« Elle est en train de mourir sous mes yeux » : Les enfants de Gaza affamés par le siège israélien 

Avec plus de 70 000 enfants hospitalisés pour malnutrition, le blocus israélien sur la bande de Gaza laisse les parents impuissants face à l’agonie de leurs enfants.

Par Ahmed Ahmed et Ruwaida Amer, le 8 mai 2025 

Rahaf Ayad, 12 ans, tient un téléphone montrant une photo d’elle avant la guerre, dans la maison de sa famille à Gaza City, le 2 mai 2025. (Ahmed Ahmed) 



Rahaf Ayad, 12 ans, est si mal nourrie qu’elle peut à peine parler. Ses cheveux tombent. Ses côtes sont saillantes. Elle peut à peine bouger ses membres. Elle cligne lentement des yeux, les paupières lourdes. 

Originaire d’Al-Shuja’iya, dans l’est de la ville de Gaza, Rahaf vit aujourd’hui avec les sept membres de sa famille dans une seule pièce de la maison d’un parent, dans le quartier Al-Rimal de la ville.  

Shurooq, la mère de Rahaf, a expliqué que la santé de sa fille s’est rapidement détériorée en raison du manque de nourriture. « Si quelqu’un la touche, ou si elle essaie de bouger ses bras ou ses jambes, elle se met à crier de douleur », a-t-elle expliqué à +972. « Elle dit qu’elle a l’impression que son corps brûle de l’intérieur. Elle demande du poulet, de la viande ou des œufs, mais il n’y a rien sur les marchés. 

Shurooq et son mari Rani, âgé de 45 ans, sont allés de clinique en clinique à la recherche d’un traitement, de suppléments ou même de conseils, mais le système de santé dévasté de Gaza n’offre que peu d’aide. « Les médecins nous ont dit qu’il y avait des centaines d’enfants comme Rahaf et que la seule chose qui pouvait les sauver était une alimentation adéquate », a-t-elle déclaré. « J’ai acheté des vitamines dans une pharmacie, mais lorsque je suis retournée en acheter une semaine plus tard, il n’y en avait plus ». 

Les frères et sœurs de Rahaf l’aident et s’occupent d’elle : ils la nourrissent, la baignent, l’emmènent aux toilettes et la changent de vêtements. Lorsque la nourriture est disponible, la famille fait passer ses besoins en premier. « Nous ne mangeons que lorsqu’elle a mangé », explique Shurooq. « Lorsque nous avons de l’argent, nous achetons tout ce qu’elle demande. Mais maintenant, il n’y a rien – et quand nous trouvons quelque chose, nous n’avons pas les moyens de l’acheter ». 

Même lorsque Shurooq parvient à trouver et à préparer quelques-uns des rares aliments de base encore disponibles à Gaza, comme le riz, les lentilles ou les pâtes, Rahaf réclame du poulet, de la viande ou des œufs – tout ce qui contient les protéines dont son corps a si désespérément besoin. Finalement, la faim l’emporte et elle mange tout ce qui est disponible. 

« Je lui dis que la frontière va bientôt ouvrir et que je lui apporterai tout ce qu’elle veut », explique Shurooq en retenant ses larmes. « La santé de Rahaf s’effondre de jour en jour. Elle est en train de mourir sous mes yeux, et nous ne pouvons rien faire ». 

Rahaf adore la langue anglaise. Elle rêvait d’étudier l’anglais à l’université et de devenir enseignante. Mais sa vie, comme celle de centaines de milliers d’enfants de Gaza, a été brisée par la guerre israélienne en cours, au point d’être devenue méconnaissable. 

« J’aimerais que mes cheveux reviennent », chuchote Rahaf. « Je veux marcher et jouer avec mes frères et sœurs comme avant ». 

Le tueur silencieux 

Depuis un peu plus de deux mois, Israël empêche toute nourriture, tout bien et tout matériel médical d’entrer dans la bande de Gaza. Les conséquences ont été catastrophiques : selon le bureau des médias du gouvernement de Gaza, plus de 70 000 enfants sont aujourd’hui hospitalisés pour malnutrition aiguë et 1,1 million d’entre eux ne disposent pas du minimum nutritionnel quotidien nécessaire à leur survie. 

Le ministère palestinien de la santé à Gaza a indiqué qu’au 5 mai, au moins 57 enfants étaient déjà morts de complications liées à la malnutrition depuis le début de la guerre, et que 3 500 autres enfants de moins de cinq ans couraient un risque imminent de mourir de faim. 

« Au cours des deux dernières semaines, la famine s’est considérablement intensifiée », a déclaré à +972 le Dr Ahmed Al Faraa, directeur du service de maternité et de pédiatrie de l’hôpital Nasser. « Au cours de cette période, nous avons traité environ 10 enfants souffrant de malnutrition très grave ». 

Le docteur Ahed Khalaf, spécialiste en pédiatrie à l’hôpital Nasser, a récemment déclaré à Al Jazeera qu’ils n’avaient jamais vu de cas de malnutrition aussi graves chez les enfants. « Ils souffrent d’empoisonnement du sang, de défaillance d’organes, de lésions hépatiques et rénales, d’infections bactériennes et microbiennes et d’une immunité affaiblie ». 

