont directement liés à la présidence de l’université de Strasbourg, qui chapeaute toutes les filières. Il y a aussi l’institut Technion, qui est relié à Strasbourg via une faculté de chimie, et d’autres encore. Depuis le début du génocide, il n’y a plus eu d’échange universitaire parce que c’est matériellement impossible, mais nous ce qu’on demande, c’est la rupture de ces partenariats, à l’image de ce qui avait été fait avec la Russie. » Le parallèle est en effet flagrant : lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Université de Strasbourg avait rompu l’ensemble de ses partenariats universitaires avec l’occupant en moins de trois semaines.
18 mois de lutte quotidienne
« Au début, comme on s’est créé dans l’urgence, on s’est concentré·es sur des actions symboliques, des manifestations, des distributions de tracts pour inciter les autres étudiant·es à rejoindre le comité. On organise des réunions hebdomadaires, et des actions régulières qui répondent à l’actualité. On prend toutes nos décisions collectivement, et on communique principalement à travers notre page Instagram, autant pour mobiliser sur nos actions que pour sensibiliser sur nos revendications. »
Cette plateforme est centrale car, comme observé dans toutes les différentes mobilisations étudiantes pour la Palestine, les actions du Comité Palestine Unistras n’ont que peu de couverture médiatique. Les réseaux sociaux représentent donc un enjeu important pour les militant·es, pour imposer leur narratif.
Les premières actions du Comité se sont concentrées sur des projections documentaires, avec l’objectif d’informer sur l’histoire de la Palestine et de sa lutte. Le comité va aussi travailler à sensibiliser à l’urgence de la situation, par l’organisation de rassemblements sur le campus et la participation à des campagnes et journées d’actions nationales, par exemple avec la campagne Stop Arming Israel en mars dernier, ou en recevant le médecin français Raphaël Pitti, de retour de Gaza. Certaines actions sont également tournées vers un soutien matériel, comme la vente de repas palestiniens ou l’organisation d’un tournois de foot, dont les recettes récoltées ont été envoyées à Gaza. Toutes ces actions sont aussi l’occasion de faire du lien avec d’autres collectifs actifs sur Strasbourg.
Au printemps 2024, alors qu’un mouvement international étudiant commence à voir le jour, le Comité Palestine Unistras décide de s’y inscrire en formant un campement pour la Palestine. Le 13 mai 2024 le campement s’installe en revendiquant la rupture des partenariats avec des universités israéliennes et la mise en place d’un comité d’enquête indépendant au sujet de ces partenariats, mais aussi l’ouverture de places à l’Université de Strasbourg pour les étudiant·es palestinien·nes et la création de liens avec des universités palestiniennes. Pendant deux semaines, ce campement a vu beaucoup d’animations, de rencontres et de débats.
« Ça a été une expérience militante très forte pour beaucoup d’étudiant·es, qui se sont relayé·es pour maintenir une présence constante. Il y avait une belle solidarité, et ça a mobilisé au-delà des étudiant·es : les gens du quartier nous rendaient visite, pour amener de la nourriture ou pour discuter, on a reçu le chercheur Yoav Shemer-Kunz, militant décolonial membre de Tsedek!, qui nous a fait une formation sur l’antisémitisme et l’antisionisme, on a eu la visite d’élus, de l’Imam de la mosquée de Strasbourg… Ça a mobilisé beaucoup. »
Ce campement a également été cible d’une répression inédite et brutale, la direction faisant appel à quatre reprise aux forces de l’ordre afin de déloger une action pourtant pacifiste. Les étudiant·es ont également dû faire face à une menace venue cette fois de l’extérieur, quand leur campement a été la cible d’attaques d’un groupuscule d’extrême droite. En effet une dizaine d’individus cagoulés et gantés, armés de bombes de gaz et de chaînes, ont attaqué le campement des étudiant·es mobilisé·es pour la Palestine.
Ces intimidations ne freinent pas la détermination du Comité Palestine Unistras, qui multiplie et renouvelle sans cesse ses modes d’actions : veillées, lâchers de drapeaux, organisations de lectures, de débats, de repas, d’ateliers créatifs, et bien sûr la participation aux manifestations locales et nationales.