Peu après que le ministre israélien de la défense, Israël Katz, a déclaré le 16 avril que « personne ne prévoit actuellement d’autoriser une quelconque aide humanitaire à Gaza », les organisations locales et internationales distribuant de l’aide alimentaire, qui constituaient autrefois une bouée de sauvetage pour des centaines de milliers de personnes, ont commencé à fermer leurs portes les unes après les autres. Le 25 avril, le Programme alimentaire mondial a annoncé qu’il avait épuisé ses derniers stocks de nourriture. Le 7 mai, la World Central Kitchen a annoncé qu’elle « n’avait plus de quoi préparer des repas ou cuire du pain à Gaza ». 

« Le siège de Gaza est le tueur silencieux des enfants et des personnes âgées », a déclaré Juliette Touma, porte-parole de l’UNRWA, lors d’une conférence de presse le 29 avril. « Nous avons un peu plus de 5 000 camions chargés de fournitures vitales qui sont prêts à entrer. Cette décision [de ne pas les laisser entrer] menace la vie et la survie des civils à Gaza, qui subissent également des bombardements intensifs jour après jour ». 

« Tous les gens que je connais sont fauchés » 

Ibrahim Badawi, 38 ans, a besoin d’au moins quatre kilos de farine par jour pour nourrir sa famille de neuf personnes. Ces jours-ci, il a du mal à trouver ne serait-ce qu’un kilo. « Je me sens impuissant lorsque mes enfants me demandent du pain et que je n’ai rien à leur donner », a-t-il déclaré à +972. « Parfois, je souhaite que mes enfants et moi mourions ensemble dans une frappe aérienne – pour ne pas avoir à souffrir de la faim et de cette agonie continue ».  

Badawi, qui a été déplacé de Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza, vit dans un abri de fortune fait de bâches et de couvertures sur le rivage de la ville de Gaza. Depuis qu’Israël a rompu le cessez-le-feu en mars, Badawi n’a pas reçu un seul colis de nourriture. 

Ibrahim Badawi et ses enfants, sous la tente familiale dans la ville de Gaza, le 4 mai 2025. (Ahmed Ahmed) 

 
Badawi et sa femme, ainsi que leur fils aîné Mustafa, 15 ans, ont pris l’habitude de se coucher le ventre vide pour que les plus jeunes puissent manger les petites portions de riz ou de lentilles qu’ils et elles reçoivent occasionnellement de la cuisine communautaire. « Mon plus jeune, Abdullah, qui a quatre ans, pleure de faim en disant qu’il a mal au ventre. Je lui mens en lui disant que j’apporterai bientôt de la farine pour qu’il puisse dormir », déplore Badawi. 

Mais même si la farine était disponible, Badawi ne pourrait pas se l’offrir. Jusqu’à la fin du mois de mars, la plupart des habitants de Gaza ont survécu en stockant du pain et des conserves, alors que les prix montaient en flèche. La crise s’est ensuite aggravée : lorsque les 26 boulangeries du Programme alimentaire mondial ont fermé en raison de la pénurie de farine et de carburant, la farine blanche est devenue hors de prix. Un sac de 25 kilos de farine blanche, qui coûtait 30 NIS (8,30 dollars) avant la guerre, coûte aujourd’hui la somme astronomique de 1 500 NIS (416 dollars). 

« J’ai souvent emprunté de l’argent à mes voisins et à mes amis pour acheter de la farine », explique M. Badawi. « Mais aujourd’hui, toutes les personnes que je connais sont fauchées. Mes enfants souffrent de coliques et d’indigestions. Si cette famine se poursuit, nous mourrons tous de faim ».  

« Ni Israël, ni le Hamas, ni le monde ne se soucient de nous » 

Hadia Radi, 42 ans et mère de six enfants, vit avec sa famille dans une tente de fortune dans la rue Al-Wihda, dans la ville de Gaza. Comme d’innombrables autres familles de l’enclave, ils et elles font face à la faim et aux bombardements depuis des mois. Le 15 avril, une frappe aérienne israélienne a frappé à quelques mètres de leur tente, blessant plusieurs membres de la famille, dont Yamen, le fils de Hadia âgé de 7 ans, dont la jambe a été brisée par des éclats d’obus. 

Actuellement soigné à l’hôpital de campagne Al-Saraya du Croissant-Rouge, le rétablissement de Yamen est compliqué par une grave malnutrition. « Il a perdu 10 kilos en deux mois », explique Radi à +972. « Nous n’avons mangé que du riz depuis le début du blocus. Sans une alimentation adéquate, nos blessures ne guériront pas. » 

Hadia Radi et deux de ses filles, Sanna, neuf ans, et Huda, six ans, le 2 mai 2025 (Ahmed Ahmed). 