« Filtrer, surveiller et identifier »
Régulièrement et dès le début, les actions du Comité sont entravées par l’administration de l’Université, comme lors la venue du médecin Raphaël Pitti où l’Université interdira l’accès à la salle prévue, obligeant le Comité à délocaliser la conférence hors de l’enceinte universitaire, ou encore la projection du film documentaire « Fedayin », finalement autorisée après plusieurs interdictions. Une conférence de Rima Hassan a fait l’objet de nombreux rebondissements, d’une interdiction à un recours au tribunal administratif (qui donne raison au Comité Palestine Unistras), puis d’une autorisation sous des conditions si contraignantes et dissuasives que les étudiant·es ont fini cette semaine par y renoncer, dénonçant dans un communiqué l’intention de la direction de « filtrer, surveiller et identifier » les personnes présentes à la conférence.
Ce contrôle des étudiant·es participant à la mobilisation pour la Palestine est systématique, le personnel de sécurité contrôle les cartes d’étudiant·es à l’entrée des premières réunions du Comités et prend en photos ses membres.
Au delà de ces entraves, la direction n’hésite pas à réprimer le mouvement en demandant l’intervention des forces de l’ordre. Cela a donc été le cas avec plusieurs évacuations spectaculaires du campement des étudiant·es au printemps dernier : « on a été délogé·es une première fois par la police, qui a procédé à des palpations et des contrôles d’identité. Puis, l’université nous a pris nos tentes. On a par la suite dormi dehors dans nos sacs de couchage. » Ces évacuations, souvent violentes, sont accompagnées de menaces de poursuites judiciaires par la direction.
« La police entre sur le campus comme au café », ironise Naïma, qui affirme que les interventions policières sont désormais monnaie courante, notamment sur le campus de Sciences Po Strasbourg, où un blocage de plusieurs semaines a été violemment réprimé, des étudiant·es brutalisé·es dont un hospitalisé pour un traumatisme crânien.
Autrement que par le biais de la répression, la direction ne s’est pas adressée aux étudiant·es mobilisée·es, nous explique Naïma : « depuis notre création, on a essayé de rentrer en communication avec la présidence, qui a toujours refusé de nous recevoir. Après deux ans d’existence, on n’a pas obtenu ne serait-ce qu’un rendez-vous avec le président de l’Université, ce qui est assez symptomatique d’une forme de censure sur tout ce qui concerne la question palestinienne. »
Le changement de direction récent, qui a vu Michel Deneken remplacé par Frédérique Berrod, n’a pas vu d’amélioration du dialogue avec les étudiant·es. Les étudiant·es dénoncent les méthodes de la direction, ainsi résumées dans leur dernier communiqué : « coercition, violence, et fermeture d’esprit ». « Frédérique Berrod s’inscrit, à l’image de ses prédécesseurs, dans une dynamique de censure. L’histoire se souviendra de son rôle, non pas comme un témoin mais comme une actrice silencieuse de l’effacement d’un peuple. En choisissant la voie de la censure, elle se range du côté de ceux, qui par leur obstruction, ont permis que l’irréparable se perpétue, » souligne le communiqué.
Tenir
« Au bout de deux ans, c’est vrai qu’on observe une certaine fatigue, et certain·es militant·es qui nous disent avoir accumulé trop de retard sur leurs études, » regrette Naïma. « Au début, il y avait une forte indignation et beaucoup de personnes en réunion. Au fil des mois malheureusement, je pense que l’indignation s’est atténuée, peut-être parce qu’il y a eu une forme de désensibilisation aux images, et aussi la frustration de ne pas être entendu·es, de ne pas voir de résultat. Mais notre démarche à aussi évolué en fonction de cela, et maintenant, je le vois presque comme une forme d’héritage, au moins il y a maintenant un Comité pour la Palestine, avec une page Instagram qui documente nos combats et aussi toute la répression qu’on a pu subir. On s’inscrit dans la durée, et aussi on fait du lien avec d’autres collectifs militants, comme le groupe Kanak ou d’autres luttes décoloniales. »
Ces liens permettent de renouveler les forces du collectif et de l’ancrer dans le mouvement de solidarité, que la répression féroce et le silence médiatique tentent de faire taire. « Ce que les médias peuvent faire, c’est déjà de relayer nos propos, sans les instrumentaliser. Et de mettre l’accent sur le fait que les directions d’universités censurent les étudiant·es et travaillent en collaboration étroite avec les services de police et la préfecture, pour faciliter l’entrée des policiers sur les campus, alors que ça aurait été considéré comme scandaleux il y a quelques années, car l’université est censée être un espace de libre expression. Et la nouvelle présidente de l’Université de Strasbourg, Frédérique Berrod, s’inscrit clairement dans cette dynamique répressive. »