La nourriture est aujourd’hui si rare que même les petits gestes de gentillesse peuvent être risqués. Récemment, un voisin a entendu Yamen pleurer au téléphone depuis sa tente d’hôpital, suppliant sa mère de lui donner du pain. Le lendemain matin, il a apporté à la famille dix morceaux de pain, dissimulés dans un sac noir pour ne pas attirer les regards affamés. Radi a caché le pain dans leur tente comme un trésor. « Chaque jour, j’envoyais un morceau avec mon mari pour Yamen. Ses frères et sœurs en réclamaient aussi, mais je leur disais que les plus blessés devaient passer en premier ». 

Yamen ne cesse de demander à sa mère de lui rendre visite, mais Radi reste prisonnière de ses propres blessures dues à l’explosion – une jambe cassée qui la rend dépendante de béquilles. Il lui est tout aussi impossible de se rendre auprès de sa fille Hannan, âgée de 13 ans, qui est soignée dans les services débordés de l’hôpital Al-Shifa. 

Hannan a été touchée par des éclats d’obus qui lui ont arraché un œil et l’ont rendue incapable de marcher. Le manque de nourriture a rendu son rétablissement extrêmement difficile. « Elle a besoin de légumes, d’aliments sains et de soins particuliers pour guérir », explique Radi. « Mais il n’y a pas d’accès à tout cela ici ». 

Madame Radi pense qu’Israël affame Gaza pour faire pression sur le Hamas, mais elle affirme que ce sont les familles ordinaires qui en paient le prix. « Nous voyons nos enfants dépérir, et ni Israël, ni le Hamas, ni le monde ne s’en soucient », déplore-t-elle. « Pourquoi mes enfants devraient-ils mourir de faim ? Qu’avons-nous fait pour mériter cela ? Si vous ne pouvez pas arrêter la guerre, ouvrez au moins les frontières. Ne nous laissez pas mourir de faim ». 

« Netanyahou nous punit pour le simple fait d’exister » 

Heba Malahi, 41 ans, vit également dans une tente de fortune dans la rue Al-Wihda de la ville de Gaza depuis qu’une frappe aérienne israélienne a détruit sa maison à Juhor ad-Dik en 2023. Aujourd’hui, elle et son mari Ribhi, 45 ans, sautent régulièrement des repas pour que leurs sept enfants puissent manger. 

Mahmoud, le fils du couple âgé de six ans, souffre de malnutrition sévère. « Il est tout le temps fatigué. Il ne mange pas, ses os lui font mal et ses dents commencent à tomber », explique Heba à +972. « La semaine dernière, il a mendié des tomates. Nous avons vendu nos dernières conserves pour en acheter un seul kilo – nous avons tous partagé ce repas ». 

Heba Malahi et ses fils, Mahmoud, huit ans, et Taysir, onze ans, près de leur tente dans la ville de Gaza, le 2 mai 2025. (Ahmed Ahmed) 

Leur fille Ruba, âgée de 17 ans, a désespérément envie d’aliments simples comme les pommes de terre, mais à 60 NIS le kilo, elles sont pratiquement inaccessibles. « Netanyahou nous punit simplement parce que nous existons », a déclaré Heba. « Peut-être que quelqu’un comme Trump pourrait le forcer à ouvrir les frontières avant que nous ne mourions tous de faim ». 

« Si les gens imaginaient leurs propres enfants dans cet état, peut-être agiraient-ils », a-t-elle ajouté. 

Plus au sud, à Khan Younis, Mona Al-Raqab est assise avec son fils Osama, âgé de cinq ans, depuis plus d’une semaine dans le complexe médical Nasser. Il ne pèse actuellement que neuf kilos. Déplacé à plusieurs reprises depuis le début de la guerre, avec peu de nourriture et d’eau potable, son système digestif est devenu défaillant. « Les médecins essaient de lui donner des nutriments », nous dit Al Raqab, « mais un enfant en pleine croissance a besoin d’une vraie nourriture, de différents types ». 

Quelques pièces plus loin, Nagia Al-Najjar, 30 ans, veille sur son bébé Yousef, âgé de cinq mois et souffrant de malnutrition sévère, dans son berceau. Ses quatre autres enfants sont restés avec leur père dans leur tente dans le village d’Abasan, après la destruction de leur maison dans le quartier Bani Suhaila de Khan Younis. L’hôpital a du mal à fournir du lait maternisé en raison de la fermeture des frontières. « Je ne peux pas allaiter parce que je me nourris à peine », a déclaré Mme Al-Najjar à +972. « Je ne trouve pas les mots pour exprimer ce que je ressens en tant que mère ». 

Le docteur Al Faraa a expliqué que le manque de nourriture était à l’origine de fausses couches et de nouveau-nés souffrant d’une insuffisance pondérale dangereuse et de graves malformations. Les familles moulent désormais des pâtes – ou même du riz et des lentilles – pour en faire de la farine de fortune. « Je me fiche de mourir de faim », a déclaré M. Al-Najjar. « Mais qu’ont fait mes enfants pour mériter cela ? » 



Ahmed Ahmed est le pseudonyme d’un journaliste de Gaza City qui a demandé à rester anonyme par crainte de représailles. 
Ruwaida Amer est une journaliste indépendante de Khan Younis. 



Traduction : SD pour l’Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine

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